Le 2 juin dernier avait lieu, à Bruxelles, une réunion secrète réunissant, sous la direction du marché intérieur de la commission Européenne, une vingtaine de personnes, parmi lesquelles plusieurs lobbys des industriels de la culture comme l’IFPI et la SCPP, ainsi que des représentants de fournisseurs d’accès comme Orange.
Il faut croire que parmi les organisateurs de la réunion, certains ont été particulièrement perturbés par les propos qui s’y sont tenus, car son compte rendu ainsi que les documents qui y ont été présenté ont fuité, sans pour l’instant faire de bruit dans la presse traditionnelle. Seuls RWW et PCinpact, qui a publié une large sélections de documents complémentaires, ont jusqu’ici porté le contenus de ces documents à la connaissance du public.
Ces informations sont pourtant des plus importantes, et révèlent au grand jour le projet des industriels de la culture, à l’oeuvre depuis au moins 2007 : filtrer l’internet et en reprendre le contrôle.
Nous vous proposons ici la traduction des «bonnes feuilles» du compte rendu officiel de cette réunion secrète, initialement écrit par la commission Européenne et destiné, à l’origine, à l’attention exclusive des participants.
Jeremy Banks, de l’IFPI, a ainsi tenu, à en croire ce compte rendu, des propos assez révélateurs :
«L’IFPI a expliqué que les fournisseurs d’accès à internet avaient la possibilité d’exercer un certain contrôle technique et commercial sur le trafic généré par leurs utilisateurs. L’IFPI a montré que ces mesures techniques pouvaient être utilisées pour identifier et prévenir les téléchargement illégaux au niveau du réseau. L’IFPI a fourni différents exemples où de telles mesures avaient été appliquées avec succès […]
L’IFPI a conclu qu’il existe des technologies qui ont fait leur preuves, et qui permettent aux fournisseurs d’accès d’empêcher le téléchargement illégal de fichiers musicaux sans pour autant bloquer l’accès aux services essentiels à leurs utilisateurs. Beaucoup de fournisseurs d’accès internet utilisent par ailleurs ces technologies [ndt: le Deep Packet Inspection] pour gérer leur trafic et assurer la sécurité de leurs réseaux.»
C’est ensuite Marc Guez de la SCPP, dont le compte rendu rapporte l’exposé, qui nous permet d’avoir un éclairage inédit sur le grand projet des ayants droits :
«La SCPP a présenté différentes mesures techniques appliquées en France dans le contexte de la loi Hadopi, et a expliqué les conditions de leur généralisation dans le cadre des nouveaux pouvoirs dont la Hadopi disposait.
La SCPP a retracé la façon dont, en 2007, les accords de l’Elysée ont amené les principaux fournisseurs d’accès à internet à accepter dans les 24 mois de coopérer avec les ayants droits sur de possibles expérimentations destinées à tester des technologies de filtrage du réseau ainsi qu’à envisager leur déploiement, pour peu que le résultat de ces expérimentations soient convaincants et que cela soit réaliste tant sur le plan technologique que financier.
La SCPP a montré que les ayants droit français avaient procédé a deux séries de test en 2007 et 2009, qui ont validé deux technologies de filtrage des protocoles P2P. Ces deux technologies ont détecté plus de 90% du trafic P2P (qu’il soit chiffré ou pas) et ont montré qu’elles n’avaient pas d’impact significatif sur les performances du réseau. Dans le cas de la technologie Vedicis, 99,91% du trafic P2P a ainsi été détecté et 99,98% des contenus illégaux ont été bloqués sans impact sur les performances du réseau.»
Théodore Martin de la Société Vedicis est ensuite passé à l’aspect pratique et opérationnel, traçant un véritable plan de route pour la suite :
«Vedicis a expliqué comment sa technologie pouvait être utilisée pour mettre fin aux atteintes au copyright. L’ensemble du processus de détection, d’identification et d’action prise en temps réel a été détaillé, y compris en ce qui concerne la création d’un rapport d’activité détaillé associé à ces activités. Il a également été expliqué comment la technologie Vedicis pouvait être déployée sur différents points du réseau.
Des exemples pratiques ont été fournis montrant différentes façons de combattre les atteintes au copyright à travers la fourniture de nouveau services comme, par exemple, la mise sur le marche de services dit de «clean pipe» qui empêchent le téléchargement de contenus illégaux référencés dans un catalogue, ou de services dit «Hadopi Safe», où les utilisateurs autoriseraient de façon volontaire que leur trafic soit contrôlé en permanence afin d’éviter toute atteinte au copyright.»
Preuve est faite désormais que l’internet filtré n’est pas un vague fantasme issu de l’imagination des activistes des libertés numérique, pire encore, il semble évident qu’aux yeux des ayants droit, l’installation de la Hadopi n’est là que pour instaurer un climat de peur et d’insécurité au sein des foyers destiné à pousser les internautes français a accepter de leur plein grès que l’ensemble de leur trafic internet soit surveillé et filtré.
Au vu des récentes évolutions de la loi Loppsi, tout laisse croire que ce filtrage sera fait dans la plus grande opacité.
Il reste a voir si la Hadopi, censée s’assurer de la sécurisation de l’accès internet des citoyens français, laissera un tel projet se mettre en place, alors que sa mission n’était pas, loin s’en faut, la surveillance et le filtrage généralisé de l’information circulant sur internet en France.
Vous pouvez télécharger ici en PDF :