Marianne2 : Malgré un épais dossier, la commission des sanctions de l’AMF a blanchi les anciens dirigeants d’EADS, que pensez-vous de cette décision ?
Marc Chesney : En tant que scientifique ne possédant pas le dossier entre mes mains, une certaine mesure s’impose en ce qui concerne mon appréciation. Cependant, pour m’être penché sur l’affaire, à travers mes travaux, je ne peux qu’être perplexe. En effet, l’enquête de l’AMF me semble tronquée, en ce sens qu’elle a apparemment fait l’impasse sur une dimension essentielle de la question : l’usage des produits dérivés, et notamment des options de vente.
Est-ce le cas pour EADS ?
Oui, en toute probabilité. Notre méthodologie indique en effet des transactions particulièrement intenses sur le titre EADS sur les marchés EURONEXT, à Paris et EUREX à Francfort. L’analyse de 6 ans de données, permet de détecter des transactions suspectes pour 5 options de vente, tant à Paris qu’à Francfort. Celles-ci ont toutes été effectuées au printemps 2006, soit peu de temps avant l’annonce du 13 juin révélant publiquement les retards de livraison de l’A380, dont pâtira le cours de l’action EADS. Dans un tel jeu de bourse, acheter par exemple le 3 mai 2006 des options de vente de prix d’exercice 30 euros et de maturité le 16 juin à un prix de 1,54 euros l’unité, lorsque le cours d’EADS est de 29,76 euros et les exercer ou les revendre le 14 juin, quand le cours de l’action s’est effondré à 18,79 euros et que la valeur de l’option est passée à 11,27 euros, peut s’avérer très rémunérateur.
En effet, pour le détenteur d'informations privilégiées, opérer sur les marchés via des options sur un titre X est plus avantageux que de directement acheter ou vendre ces titres. Il bénéficie à la fois d'incitatifs économiques (coût de transaction réduit, capital initial faible, importante capacité de levier financier) et d'incitatifs stratégiques (discrétion offerte par le marché des options). Il est dès lors raisonnable de penser que des acteurs de marché bénéficiant d'informations privilégiées concernant une société puissent préférer traiter des options plutôt que des titres de la compagnie. C’est bien l’objet de notre étude. Sur le cas EADS, nous estimons à 25,6 millions d’euros sur la place de Paris et à 10,7 sur celle de Francfort, les gains nets réalisés lors de ces transactions suspectes. L’intérêt des options ? Pour obtenir ces 36 millions d’euros, les opérateurs, n’ont eu a misé qu’environ 9 millions. Soit des rendements proches de 400% en quelques dizaines de jours….
Mais cette dimension n’est pas dans le dossier d’enquête, pourquoi ?
L’AMF, comme les autres gendarmes de marchés prétend regarder de près ces marchés dérivés. Or, rien de tangible ne permet de l’affirmer. C’est dommage, car nous serions prêt à collaborer et à présenter notre méthodologie. Il ne s’agit ni plus ni moins que de mettre en place un système automatique d’alerte. Une fois déclenchée, l’AMF, qui peut avoir accès à l’identité de ceux qui souscrivent massivement et soudainement à ces produits, serait en mesure de dire si oui ou non, il s’agit d’un délit d’initié. Mais EADS n’est qu’un cas parmi d’autres. En n’investiguant pas sur les marchés dérivés, il est fort probable qu’un nombre important d’affaire de délit d’initiés échappe aux autorités de marchés.