L’information médicale pullule sur Internet. De qualité inégale, des centaines de sites traitent désormais des questions de santé, à l’exemple du plus fréquenté d’entre-eux, Doctissimo, propriété du groupe Lagardère. Comment, sur ce sujet sensible, trier le bon grain de l’ivraie, les sites sérieux de ceux qui le sont moins, l’information indépendante sur tel médicament des promotions commerciales déguisées ?
La loi du 13 août 2004 enjoint la Haute autorité de santé (HAS) à « établir une procédure de certification des sites informatiques dédiés à la santé ». Depuis 2008, la HAS confie cette mission à la fondation privée suisse HON (« Health On the Net », santé sur le Net) et à son label HONcode. Cette certification n’est pas un label de qualité mais un label de transparence des sources d’informations : qualification des rédacteurs, sources de financements, sources d’informations... La certification des sites s’effectue théoriquement selon huit critères, comme « justifier toute affirmation sur les bienfaits ou les inconvénients de produits ou traitements », « séparer la politique publicitaire de la politique éditoriale » ou ne pas « remplacer la relation patient-médecin ». En avril, 900 sites français bénéficiaient de ce label.
Faux-nez des laboratoires pharmaceutiques
Ce label est aujourd’hui vivement critiqué. Le docteur Dominique Dupagne, fondateur du site atoute.org lance un pavé dans la marre le 9 juin dernier. Ce site, très consulté, est « spécialisé dans les forums médicaux » et traite également de « l’évolution de la profession médicale et de son éthique ». Dominique Dupagne avait initialement demandé et obtenu la certification HONcode. Il effectue aujourd’hui la démarche inverse en revendiquant la suppression du sceau HONcode de ses pages. « La certification fondée sur des principes déontologiques a trouvé ses limites et trop de sites médiocres affichent le label attribué conjointement par la fondation suisse et la Haute autorité de santé française », déplore-t-il.
Pour lui, garantir la transparence d’un site ne suffit pas. Il faut également pouvoir vérifier la fiabilité des informations médicales qui y figurent. Il met aussi en cause les critères 7 et 8 du label, à savoir la transparence du financement et l’honnêteté dans la publicité et la politique éditoriale. Le reproche d’atoute.org vient de la certification de nombreux sites qui, se présentant sous forme associative, ne sont souvent que de faux-nez de laboratoires pharmaceutiques qui promeuvent plus ou moins habilement leurs produits. Il constate de plus que « des sites de qualité se voient contester leur HONcode sans raison valable, alors qu’ils sont critiques vis-à-vis d’une certaine pensée unique médicale ou de certains médicaments ».
Site de la Fondation de recherche sur l’hypertension artérielle, certifié Honcode... via atoute.org
Le cinquième critère de la charte – justifier les bienfaits des produits présentés – est, selon Dominique Dupagne, loin d’être satisfaisant : « Le terme est vague, n’importe quelle enquête ou étude scientifique bidon peut être présentée comme une justification. » Rappelons que les laboratoires qui financent les essais peuvent minimiser ou ignorer les risques d’un produit. Ce fut le cas du laboratoire états-unien Merck pour son anti-inflammatoire Vioxx®, dont les premières études ont prouvé l’augmentation des risques cardiaques. Ce qui ne l’a pas empêché de mettre son médicament sur le marché dès 1999, avant de se voir contraint en 2007 à verser 4,85 milliards de dollars de dommages et intérêts [1]. Quand un médicament représente 10 % du chiffre d’affaires d’un labo, la tentation d’ignorer ou de dissimuler les résultats de certaines études est grande... En est-il de même sur certains sites Internet ?
La Haute autorité de santé, par la voix de l’un de ses membres, Étienne Caniard [2], reconnaît le bienfondé de la critique, mais se déclare impuissant à contrer le lobbying pharmaceutique. La HAS et la fondation HON n’auraient « ni la légitimité ni les moyens » d’effectuer en amont des contrôles sur la transparence des sites concernés, pour débusquer les associations faux-nez de l’industrie pharmaceutique, confie-t-il, interrogé par APM Média.
