Ce mercredi, 5 500 personnes, souvent anonymes, parfois représentant une association, une ONG ou un syndicat, se sont données rendez-vous à 13h30 devant les grilles de nombreux palais de justice pour protester contre le « délit de solidarité ». L'idée a émergé dans le milieu des soutiens aux sans-papiers quand a été dévoilé (via la loi de finances 2009) l'objectif du gouvernement de grimper à 5 500 interpellations sur l'année. (Voir la vidéo)
Officiellement, la cible des autorités serait les passeurs, comme le montre aussi la dernière lettre de mission de Nicolas Sarkozy à son ministre. C'est aussi la ligne que tenait ce mercredi matin sur France Inter Eric Besson, ministre de l'Immigration, de l'Identité nationale.
Pourtant, la loi française est assez floue pour que, selon l'article L-622-1 du code sur l'entrée et le séjour des étrangers en France, passeurs et simples citoyens ou représentants d'association puissent être assimilés à un même délit. Y compris quand il s'agit seulement de recharger les batteries d'un téléphone portable ou d'assurer le lien avec la famille du migrant restée au pays.
En toutes lettres, voilà ce que dit l'article en question :
« Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 euros. »
C'est contre la criminalisation qui va avec que s'élèvent ceux qui se rassemblent ce mercredi après-midi dans plusieurs villes de France, avec un fort relais associatif, de la Cimade au Gisti en passant par France Terre d'asile et Emmaus (entre autres).
« Un mythe », répond le ministre de l'Immigration
Sur France Inter, Eric Besson rétorquait pourtant le matin-même que « ce délit de solidarité n'existe pas, c'est un mythe » alors que le Parti socialiste a déposé un projet de loi visant à l'abroger. (Voir la vidéo.)
Pour étayer sa réplique, Eric Besson se base sur un autre article, le L-622-4, qui vient compléter le corpus sur l'aide au séjour irrégulier, et qui précise, c'est vrai, que les simples bénévoles qui aident « une personne en détresse » ne sont pas concernés par les poursuites. En toutes lettres, voilà les nuances qu'apporte ce deuxième extrait :
« De toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte. »
Pour battre en brèche l'idée d'un flou du droit, le successeur de Brice Hortefeux va plus loin :
« Le simple fait qu'en 65 ans personne n'a été condamné sur cette base pour avoir été simplement bénévole, hébergé des personnes, etc., vous dit bien qu'il n'y a pas de flou. »
La tradition… et l'évolution récente sur le terrain
L'argument pourrait être efficace s'il n'était que partiellement vrai. En effet, la jurisprudence acte que les parquets n'avaient pas pour tradition de poursuivre ces anonymes qui interviennent sur le terrain, parfois en hébergeant des migrants, notamment depuis la fermeture de Sangatte dans la région de Calais.
Or ce que dénoncent associations et « aidants » mobilisés ce mercredi, c'est précisément un surcroît plutôt récent de pression policière et judiciaire avec des poursuites en hausse, par exemple sous le prétexte officiel d'« outrage ». Sans compter que l'argument de poursuites qui concerneraient uniquement les passeurs est fragile : parmi les aidants interpellés récemment, la part des étrangers s'est stabilisée là où de nombreux Français sont concernés, comme le décrypte à partir des documents officiels Serge Slama, juriste et militant au Gisti, sur son blog.
Et c'est là que le « mythe » dont parle Eric Besson prend du plomb dans l'aîle. En effet, Rue89 comme de nombreux médias se sont fait écho, ces derniers mois, de plusieurs affaires dans lesquelles des bénévoles ou des responsables associatifs ont été inquiétés - chez Emmaus par exemple, en février.
Sur Inter toujours, le ministre a balayé ces cas d'un revers de la manche, croyant parfois savoir qu'ils avaient fait transité de l'argent vers les passeurs et s'abritant surtout derrière l'indépendance de la justice :
« Trois ou quatre affaires sont en cours mais je n'ai pas le droit de les commenter. »
Au Syndicat de la magistrature, qui participe à la mobilisation, Matthieu Bonduelle, secrétaire général, revient au droit pour expliquer que, dans les faits, les forces de l'ordre jouent avec la loi :
« Cet article est écrit dans des termes extrêmement larges. Même si Besson parle des exemptions que posent l'article L622-4, le texte n'empêche aucunement le placement en garde à vue de personnes qui viennent en aide à des sans-papiers. Alors, oui, peut-être que comme le dit Besson, il n'y a pas beaucoup de condamnations mais il y a régulièrement des gardes à vue. »
Manon L'Hostis et Chloé Leprince