Plume de Presse. 29 novembre 2009 par Olivier Bonnet
"L’arrivée d’Henri Proglio à la tête d’EDF est décidément semée d’embûches, écrit Europe 1. C’est d’abord sa volonté de garder un pied dans Veolia qui avait fait débat. Jeudi, au lendemain de sa prise de fonction à la direction du groupe énergétique, c’est le niveau de son salaire qui créé un début de polémique. La veille, dans Les Echos, le nouvel homme fort d’EDF avait en effet émis le souhait d’être rémunéré à hauteur de son ancien salaire chez Veolia, à savoir 1,6 million d’euros. Ce qui représente une hausse de 45% par rapport aux émoluments de son prédécesseur, Pierre Gardonneix." Passons rapidement sur la tartufferie de Proglio : "Le nouveau président d’EDF a réaffirmé n’avoir rien demandé en termes de rémunération. "J’ai seulement espéré [gagner] autant qu’hier, tout compris", a-t-il précisé", nous apprend un autre article du site de la station périphérique. Il n’a rien demandé : il a juste dit qu’il voulait 1,6 million ! A ce niveau de rémunération, son attitude relève de la pure cupidité mais après tout, ça le regarde. Le vrai scandale, c’est que nos éminents représentants de la Sarkozie trouvent sa demande parfaitement légitime et la lui accordent sans sourciller au nom de l’Etat français. "Il faut que les choses soient très claires : on a choisi Henri Proglio parce qu’on [en] avait besoin. Dans ces conditions il est parfaitement normal" que sa rémunération "soit proche de celle qu’il avait dans ses fonctions précédentes", estime le Premier ministre en visite à Flamanville, cité par Le Monde, un François Fillon qui débite comme une évidence un incroyable discours : il est "parfaitement normal" de toucher un salaire de 1,6 million d’euros, payés par l’Etat, dans un pays aux 4,6 millions de chômeurs où les bénéficiaires du RSA survivent avec 400 euros par mois ? Indécence ! C’est le mot utilisé par Pierre Haski poussant son coup de gueule sur Eco89 : "Il y a de l’indécence dans l’air. Celle du ministre de l’Industrie Christian Estrosi, qui parle de « courage » pour justifier la demande du nouveau PDG d’EDF de doubler son salaire par rapport à celui de son prédécesseur. Celle d’Henri Proglio, qui débarque à la tête d’une entreprise de service public en exigeant de maintenir ses avantages financiers acquis dans une des grandes multinationales privées françaises. Ministre d’un président qui prône sur la scène internationale la moralisation du capitalisme et la modération des revenus, Christian Estrosi a déclaré mercredi matin sur France 2 : « Il faut faire preuve d’un peu de courage si nous voulons avoir les meilleurs capitaines d’industrie pour diriger nos plus grandes entreprises. » (...) mettre en avant le « courage » qu’il y aurait à doubler le salaire du PDG d’une entreprise d’Etat en pleine période de crise, alors qu’un demi-million de personnes ont perdu leur emploi* ?"
Mais Estrosi dit vrai, en réalité : il faut du "courage" pour revendiquer aussi visiblement une vision du monde, celle de la droite, qui légitime une inégalité obscène, du "courage" pour oser dire : "eh bien oui, nous voulons que les riches soient toujours plus riches et tant pis pour le peuple". Du courage pour assumer devant les Français : "La justice sociale ? Rien à foutre". Mais ça n’en empêchera pas 30% (des inscrits) d’aller sagement voter aux prochaines élections en faveur de l’Union pour une Minorité de Privilégiés. Combien tu veux, Riton ? 1,6 million d’euros ? Pas de problème, profite, c’est l’Etat qui régale. Avions-nous précisé que Proglio est un proche de Sarkozy ? "En prenant la tête d’une entreprise de service public, il s’honorerait à donner un sens aux mots, et à ne pas se comporter comme le chef d’une entreprise du privé… qu’il est, de fait, resté, conservant un pied chez Veolia, et un autre chez EDF, écrit encore Haski. Si le mot « courage » avait un sens, c’est là qu’il trouverait sa valeur : non pas en défendant l’indéfendable comme l’a fait notre ministre en service commandé venu soutenir l’introduction dans le secteur public des valeurs du privé, surtout lorsque ces valeurs sont dénoncées par les mêmes, par ailleurs, comme étant au coeur de la crise de système que nous sommes en train de vivre". Très juste. Le courage, pour le commun des mortels, serait de s’attaquer aux privilégiés pour améliorer la condition des humbles. Mais pour la clique au pouvoir, il consiste au contraire à crânement porter les coups les plus rudes aux faibles tout en couvrant d’or l’oligarchie économique. C’est le courage de la droite décomplexée : celui de dire : "oui, je suis une ordure, et alors ?" En attendant, il est clair que la nomination du sieur Proglio ne risque pas d’améliorer le comportement d’EDF, qui perd complètement le sens de ce que doit être une entreprise publique, comme en témoigne la scandaleuse augmentation cachée que nous dénoncions dans notre billet du 18 août dernier, les commentateurs défilant régulièrement depuis sur son fil de discussion pour témoigner de l’explosion de leur propre tarif d’abonnement. Que dit-il de futures nouvelles augmentations ? Il commence par prétendre ne pas avoir d’idée sur la question : "Je ne sais même pas s’il faut les augmenter. Les tarifs auront de toute façon à évoluer, moins bien entendu si le parc fonctionne", a-t-il expliqué au micro d’Europe 1, faisant allusion aux incidents à répétition dans les centrales nucléaires. Ou comment démentir la première phrase par la seconde : si le parc fonctionne, le coût de l’électricité baisse, ce qui améliore la rentabilité d’EDF, qui n’a donc pas à répercuter de hausse. Le "moins bien entendu si le parc fonctionne" de Proglio précise ainsi le sens du mot "évoluer" : augmenter. Il faut donc relire la phrase en comprenant : "De toute façon, les tarifs augmenteront, c’est juste de combien que je ne sais pas encore". Tant pis pour l’usager.
"Ecoute, Nicolas, alors mon salaire, je le voudrais grand comme ça..."
* Désolé, cher confrère, on écrit "un demi-million de personnes a perdu son emploi"
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