Un label qui ne garantit pas grand chose
Quant à la vérification de contenu demandée par le Dominique Dupagne, Étienne Caniard la considère « extrêmement difficile » à mettre en œuvre : « Ce n’est pas à un quelconque régulateur de s’arroger le droit de dire quelle étude lire en fonction de tel [sujet]. Ce serait totalement liberticide. » L’attribution du label HON « est vécue comme une garantie du contenu alors que ce n’est qu’un engagement de transparence », de plus ce label ne « dispense pas le lecteur d’exercer son esprit critique ». Si l’organisme certificateur ne peut vérifier la sincérité des informations fournies, la qualité de sa certification est réduite à néant. D’autre part, si la certification n’est qu’un « engagement de transparence », et que la transparence des financements est inexistante voire impossible, l’intérêt du sceau HONcode est proche du néant.
La revue Prescrire, unique revue médicale sans publicité, interrogeait dès 2005 la HAS sur sa naïveté vis-à-vis des laboratoires. « La Haute autorité de santé va à l’encontre de la sécurité des malades et de l’éthique médicale », dénonce alors la revue à propos des « visiteurs médicaux », ces représentants commerciaux des firmes pharmaceutiques qui démarchent les médecins : « Qui ose croire à un projet de diffusion "loyale" d’informations sanitaires par la visite médicale qui irait à l’encontre des intérêts commerciaux des firmes » ?
La Haute autorité de santé n’est peut-être pas l’instance la mieux placée pour apprécier les conflits d’intérêts des sites qu’elle certifie. Son image d’indépendance a déjà été entachée par des liens entre certains de ses experts et l’industrie pharmaceutique. En décembre 2009, le collectif Formindep (« Pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients ») saisit le Conseil d’État et demande l’annulation de deux recommandations de la HAS pour violation du principe d’impartialité. « De nombreux experts ayant participé à l’élaboration de ces recommandations n’ont pas déclaré leurs liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. D’autres experts ont des liens si importants avec les firmes pharmaceutiques que leur participation aux groupes de travail de ces recommandations aurait dû être interdite, en particulier les présidents de ces groupes », accuse le collectif.
La télémédecine bientôt sponsorisée par la pub ?
En matière d’informations médicales sur Internet, encore mieux que la label HONcode, qui ne garantit donc pas grand chose, il y a... Roselyne Bachelot. La ministre annonce le 20 mai dernier la création d’un site web « officiel » de conseils individuels médicaux. Selon Le Figaro, ce site serait couplé à un numéro de téléphone qui permettra à chacun d’obtenir « les pharmacies de garde de sa ville, des conseils de santé dispensés par une infirmière, voire une véritable consultation médicale à distance, ou être dirigé vers un service spécialisé pour les cas plus complexes (prévention du suicide…) » La ministre considère la télémédecine comme un remède à la désertification médicale.
La création de ce portail est donc d’ores et déjà contestable. Les partenaires auxquels fait appel la ministre laissent perplexe : le site Doctissimo – le groupe Lagardère donc : 56 titres de presse en France, 3 radios, 17 sociétés de production... – et la Mutualité Française. Doctissimo peut-il délivrer une information allant à l’encontre de ses intérêts publicitaires ? La Mutualité Française, en tant que premier assureur santé, n’est-elle pas juge et partie dans ce projet ?
Le gouvernement et la HAS se sont donc lancés dans un concours où le cynisme le dispute à l’hypocrisie. Ils ne veulent pas voir que l’objectif premier de l’industrie pharmaceutique demeure le profit. Son influence et sa communication sont plus puissantes que jamais. La certification des sites devrait protéger les internautes de ces pressions. Or, en faisant passer de la communication-propagande pour de l’information transparente, le HONcode risque, aujourd’hui, d’induire l’internaute en erreur. Avec des pouvoirs publics qui se défaussent vers la Haute autorité de santé, qui elle-même se défausse vers la fondation Hon, qui assumera ces erreurs ?
Mathieu Javaux