Mondialisation.ca. 22 novembre 2010 ,par Bill van Auken
Haïti demeure tendue à la suite des violents affrontements survenus lundi entre des manifestants et des troupes des Nations unies qui ont fait au moins deux morts et seize blessés à Cap-Haïtien, la deuxième plus grande ville du pays.
La ville portuaire, située à environ 300 kilomètres au nord de la capitale Port-au-Prince, était toujours largement paralysée mardi : les écoles, les bureaux de la fonction publique et les commerces étaient fermés, des rues étaient bloquées par des barricades de pneus enflammés et on a rapporté que des fusillades étaient entendues sporadiquement. Le pont menant à l'aéroport de la ville avait été bloqué par des barrières de métal soudées entre elles.
Les Nations unies ont envoyé un contingent de troupes espagnoles pour renforcer sa garnison à Cap-Haïtien.
Les violences ont éclaté lundi après que des milliers de manifestants sont sortis dans les rues pour protester contre la force d'occupation de l'ONU (connue sous le nom de MINUSTAH, Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), que de nombreuses personnes accusent d'être responsable de l'épidémie de choléra qui a fait plus de 1000 victimes, et pour dénoncer le gouvernement du premier ministre René Préval et sa réponse inadéquate à la propagation de la maladie.
Les troupes de l'ONU et la police haïtienne ont tenté de disperser les manifestants à l'aide de gaz lacrymogènes, provoquant du coup un mouvement de foule dans lequel plusieurs personnes ont été blessées. Les manifestants ont réagi en lançant des pierres, et selon les responsables de l'ONU, par des coups de feu. Les soldats ont tiré dans la foule, tuant un jeune d'une balle dans le dos dans Quartier-Morin, tout juste à l'extérieur de la ville. Un autre homme a été abattu à Cap-Haïtien. On a rapporté jusqu'à 16 blessés, dont plusieurs dans un état grave.
Les manifestants ont incendié un poste de police et des voitures de police et ont pillé un entrepôt de nourriture.
De plus petites manifestations ont aussi été rapportées à Hinche et dans Les Gonaïves, au centre et au nord du pays, ainsi que dans la capitale. À Hinche, une foule de plusieurs centaines de personnes a lancé des pierres à une division népalaise des troupes onusiennes, largement blâmée pour l'épidémie de choléra.
Des responsables de la santé publique soutiennent qu'il est difficile de déterminer avec certitude comment la bactérie a pu être introduite au pays, qui n'a connu aucun cas de choléra en un siècle. Cependant, l'épidémie a été déclenchée peu après l'arrivée du bataillon népalais le mois dernier. Le Népal a récemment dû faire face à sa propre épidémie de choléra.
Les reporters qui ont visité la base des troupes y ont trouvé des problèmes sanitaires, dont des excréments rejetés dans la rivière Artibonite. La région a été l’épicentre de l’épidémie de choléra, qui est attribué à la contamination de la rivière. Les scientifiques des centres américains de prévention et de contrôle des maladies, entre-temps, ont confirmé que la souche de la bactérie est courante en Asie du Sud.
Des soupçons voulant que les troupes de l’ONU aient introduit la maladie mortelle en Haïti ont enflammé les ressentiments non exprimés envers la soi-disant force du maintien de la paix en Haïti. Elle y a été déployée après le coup d’État orchestré par les États-Unis qui a renversé le président Jean-Bertrand Aristide et contraint à l’exil. Comptant quelque 12.000 soldats, le MINUSTAH dirigé par le Brésil est largement considéré comme une force d’occupation dont le but est de s’opposer l’agitation populaire.
Les fonctionnaires des Nations unies en Haïti ont tenté de rejeter les soulèvements à Cap-Haitien comme étant le travail d’agitateurs politiques qui cherchent à déstabiliser le pays à l’approche des élections nationales prévues pour le 28 novembre.
Dans une déclaration, le MINUSTAH a affirmé que « la façon dont se sont déroulés les événements suggèrent que ces incidents ont été motivés politiquement, visant à créer un climat d’insécurité à la veille des élections ». La déclaration continuait, « le MINUSTAH fait appel à la population pour qu’elle reste vigilante et ne se laisse pas manipuler par les ennemis de la stabilité et de la démocratie dans le pays ». Les officiels de l’ONU n’ont donné aucune indication quant à l’identité de ces « ennemis ».
La colère populaire à Cap-Haitien et ailleurs dans le pays a été alimentée par la propagation rapide du choléra. Haïti Libre a rapporté que des « cadavres de personnes mortes du choléra jonchaient les rues de la ville durant la fin de semaine ». Il a cité un fonctionnaire de la ville de Cap-Haitien disant qu’« au moins vingt corps ont été ramassés par les autorités médicales depuis vendredi ».
Il y a eu des rapports similaires venant des Gonaïves, au nord du pays. « Vendredi il y a eu des rapports qu’environ 30 personnes sont « tombées mortes » dans les rues des Gonaïves », a rapporté le British Independent. « Le maire aurait rejoint des résidents pour enterrer les morts, selon Jane Moyo d’ActionAid. Dans les régions rurales entourant la ville, il y avait des rapports non confirmés de familles entières mourant sans aide, alors que les populations locales fuyaient les malades à cause de la peur de plus en plus grande face à la maladie. »
Mardi, le ministère haïtien de la Santé publique et des Populations a publié ses derniers chiffres sur le bilan du choléra, rapportant que le nombre de morts a atteint 1034 dimanche, avec 16.799 personnes ayant été hospitalisées.
