Mardi, un prof de philo de 47 ans sera jugé à Marseille pour avoir dit « Sarkozy je te vois » lors d'un contrôle de police.
Les faits se sont produits à la gare Saint-Charles en février 2008. Il n'a appris qu'un an après que son geste donnait lieu à un procès. Pas pour outrage mais pour avoir porté atteinte à la tranquillité publique « par la durée et la répartition de ses cris », contrevenant ainsi à l'article R 13-37 du code de la santé publique.
Il est convoqué devant la justice pour « tapage injurieux diurne troublant la tranquillité d'autrui » et risque une amende selon l'article R 623-2 du Code pénal. Il a tenu a garder l'anonymat mais a accordé à Rue89 un témoignage relu par son avocat, trois jours avant son procès.
27 février 2008, 17h49. Je me trouve à la gare Saint-Charles de Marseille.
J'arrive au milieu d'un attroupement qui s'est formé à l'occasion d'un contrôle d'identité de deux gamins. J'aperçois autour des policiers des jeunes gens au visage tendu. Les policiers montrent des signes de nervosité.
La gare Saint-Charles est en permanence parcourue dans le cadre du plan vigigare par des militaires armés de mitraillettes qui accompagnent des policiers dans leur patrouille.
Devant cet énième contrôle d'identité, j'éprouve comme un malaise : pourquoi si peu de bienveillance ? Faire quelque chose pour apporter un peu de douceur. J'adopte alors une posture théâtrale et je lance en pointant l'index vers les policiers « Sarkozy je te vois, Sarkozy je te vois ». Aussitôt, un immense éclat de rire s'empare des spectateurs. Je porte un costume, une cravate et une serviette en cuir. J'ai sans doute l'air ridicule, mais qu'importe, les rires ont fait redescendre la tension.
L'un des policiers se dirige vers moi : « Vos papiers, s'il vous plaît ! » Son collègue le rejoint quelques instants plus tard. Cependant, la sérénité courtoise que j'affiche permet de détendre l'atmosphère entre les policiers et moi. Les policiers m'invitent à les accompagner jusqu'au commissariat de la gare. Ils sont très gentils.
A ce moment-là, les choses prennent une tournure délicieusement administrative. Les deux agents procèdent aux vérifications d'usage. Les choses deviennent automatiques. Ils exécutent machinalement ce qu'ils ont à faire : c'est la procédure. De mon côté, je réponds tout aussi machinalement aux questions qui me sont posées. C'était respectueux, chacun dans son rôle. C'étaient des travailleurs comme moi, impuissants comme moi face aux excès du sarkozysme. Je leur ai présenté mes excuses pour la gêne technique occasionnée. Puis je suis sorti et j'ai oublié cette histoire.
A l'intérieur de la gare, la vie avait repris son cours normal, avec son brouhaha et les bruits des motrices.
Photo : patrouille de police à la gare Saint-Charles à Marseille en décembre 2006 (Jean-Paul Pelissier/Reuters).
"Sarkozy je te vois", ou l'absurde au tribunal
Marseille, correspondant régional.
Quand les limites du grotesque sont ainsi repoussées, l’on hésite entre la franche hilarité et la sourde inquiétude. Entre Allais, Jarry et Kafka. Que pourrait nous inspirer d’autre l’audience qui s’est déroulée, hier après-midi, devant la juridiction de proximité près le tribunal de police de Marseille ? Devant un parterre particulièrement garni de journalistes, comparaissait un citoyen marseillais, P. L. - il tient à garder l’anonymat -, quarante-sept ans, professeur de son état. Le ministère public lui reproche de s’être livré, le 27 février 2008, en gare Saint-Charles, à un « tapage diurne injurieux ». Absent des débats, l’homme a tenu à communiquer un « résumé succinct » des faits. « J’arrive au milieu d’un attroupement qui s’est formé à l’occasion d’un contrôle d’identité de deux gamins. J’aperçois, autour des policiers, des jeunes gens au visage tendu. Les policiers sont nerveux (…). Devant ce énième contrôle d’identité, j’éprouve comme un malaise (…). J’adopte alors une posture théâtrale et je lance en pointant l’index vers les policiers : "Sarkozy, je te vois, Sarkozy, je te vois." Aussitôt, un immense éclat de rire s’empare des spectateurs. »
Quatorze mois sans nouvelle
Les représentants de la maréchaussée sont d’humeur moins badine. Ils y voient une atteinte à la tranquillité publique, contrevenant ainsi à l’article 13-37 du Code de la santé publique. Contrôle d’identité, main courante au commissariat de la gare. Pendant quatorze mois, P. L. n’a plus de nouvelles de cette non-affaire. Début avril, il est pourtant convoqué au commissariat du 9e arrondissement de Marseille avant de recevoir, le 20 avril, une citation à comparaître devant le juge de proximité. Les « faits » ont été requalifiés en « tapage diurne injurieux ».
Tellement ridicule que Me Vouland, son conseil, pousse, dans ses conclusions déposées devant le tribunal, le bouchon de l’absurde. Il propose au tribunal de se transporter sur les lieux un mercredi à 17 h 50, de désigner un expert afin de mesurer la différence entre le bruit habituel de la gare à une telle heure et l’ambiance agrémentée de la sortie théâtrale de P. L. et enfin, de désigner un neurologue, afin de savoir si le système nerveux des autres voyageurs peut en être affecté.
Pourtant fort malin, Me Vouland a trouvé à qui parler en matière d’absurde. L’officier du ministère public (OMP) a en effet livré un réquisitoire digne d’être ultérieurement étudié dans les écoles de la République. On passera sur la lecture du PV de l’audition de P. L. qui n’avait même pas été versé au dossier. « Je ne l’ai reçu qu’à 12 h 10 », s’est mollement excusée l’OMP. Elle a soutenu mordicus - s’appuyant sur une simple circulaire de 2003 du ministère de la Justice sur la lutte nationale contre le bruit - qu’il y avait bien « atteinte à la tranquillité du voisinage ». Comprendre : non pas la tranquillité des voyageurs mais bien celle des policiers. Elle a même retenu le caractère injurieux au terme d’un raisonnement qui ridiculise des siècles de dialectique.
Amende de 100 euros requise
Me Vouland, lui, a concentré son argumentation sur le « caractère outrageant » du désormais célébrissime « Sarkozy, je te vois. » « C’est celui qui le subit qui doit le dire, a argumenté l’avocat. Or les policiers n’ont pas estimé que c’était outrageant et injurieux. » Sinon, « vous allez mettre Mme Roumanoff et M. Guillon en prison ». Il a demandé, pour raisons juridiques, la nullité et surtout appelé à la raison. En préambule, il avait rappelé que son client s’était excusé auprès des policiers, dès le jour même, qu’il avait voulu « détendre l’ambiance par l’humour » et qu’il plaidait « non coupable » tout en ne prétendant pas être un héros. Le ministère public a requis une condamnation à une amende de cent euros. Le suspense est intenable : la jurisprudence va-t-elle transformer le mot même de « Sarkozy » en une insulte, un outrage, bref un gros mot. Réponse le 3 juillet.
Christophe Deroubaix