Parmi les milliers de disparus du Japon, il est le seul à n'être ni victime ni à se plaindre : Henri Proglio a disparu des écrans mais c'est lui qui l'a bien voulu et il ne semble pas plus mal s'en porter bien au contraire ! L'indulgence de Nicolas Sarkozy, dont ce n'est pas pourtant le trait de caractère dominant, a une nouvelle fois l'occasion de se manifester à son endroit.
Tout aurait du faire du patron d'EDF l'une des personnalités les plus visibles ces dernières semaines dans le débat sur l'énergie, le nucléaire, sa place, sa sécurité et son avenir. N'est-ce pas Proglio qui dirige l'un des tout premiers parcs de centrales du monde ? N'est-ce pas lui qui ambitionne de contrôler toute la filière nucléaire française ? N'est-ce pas lui qui, pour ce faire, tente de mettre la main sur Areva en intriguant pour faire débarquer « atomic » Anne Lauvergeon et la faire remplacer par l'un de ses propres affidés ?
Oui, tout aurait pu faire de Proglio l'une des personnalités les plus actives pour faire face à la tempête médiatique sur le nucléaire. Pourtant, au cours de ces semaines décisives, l'aspirant chef de file du nucléaire s'est en tout et pour tout contenté de deux apparitions médiocres et sans relief qui n'ont laissé aucune trace dans les esprits. A l'inverse, les autres grands acteurs du nucléaire sont allés au charbon pour tenter d'expliquer, de rassurer et de préserver l'avenir de la filière : Agnès Buzyn, pour l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, Bernard Bigot pour le Commissariat à l'Energie atomique, Anne Lauvergeon pour Areva, ou André-Claude Lacoste pour l'Autorité de Sûreté Nucléaire ont tous arpenté studios et plateaux, avec des bonheurs divers mais en tout cas courageusement. Proglio point...
Lors d'une réunion particulièrement musclée à Bruxelles avec un commissaire allemand à l'énergie, alors que tous les patrons des compagnies d'électricité étaient là, Gérard Mestrallet, le patron de GDF-Suez a été stupéfait de ne trouver qu'un vague sous-fifre pour représenter EDF, qui possède tout de même le premier part européen de centrales. Comme l'a dit un jour le même Mestrallet à propos des ambitions de Proglio sur le nucléaire, «
pour être capitaine il faut d'abord avoir l'esprit d'équipe ». En fait, le capitanat version Proglio, c'est le modèle de l'équipe de France de foot à Kysna : on ne descend même pas du car quand cela chauffe trop !
Le plus étrange de tout cela est que Proglio ne se soit pas attiré les foudres du président de la République en restant ainsi aux abris à un moment pourtant aussi décisif. A trois reprises déjà, Sarkozy avait protégé de manière surprenante cet ancien chiraquien converti de la 25ème heure.
A sa nomination à EDF, lorsqu'il a été présenté comme « le plus grand industriel de France » alors qu'il est en réalité un spécialiste des services et plus particulièrement des négociations avec les collectivités territoriales pour arracher des concessions de service public, ce qui n'a rien à voir avec l'industrie.
En 2010, lorsqu'en pleines élections régionales il avait tenté de cumuler ses fonctions (et les rémunérations afférentes bien sûr) à EDF et à Véolia, ce qui avait déclenché un légitime émoi, qui l'a obligé à y renoncer mais ne l'a pas empêché de « jouer la montre » le temps nécessaire pour pouvoir toucher sa retraite chapeau de Véolia.
Il y a quelques semaines encore, entre les deux tours des élections cantonales, lorsqu'il a demandé que les tarifs d'EDF augmentent de 30 % dans les quatre ans. Une provocation impunie alors que son prédécesseur à EDF, Pierre Gadonneix, avait été débarqué pour avoir demandé 20 % de hausse en cinq ans...
Trois bévues majeures qui, donc, auraient déjà du provoquer l'ire du petit Jupiter de l'Elysée. Mais non. Proglio place le pouvoir en mauvaise posture, Proglio contribue à des déroutes électorales, Proglio se met aux abonnés absents quand il faudrait défendre la politique énergétique de la France... Mais Proglio reste impuni.
Il faudra bien un jour comprendre quels intérêts croisés aboutissent à cette étrange impunité. Ceux qui relient Proglio, Claude Guéant et Alexandre Djouhri, un homme d'affaires spécialisé dans... les contrats internationaux, y compris d'armement ? Ceux qui unissent l'actuel président d'EDF et l'un de ses prédécesseurs, François Roussely ?
Roussely et Proglio, c'est une vieille histoire, une alliance nouée au début des années 2000 autour de l'idée de rapprocher les deux entreprises qu'ils présidaient, réciproquement EDF et Véolia. Les deux compères avaient mis en commun leurs réseaux et s'étaient même partagés les postes. L'affaire ayant capoté, les deux ont continué à s'entraider. La commission Roussely, chargée d'un rapport sur l'organisation de la filière nucléaire française est composée pour plus de la moitié d'amis d'EDF ou de Véolia, donc de Proglio. Les risques de ne pas avoir un rapport aux goûts de celui-ci sont d'autant plus faibles que le rapporteur est choisi par EDF et que, dans le même temps, Roussely qui s'est reconverti dans la banque d'affaires, bénéficie d'un mandat permanent de Proglio qui lui rapporte beaucoup d'argent ! Etrange confusion entre intérêts publics et intérêts privés...
Comme Proglio vient du chiraquisme, Roussely est issu de la gauche. Ce qui est peut-être l'annonce de l'épisode suivant des obscures tribulations d'Henri Proglio : on le croyait naguère chiraquien grand teint, il se montre sarkozyste plein pot depuis qu'il est passé sur les fonds baptismaux du Fouquet's, rien ne devrait donc l'empêcher, demain, de se révéler finalement strauss-kahnien de toujours...