Owni. Le 12 Juillet 2011 par Elodie Vialle (publié par Marie)
Jusqu’à ses 20 ans, il n’avait jamais touché un ordinateur. Comme tous les hommes de son village, situé dans le nord-est du Brésil, au sud de l’Etat de Bahia, Jaborandy Yandê se levait le matin à 3h pour partir à la pêche jusqu’à 20h, trois jours par semaine. Le reste du temps, ce jeune homme, qui arbore un sourire timide et des bras couverts de tatouages traditionnels, travaillait dans les champs de manioc.
Dans sa nouvelle vie, ce geek de 27 ans porte des jeans larges, des tee-shirts affichant le nom de son peuple (“Tupinambá de Olivença“), se sent à l’aise face aux flashs d’un photographe, donne des interviews.
Ce changement, il le doit à l’ONG brésilienne Thydewa, qui gère le réseau Indiosonline [BR], et qu’il a rejoint en 2004. Leur objectif ? Faire du web, des téléphones portables et des caméras de poche de nouveaux instruments de lutte pour défendre l’identité et les terres des Indigènes.
Jaborandy se souvient :
J’ai tout de suite aimé les ordinateurs, envoyer des mails, communiquer avec d’autres communautés.
Son nouveau job, “agent socio-digital“, consiste à se rendre dans les villages indigènes du Nordeste brésilien pour faire ce que les Anglo-Saxons nomment l’”empowerment“, cette activité visant à donner à des populations démunies les moyens de se faire entendre.
Malgré une connexion parfois défaillante, ce réseau offre aux villageois la possibilité de dialoguer entre différentes tribus sur un tchat commun. Vingt-six ethnies participent à ce projet, soutenu par des programmes gouvernementaux d’aide aux populations indigènes.
Plusieurs responsables – un par zone géographique – organisent des tchats thématiques chaque jour, sur la santé, les territoires, l’éducation… Mais pour le jeune homme, fils d’un leader politique, les nouvelles technologies deviennent rapidement beaucoup plus qu’un passe-temps.
Un jour, il y a 4 ans, j’allais dans un village voisin du mien, rendre visite à mon frère dont la femme venait d’accoucher. Et puis, j’ai vu un homme qui coupait des arbres avec une tronçonneuse, entouré d’animaux morts. J’ai pris une photo avec mon téléphone, prétextant le fait que je n’avais jamais vu de tronçonneuse. J’ai tout posté sur le Indiosonline. L’office qui s’occupe des forêts s’est intéressé à l’affaire, une enquête a été menée. J’étais impressionné de l’impact que ça pouvait avoir.
Positif comme négatif ; pendant le mois qui a suivi cette affaire, son frère et lui ont été, dit-il, menacés de mort.
Mais Jaborandy ne recule pas. Il décide au contraire de faire des vidéos et de les diffuser “pour montrer ce qui se passe”, raconter la vie des Indiens.
Si aujourd’hui il trouve la force de parcourir le pays et de se rendre à l’étranger pour faire entendre sa cause – quitte à ne pas voir sa petite amie et sa famille pendant plusieurs mois – c’est parce que Jaborandy a une conviction : le web peut changer la vie des Indiens d’Amérique. Ou plutôt leur permettre de conserver la vie qu’ils ont aujourd’hui, menacée par l’expropriation, la déforestation, un manque d’accès aux soins et à l’éducation.
Pour lui, l’État doit reconnaître officiellement que les terres “offertes” à de grands propriétaires terriens par le passé appartiennent en fait aux Indigènes qui les cultivent, et à partir de là, développer l’écotourisme pour limiter la déforestation.
Nulle contradiction, selon lui, entre la volonté de perpétrer les traditions, tout en étant dans une logique “web 2.0″. “Pour moi, c’est un arc digital”, assume Jaborandy d’une voix sereine. “Je suis aussi utile à ma communauté que si je partais chasser. “
Bloguer, tchatter, envoyer des mails, et mettre des vidéos sur Youtube : une révolution pour des ethnies qui vivent dans des villages reculées et ne se rendent ”à la ville” que pour vendre leurs productions. Mais les “anciens” semblent, d’après Jarobandy, bien s’adapter malgré quelques réticences. “Ils nous dictent les messages pour qu’on écrive les mails”, sourit le jeune homme.
Jaborandy Yandê n’a pas franchement le style de Raoni, ce grand chef qui parcourt le monde, couvre-chef à plumes sur la tête et colliers traditionnels autour du cou, pour plaider la cause des Indiens d’Amazonie. Mais le jeune homme s’incline devant cette figure paternaliste et médiatique qui a su parler pour “tous les Indiens”, et pas seulement pour sa tribu.
Lui aussi commence à parcourir le monde, comme en juin dernier lorsqu’il s’est rendu en Europe pour la première fois, à l’occasion du festival Autres Brésils à Paris. Ce féru d’architecture – son autre passion, après le web – a été impressionné par les “les maisons, très différentes”, et par le rythme des Parisiens, “vous êtes toujours pressés, ici”, s’amuse-t-il.
Le jeune militant a profité de son séjour pour prendre la parole face à des travailleurs dans des foyers de migrants, à l’occasion d’un festival de cinéma.
Si les grands médias ne s’intéressent pas à vous, vous devez vous battre, faire vos propres vidéos, montrer au monde ce que vous vivez.
Très applaudi, le jeune Indien de Tupinambá de Olivença répète son discours à qui veut l’entendre.
Tout ce que nous voulons, c’est pouvoir rester au village, avec les anciens. Vivre comme avant. Mais sans occulter les progrès technologiques et sociaux.
> Retrouvez toutes les vidéos sur le site Indiosonline.
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