Politis. 18 novembre 2010 par Michel Husson.
La politique d’austérité budgétaire est proprement démente. Elle ne peut d’abord que réduire la croissance, surtout avec les modalités qui ont été retenues. Affirmer le contraire, c’est aller à l’encontre de la théorie économique (« Le bon moment pour l’austérité, c’est le boom, pas la récession », disait Keynes) mais aussi du bilan des expériences passées. Une étude récente du FMI établit qu’une « consolidation budgétaire » d’un point de PIB conduit à une baisse du PIB de 0,5 %, qui peut aller jusqu’à 1 % si une telle politique est étendue à un grand nombre de pays (1).
Un rapport parlementaire (2) vient de faire les comptes pour la France. Selon le gouvernement, le déficit passerait de 7,6 % du PIB en 2009 à 2,5 % en 2014. Mais ce résultat repose sur des hypothèses optimistes : reprise de la croissance (2 % en 2011, puis 2,5 % ensuite) et très faible progression des dépenses (+0,8 % en volume par an contre 2,3 % en moyenne entre 2000 et 2008). Avec des hypothèses plus réalistes (croissance à 1,5 % et progression des dépenses de 1,1 %), le déficit est encore à 6,3 % du PIB en 2014, et la dette publique continue d’augmenter plus vite que le PIB. Freiner la croissance, c’est aussi freiner les recettes budgétaires.
Le pessimisme est encore renforcé par la généralisation de l’austérité à l’ensemble de l’Europe. Qu’un pays mène dans son coin une telle politique, c’est une chose. Mais c’en est une autre quand tous les pays européens le font en même temps. Or, ce mécanisme démultiplicateur n’est pas pris en compte, ou très partiellement, dans les prévisions d’où qu’elles viennent.
L’Europe pourrait‐elle être sauvée par le reste du monde ? Cette voie est elle aussi bouchée. Les Etats‐Unis sont englués dans une faible croissance et Obama ne pourra plus faire de relance (dans le meilleur des cas). La politique économique vient de bifurquer vers l’injection de liquidités (quantitative easing) qui remplit d’aise les spéculateurs et qui risque d’alimenter la prochaine bulle financière. En tout cas, elle a pour effet immédiat de faire baisser le dollar, et donc la compétitivité des exportations européennes.
Et les pays émergents ? Ils contribuent en effet à tirer la demande mondiale. Mais tous les pays européens ne sont pas aussi bien placés et cela ne peut qu’accentuer la divergence des trajectoires en Europe. Même dans le cas de l’Allemagne, les exportations vers les émergents ne pourraient compenser un fort ralentissement du marché européen : les PECO et la Chine ne représentent en 2009 que 16 % des exportations allemandes, et celles‐ci dépendent encore majoritairement ‐ à 63 % ‐ du marché européen(3).
Pourquoi ce tournant brutal vers l’austérité ? La pression des marchés financiers est souvent invoquée. Mais cette pression n’existe que dans la mesure où les gouvernements européens n’ont rien fait pour la tuer dans l’oeuf. Les raisons de fond sont ailleurs, et d’abord dans le refus de dépasser le chacun pour soi en coordonnant les politiques nationales. Mais la crise est surtout l’occasion et le prétexte d’une thérapie de choc visant à la fois à faire payer la crise à ceux qui n’en sont pas les responsables mais aussi à dégraisser une bonne fois pour toutes l’Etat social. Il suffit de constater que les plans d’austérité obéissent tous à deux grands principes : réduire les dépenses en ciblant sur les dépenses sociales, plutôt qu’augmenter les recettes. Et quand on les augmente malgré tout, c’est par la TVA, l’impôt le plus injuste socialement, qui a en outre l’avantage éventuel d’une dévaluation camouflée.
Un rapide tour d’Europe montre que les gouvernements de gauche et de droite ne se distinguent en rien dans ce projet qui consiste à assommer les peuples, tout en leur expliquant qu’il n’y a pas d’alternative. Une telle régression sociale, d’une violence inédite, enclenche un processus de déstructuration des sociétés, et conduit à la dislocation de l’Union européenne. Elle risque bien de déboucher sur une nouvelle récession, à moins que les résistances sociales ne forcent les gouvernements à reculer.
1) « Will It Hurt? Macroeconomic Effects of Fiscal Consolidation », World Economic Outlook, FMI, Octobre 2010.
2) Assemblée Nationale, Rapport sur le projet de loi de finances pour 2011, annexe n°21, « engagements financiers de l’Etat », Octobre 2010.
3) voir « Le modèle allemand n’est pas viable », note hussonet n°19, septembre 2010.
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