Notre planète info. Le 6 Mai 2011 par Janet Raloff, U.S. News Science (publié par Marie)
En se déversant en mer, l'eau douce des rivières se mélange aux eaux salées, dont elles compensent la perte par évaporation... En théorie du moins. Mais les observations menées au cours des douze dernières années tendent à montrer qu'une bonne partie de l'apport d'eau douce en provenance des rivières et de la fonte des icebergs s'est en fait accumulée dans une vaste zone de l'Océan arctique avec un faible taux de dilution dans l'eau de mer.
Un phénomène inhabituel et persistant de vents tournant dans le sens des aiguilles d'une montre a isolé quelque 7 500 kilomètres cubes d'eau douce dans le Gyre océanique de Beaufort au large des côtes septentrionales du Canada, selon les observations de Laura de Steur, spécialiste en océanographie physique de l'institut Royal Néerlandais pour la recherche maritime à Texel. Ce réservoir est deux fois plus gros que l'une des plus grandes réserves d'eau douce au monde, le Lac Victoria en Afrique.
Laura de Steur note qu'il n'est pas inhabituel que de l'eau douce s'accumule temporairement dans les océans sous l'effet des vents, qui peuvent encore aussi fortement brasser les eaux, mais le phénomène en général disparaît au bout de cinq à huit ans.
Elle et son équipe ont constaté que cette masse d'eau douce est une sorte de réservoir dont la profondeur maximum atteint 27 mètres, en suspension sur l'eau de mer salée avec laquelle il se mélange à des degrés variables selon l'endroit, de telle sorte "que vous la trouveriez salée si vous en buviez" reconnaît-elle.
La persistance et l'ampleur croissante de cette réserve d'eau faiblement salée pose problème à différents titres, note Carlo Heip, qui dirige l'institut de Texel et coordonne le Projet CLAMER (abréviation de Climate Change and European Marine Ecosystem Research). Le 5 avril dernier, le CLAMER, qui fédère 19 instituts de recherche de 11 pays européens, a publié les données relatives à la désalinisation relative de la zone du Gyre de Beaufort.
"L'eau douce n'est guère tolérée par les organismes marins," souligne M. Heip. Le plancton (la base de la chaîne alimentaire marine) qui viendrait à dériver dans ce réservoir d'eau douce "serait largement détruit," explique ce biologiste de la vie marine.
"Rien observé de tel n'a encore été observé," ajoute-t-il, mais, "nous n'avons pas non plus centré nos recherches sur cet aspect." Ce qui nous inquiète le plus, ajoute M. Heip, c'est les effets probables de la dispersion inévitable de cette masse d'eau douce dans l'Atlantique Nord. En effet, elle pourrait altérer la circulation thermohaline ou "la courroie de transmission" de l'Atlantique Nord - un système de courants marins qui détermine tous les flux océaniques. M. Heip fait état des simulations informatiques montrant que cette courroie de transmission pourrait être freinée si trop d'eau douce se déversait brutalement dans l'Atlantique Nord. Or, le ralentissement de ces courants pourrait s'accompagner d'un changement de trajectoire, explique-t-il, voire d'un refroidissement hivernal en certains points de l'hémisphère Nord.
Les données collectées par le CLAMER sur la désalinisation relative de l'Arctique ont été publiées. Benjamin Rabe de l'institut Alfred Wegener de Bremerhaven (Allemagne) sur la recherche polaire et marine, n'est pas surpris par ces données. Dans l'édition de février de Deep Sea Research I, (résultat de la recherche internationale en haute mer) l'équipe qu'il dirige signalait une désalinisation du Gyre de Beaufort.
Ce groupe de chercheurs estime que le réservoir d'eau douce ainsi isolé représente quelque 8400 kilomètres cubes soit un apport supplémentaire de 20 % d'eau douce par rapport à la réserve normalement présente dans les eaux et les glaces arctiques. "Cela signifie que le réservoir est substantiel," ajoute-t-il. Le volume estimé par M. Rabe correspond en outre à la quantité d'eau douce que l'Arctique déverse chaque année dans l'Atlantique Nord.
La rupture de cette réserve d'eau douce supplémentaire dans l'Arctique et son déversement soudain dans l'Atlantique aurait des conséquences imprévisibles sur la courroie de transmission thermique, commente encore M. Rabe. Mais, pour le spécialiste en océanie physique, de nombreuses recherches "indiquent qu'un tel événement aurait un impact considérable". "D'où la nécessité d'étudier le phénomène de près."
Nous savons parfaitement qu'un déversement d'eau douce à très grande échelle dans l'Atlantique Nord "altérerait substantiellement les températures et le climat," indique James C. McWilliams de l'université d'UCLA. Et d'ajouter, "mais pas à l'échelle de la masse d'eau qui s'est constituée à ce jour dans l'Arctique. Tant que le réservoir ne gonfle pas considérablement sans crever, je ne suis pas très inquiet," poursuit-il, au moins pour ce qui est du risque climatique.
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