Déraison d’Etat, ou des raisons de l’Etat ?

Politis. Le 28 Février 2011 par Paul Machto

Une pétition nationale, nouvel appel du «Collectif des 39 contre lanuit sécuritaire», vient d'être publié. Près de 10.000 signataires sesont déjà manifestés, parmi lesquels on relève notamment les noms de Stéphane Hessel, Edgar Morin, Jack Ralite, Jean Oury

Le titre de l’Appel dont les lecteurs de Médiapart ont eu la primeur il y a quelques jours[1], n’a pas été choisi pour le plaisir du jeu de mot. Quoique … Car l’Etat, en l’occurrence le Président de la République actuel et son gouvernement, des raisons ils en ont.

Et plutôt des mauvaises : le projet d’engager la psychiatrie, et peut être aussi la société vers une orientation « contrôlitaire », une « Police Sanitaire Spécialisée».

En effet le projet de loi qu’ils nous ont concocté, « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », s’il est adopté, va entraîner un basculement paradigmatique en psychiatrie analogue à ce que la loi Dati sur « la rétention de sûreté »  en février 2008, a provoqué pour le Droit.

Le texte va passer en première lecture à l’Assemblée Nationale, le mardi 15 mars, après un simulacre de concertation : une heure et demi d’audition en une seule fois, une « table ronde » avec l’ensemble des syndicats de psychiatres, le syndicat des psychologues, etc.

Hasard du calendrier ? Retour dans l’inconscient gouvernemental ?

Il se trouve que le 15 mars est la date anniversaire de la circulaire qui a fondé la Politique de Secteur Psychiatrique en France, voilà 51 ans, le 15 mars1960 !!!

Pour l’anniversaire de la création d’une politique de soins psychiatrique, alors inédite dans le monde,  une politique prévoyant la prise en charge de la prévention, des soins et de la« post-cure », comme on disait à l’époque, par une même équipe soignante pluridisciplinaire à l’hôpital et dans la cité, le quartier, l’ouverture sur la ville, la réinsertion des malades, le désaliénisme, la déségrégation, voilà un beau cadeau : le renfermement programmé.

Avec ce projet, toute personne qui ne donne pas son consentement à des soins psychiatriques pourra être hospitalisé 72 h., sous des modalités assimilées à une garde à vue psychiatrique. Elle pourra être ensuite « internée à domicile », grâce à ce que le projet de loi énonce comme « des soins sans consentement en ambulatoire » avec obligation d’être soumise à un traitement que l’on sous entend comme neuroleptique, médicamenteux.

La camisole chimique à domicile, l’internement chez soi, avec un bracelet électronique offert par le ministère de la santé et la sécurité sociale !

Pour ne pas être en reste, l’individu verra son identité inscrite dans un casier judiciaire psychiatrique à vie.

Mais, objecterez-vous, « ceci est peut être nécessaire pour les fous dangereux » ?

Sauf que les fous dangereux ne sont pas si nombreux que cela, je ne vous citerai pas ici les études scientifiques, françaises et internationales. Les fous, les patients atteints de désordres psychiques, sont beaucoup plus dangereux …. pour eux-mêmes, comme nous l’apprend parfois douloureusement la pratique quotidienne en psychiatrie.

Mais aussi, ne constate-t-on pas l’extension du domaine des troubles psychiques ?

La souffrance au travail, les conflits dans le monde de l’entreprise où vexation, humiliation, qui confine parfois à de la persécution, ce que la mode éditoriale a dénommé « harcèlement », les conflits intra – familiaux, les difficultés affectives et identitaires de l’adolescence … tout ceci, et j’en oublie, entraînent des manifestations psychiques, des troubles de l’humeur, des malaises existentielles extrêmes, que la psychologisation facile nomme« Dépression ».

Ainsi vous percevez l’ampleur du nombre de personnes concernées potentiellement par les soins psychiatriques. Certaines études ont avancé le chiffre d'un tiers de la population touchée par des troubles psychiques. Parmi toutes ces situations souvent fort complexes, combien de personnes se sentent « malades » ? Combien acceptent facilementl’idée de consulter un psychiatre, un psychothérapeute, un psychanalyste ? Et lorsque l’entourage, un ami, un parent, un collègue de travail, sera suffisamment inquiet, lorsque le consentement aux soins sera difficile à obtenir, , s’il se laisse gagner lui aussi par l’inquiétude, le médecin sollicité aura facilement recours à la loi.

Ainsi vous découvrez le champ d’application des soins sans consentement 

Mais également, nous le savons d’expérience, la loi va entraîner, va entériner des pratiques de plus en plus sécuritaires. L’état d’esprit des soignants à l’encontre des malades va être particulièrement influencé, modelé, par l’esprit de la loi. Les patients sous prétexte de non-consentement seront encore moins pris en compte comme des sujets, des « soins » réduits aux médicaments seront imposés « pour leur bien ».

De trop nombreuses pratiques ont déjà particulièrement dérivé vers  l’inacceptable, l’insupportable régression et le retour à l’enfermement asilaire. Ce projet de loi ne va que les banaliser, les amplifier.

Nous publions aujourd’hui dans Médiapart, les premiers signataires qui ont rejoints les membres du Collectif des 39.

Nous avons eu la surprise avant toute publication dans les médias de voir près de 10.000 citoyens, acteurs du monde de la culture, professionnels signer cet appel en moins d’une semaine !

Parmi eux, au premier rang, nous avons eu l’honneur de voir s’engager, Stéphane HESSEL, ambassadeur de France, Edgar MORIN, sociologue, Jack RALITE, ancien Ministre de la Santé, Jean OURY, éminent psychiatre, soutenir ce nouvel appel des 39.

D’autres personnalités, intellectuels, écrivains, artistes, politiques se sont aussi mobilisés à nos côtés pour exiger le retrait du projet de loi.

La diversité des signataires est remarquable : des personnes signent en tant que « malade bipolaire », « poète », « retraité de l’enseignement » etc. Des responsables et des adhérents d’associations de patients, comme Advocacy, comme les « V.I.P. en psy », les Voix Iséroises de Patients en psy, de Grenoble, des syndicalistes.

De très nombreux soignants, mais aussi fait particulièrement notable, de très nombreux psychanalystes, membres d’associations de psychanalystes les plus diverses.

Nous vous invitons à prendre connaissance de cet appel : « Réforme de la psychiatrie : une déraison d’Etat », et à signer, en cliquant sur le lien : http://www.collectifpsychiatrie.fr/phpPetitions/index.php?petition=8

Pour lire l’analyse et la position du Collectif des 39 dans un texte plus détaillé que ne peut le faire une pétition, allez sur les site :http://www.collectifpsychiatrie.fr


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Dernière mise à jour de cette page le 03/03/2011

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