Table des matières
« Air Sarko One » – surnom déjà largement répandu de l’Airbus A330 exploité pendant dix ans par Air Caraïbe, et racheté par l’Etat français au loueur américain ILFC – est en phase finale d’essais à Bordeaux-Mérignac, où il est aménagé par la société Sabena Technics depuis mai 2009. Il devrait être livré à la Direction générale de l’Armement (DGA) à la fin de ce mois, puis affecté à l’escadron de transport, d’entraînement et de calibration (ETEC, ex-Glam), qui gère le parc de transport aérien des personnalités gouvernementales.
L’A330-200, adapté aux besoins de son hôte futur du moment – déplacements fréquents, lointains, rapides, nocturnes, etc. –, ne pourra pas en principe, en raison de ses dimensions, utiliser la piste de Villacoublay, dans l’ouest parisien, d’où opèrent la plupart des appareils gouvernementaux, en tout cas s’il est à pleine charge. Il embarquera et débarquera le plus souvent le président et sa suite à Orly, mais sera basé à Evreux, dans l’Eure, pour plus de sécurité.
L’Elysée, pour justifier cet achat, invoque :
sa large autonomie (qui permettra d’éviter les sauts de puce, avec de fatigantes escales, accompagnées d’un protocole pesant) ;
l’économie réalisée sur un achat d’occasion (un coût de la moitié du neuf, diminué de la revente des deux A319 actuels, bien qu’aggravé par l’aménagement VIP) ;
une pollution moindre ;
et surtout l’efficacité plus grande de la gestion gouvernementale (grâce à un équipement dernier cri en matière de communications, transmissions, sécurité, navigation, confort).
Chère heure de vol
Ce long courrier à moyenne capacité – 12 000 kilomètres d’autonomie, entre 253 et 380 passagers en version grand public – est destiné à remplacer les deux Airbus A319 actuels, de 6 900 km de rayon de vol – dont l’heure de vol a été facturée en moyenne 11 684 euros en 2009 à l’Elysée et aux ministères-clients. L’heure de vol sur le nouvel A330-200 pourrait revenir à 18 000 euros environ.
L’appareil comportera, outre une configuration « VIP » (chambre, salle de bains, bureau, salle de réunion, cabines pour les « suites »), un système de communications cryptées, un dispositif de protection anti-missiles, ainsi qu’un ensemble de médicalisation de type Morphée (qui le rendra apte à des évacuations sanitaires).
Ces travaux d’aménagement (d’un coût d’une trentaine de millions d’euros) s’ajoutent à l’achat de la machine (60 millions), et font partie d’un plan de renouvellement des avions gouvernementaux (180 millions au total) dont une première phase était inscrite au budget 2010 du ministère de la Défense.
Cadeau pour Dassault
Encore plus fort : le « chèque-cadeau », ou en tout cas la belle rallonge accordée tout récemment au groupe Dassault. Pour assurer à l’avionneur un plan de charge minimal, en l’absence de tout succès de la vente à l’export du chasseur Rafale, le ministère français de la défense anticipe ses propres acquisitions, pour un coût supplémentaire de 800 millions : la préparation de la loi de finances 2011 a contraint le ministère à admettre ce tour de passe-passe, mais personne ne souhaite s’étendre sur le sujet, et surtout pas Le Figaro...
Ainsi, une commande de 11 appareils par an sera inscrite au budget entre 2011 et 2013 : au lieu des 22 chasseurs qu’il était prévu d’acquérir sur l’ensemble de cette période, 33 seront livrés, soit 11 machines de plus que prévu initialement. Mais le ministère, dont les crédits sont en baisse, va devoir du coup retarder d’autres programmes, qui étaient sur les rails pour les prochains budgets, comme la rénovation des Mirage 2000D, la commande des ravitailleurs multirôles MRTT, ou le financement des programmes de drones.
Dassault assure que ces Rafale auraient été commandés de toute façon par l’armée de l’air française, et qu’il s’agit simplement – avec ce « décalage » – de sauvegarder la chaîne de production, et donc un savoir-faire. Reste que le soutien de l’Etat français à cet avionneur unique, monopoliste, dont l’activité militaire repose sur la seule commande publique, apparaît comme un coup de pouce de plus au groupe privé Dassault.
Serge Dassault, son patron, est aussi sénateur UMP, et possède notamment le quotidien gouvernemental Le Figaro. Il s’apprête, apparemment – avec la bénédiction, voire sur commande de l’Elysée – à prendre possession du quotidien populaire Le Parisien [1].
Ruineuse dissuasion
Beaucoup plus fort, et toujours sous un épais voile de silence : la modernisation du parapluie nucléaire militaire, notamment de la composante maritime de la dissuasion, avec le lancement – « dans la plus grande discrétion », précisent nos confrères du site Mer et Marine, un des mieux informés du genre – du programme de refonte de ses trois premiers sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) du type Le Triomphant. Ils vont être progressivement portés au standard du Terrible, le SNLE livré à la marine le 20 septembre dernier, avec la mise en œuvre du nouveau missile à très longue portée M51.
« Qu’il s’agisse de la Marine nationale, du ministère de la défense ou de DCNS, commente Mer et Marine, c’est actuellement le silence radio sur le programme IA M51, malgré son importance. Il fait même office de « sujet tabou », tous les acteurs impliqués ayant manifestement reçu l’ordre de ne pas communiquer sur le sujet. Selon certaines sources, l’Etat ne souhaite pas de publicité autour du projet, considéré comme très sensible au moment où le pays se met à l’heure de la rigueur budgétaire. En hauts lieux, on craindrait que les sommes engagées dans le nucléaire ne fassent l’objet de critiques, voire soient utilisées par les opposants à la politique gouvernementale. »
Car, actuellement, « c’est bien l’ensemble des moyens de la dissuasion française qui est renouvelé et nécessite, par conséquent, la mobilisation d’une enveloppe budgétaire très importante. Ainsi, un rapport parlementaire précise que pas moins de 20,2 milliards d’euros sont affectés aux forces nucléaires de la marine et de l’armée de l’Air sur l’actuelle loi de programmation militaire (2009-2014). Cela représente près de 20 % des crédits d’équipements du ministère de la défense sur ces cinq années ».
Au total, voilà le type d’« investissements » qui – s’ils étaient mieux connus du grand public – ne manqueraient sans doute pas de scandaliser ceux qui s’apprêtent, par exemple, à perdre des journées de salaires dans le sillage des grèves reconductibles lancées à partir du 12 octobre. Même s’ils savaient que, comme les autres secteurs, la défense subira une cure d’amaigrissement, avec pour 2011 :
la perte de 6 000 postes,
une amputation de 3,5 milliards sur ses crédits,
et la poursuite du programme de fermeture de régiments et du regroupement des unités autour d’un nombre plus limité de « bases de défense » inter-armées.