Il a aussi été confirmé que le choléra est en train de se répandre à Port-au-Prince, alors qu’il a été rapporté que 875 personnes ont dû être hospitalisées et que 38 sont mortes dans la région métropolitaine. Des responsables sanitaires et des organismes humanitaires ont exprimé la crainte que la maladie pourrait devenir incontrôlable à Port-au-Prince, où plus de 1 million de personnes sont toujours sans logement et doivent habiter dans des campements de tentes à cause du tremblement de terre qui a tué plus d’un quart de million d’Haïtiens en janvier dernier.
Cependant, selon le coordonateur humanitaire des Nations unies en Haïti, Nigel Fisher, la maladie s’est déclarée beaucoup plus dans les bidonvilles de la ville comme Cité Soleil, qui a encore moins accès à de l’eau potable et à des installations sanitaires que dans les villes tentes. « Cela ne veut pas dire que les camps seront épargnés », a-t-il averti.
Dans une vidéoconférence avec des journalistes, Fisher a contredit les responsables du gouvernement, insistant que le choléra s’est répandu aux 10 départements haïtiens (le gouvernement a prétendu que 4 d’entre eux n’avaient été témoins d’aucun cas). Faisant référence aux manifestations, il a dit que la maladie était devenue une question de « sécurité nationale ».
« Le nombre de morts va croître significativement, ce qui ne sera pas une surprise », a dit le responsable des Nations unies. Plusieurs croient que le décompte officiel du gouvernement des cas de choléra et du nombre de morts reliés est une importante sous-estimation, vu que plusieurs infections et morts, particulièrement dans les zones les plus rurales, ne sont pas rapportées.
Les Nations unies ont estimé que jusqu’à 200.000 Haïtiens pourraient contracter la maladie dans les prochains mois. Des experts en santé ont mis en garde que, vu les conditions de pauvreté extrêmes et d’infrastructures inadéquates en Haïti, la nation la plus pauvre de l’hémisphère ouest, le choléra va demeurer un problème pour les années à venir.
Les hôpitaux et les organisations humanitaires sont déjà surchargés par le nombre de malades et de mourants. Plusieurs se demandent où sont passés les milliards promis par les Etats-Unis et d’autres pays après le tremblement de terre, une partie seulement de ces milliards ayant effectivement transférés au pays. Les Nations unies ont émis un nouvel appel pour un maigre 163,8 millions de dollars en fonds d’urgence pour confronter la présente crise.
« La situation est très alarmante », selon Stéphane Reynier, directeur des opérations pour Médecins sans frontières. Les structures de MSF sont surchargés par le nombre de patients, pas seulement à Port-au-Prince, mais nationalement. Nous sommes rapides et sur la ligne de front, mais nous ne pouvons contrôler une épidémie nationale seul. Où sont les Nations unies? Où sont les O.N.G. ? Où sont les milliards de dollars promis après le tremblement de terre ? Il y a eu assez de réunions, maintenant nous voulons de l’action.
Le choléra, même s’il est très contagieux, peut être facilement prévenu et facilement guéri lorsque l’on a accès à de l’eau potable, des installations sanitaires et un service de santé. Pour la grande majorité de la population pauvre d’Haïti, toutefois, tout cela est hors de portée.
Selon une étude datant de 2008, seulement 41 pour cent de la population haïtienne a accès à des latrines et seulement la moitié a accès à de l’eau potable. Au moins 71 pour cent de la population n’a pas accès à de l’eau potable en tout temps. A la campagne, les conditions sont encore pires. A Artibonite, le centre de l’épidémie, moins du tiers de la population peut bénéficier d’eau potable ou d’installations sanitaires adéquates.
Ces conditions étaient présentes bien avant le tremblement de terre qui a dévasté Haïti en janvier dernier. En 2008, Partners in Health, une ONG basée à Boston ainsi que d’autres groupes d’aide ont publié un rapport intitulé « Le déni du droit à l’eau en Haïti » dans lequel on pouvait lire : « Le fait qu’il est généralement impossible d’avoir accès à une eau potable est un des principaux obstacles en Haïti lorsqu’il est question de respecter les normes les plus élémentaires des droits de l’homme. L’histoire a légué à Haïti, l’inégalité, la dictature, la corruption et une pauvreté extrême et persistante, qui tous, contribuent à leur façon à l’échec du gouvernement haïtien à offrir une eau propre à la population. Le non-accès à cette ressource cruciale continue à peser sur tous les aspects de la vie pour la vaste majorité des Haïtiens, contribuant à la mauvaise santé, à la famine et le peu d’opportunité de s’éduquer. La conséquence : un cercle vicieux de consommation d’eau contaminée, une hygiène publique inefficace, des crises de santé récurrentes et, sous-tendant tout ce qui précède, une pauvreté chronique et profondément enracinée. »
Le rapport accusait les Etats-Unis et l’administration démocrate du président Bill Clinton d’avoir bloqué les prêts de la Banque inter-américaine du développement destinés à améliorer l’infrastructure d’assainissement et d’approvisionnement en eau. Les tentatives de l’administration Clinton d’empêcher que ces prêts ne soient émis faisaient partie de sa campagne pour déstabiliser le gouvernement haïtien et pour mettre au pouvoir un régime plus soumis aux intérêts de Washington dans la région.
Dans la décennie qui a suivi, les conditions n’ont qu’empiré, alors que la politique américaine consistait à tenter de subordonner le développement du pays aux investissements des multinationales à la recherche de travailleurs à bon marché et au même moment de contrôler l’agitation sociale au moyen du déploiement d’une myriade d’ONG et d’organismes d’aides. Un gouvernement central faible et corrompu n’a pratiquement rien fait pour développer l’infrastructure du pays. Cela a contribué à laisser le peuple haïtien sans défense devant une série de calamités, culminant avec le tremblement de terre de janvier dernier et l’actuelle épidémie de choléra.
Article original en anglais, WSWS, paru le 18 novembre 2010.
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