Après six mois passés à se déchainer contre la zone euro, les marchés semblent enfin se calmer, même s’ils restent encore très méfiants. Ils ont en tout cas quitté le mode « panique » comme le montre la remontée rapide de l’euro qui a effacé deux mois de baisse continue face au billet vert en repassant brièvement, vendredi, au-dessus de 1,30 dollar (depuis il est légèrement en dessous, mais loin des 1,19 dollar qu’il avait atteint fin mai). La dégradation, lundi, par Moody’s, de la note souveraine de l’Irlande (de Aa1 à Aa2, soit quand même la troisième meilleure note possible), après celle, le 14 juillet, du Portugal (de Aa2 à A1) n’est pas parvenue à rallumer le feu.
Lundi, l’International Herald Tribune (reprenant un article du New-York Yimes) s’étonne d’ailleurs du « changement rapide de la psychologie des investisseurs » dans un long article titré : « Soudain, les investisseurs apprécient l’Europe » (« Suddenly, Europe is looking good to investors », article qui cite l'interview de Jean-Claude Trichet que vous avez pu lire sur ce blog). Il rejoint l’avis de l’Allemand Klaus Regling, patron, depuis le 1er juillet, du Fonds européen de stabilisation doté de 440 milliards d’euros, qui affirme dansles Échos : « tout indique que la situation se normalise en Europe ». « Je constate simplement que les marchés financiers sont devenus plus calmes ces dernières semaines, depuis que les ministres des finances européens ont décidé de mettre sur pied ce fonds de stabilisation », ajoute celui qui fut longtemps directeur général chargé des affaires économiques et monétaires à la Commission. La dernière incertitude qui pesait sur l’existence de ce fonds a été levée jeudi lorsque la Slovaquie a enfin donné son feu vert à sa création.
Les bonnes nouvelles sont tombées en cascade ces derniers jours : la Grèce a réussi son retour sur les marchés en empruntant 1,65 milliard le 13 juillet à un taux élevé (4,65 % à six mois), mais guère plus qu’il y a deux mois, lorsqu’elle n’avait pas annoncé son plan de rigueur. L’Espagne, elle aussi, est parvenue, sans difficulté, à émettre des obligations d’État à trois reprises en juillet : le 15 juillet, elle a levé 3 milliards d’euros à 15 ans à 5,116 % contre 4,43 % en avril. Même succès pour le Portugal et l’Italie. Ce qui éloigne le spectre d’une intervention du Fonds de stabilisation. La Banque centrale européenne (BCE) a, de son côté, considérablement ralenti ses achats de dette souveraine sur le marché secondaire (celui de la revente), ce qui confirme que la situation se normalise.
« Désormais, nous avons les instruments de torture nécessaires dans le tiroir pour intervenir si les marchés s’attaquent encore à un pays de la zone euro », s’est réjoui hier, Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe, l’instance qui regroupe les ministres des Finances de la zone euro, lors d’un entretien que j’ai eu avec lui. Il aura fallu six mois à la zone euro pour se mettre en ordre de bataille, mais elle a désormais les instruments nécessaires pour réagir…
Les plans d’austérité adoptés par les États les plus fragiles de la zone euro sur le plan budgétaire commencent, eux aussi, à faire sentir leurs effets sur les comptes publics. C’est notamment le cas de la Grèce dont le FMI et la Commission viennent de souligner les« progrès considérables »accomplis en quelques mois sur la voie du redressement de ses finances. Pour les six premiers mois, le déficit grec a ainsi été réduit de près de 50 % par rapport à la même période de 2009.
Cela étant, les marchés restent l’arme aux pieds, comme le montre les taux d’intérêt des CDS, les « credit default swap », ces assurances contractées par les prêteurs pour se couvrir d’un éventuel défaut de l’État, qui restent à leur plus haut, en dépit du plan d’aide européen à la Grèce et de la création du Fonds de stabilisation. Ce qui indique que les marchés parient toujours sur un défaut de paiement de la Grèce, mais aussi de l’Irlande, de l’Espagne ou du Portugal… Il faudra plusieurs mois, voir plusieurs années, pour que la confiance revienne et que les investisseurs se persuadent qu’ils retrouveront bien leur argent.
Surtout, les investisseurs ont d’autres soucis en tête que la zone euro : la croissance américaine ralentit, faisant craindre une rechute dans la récession (on n’en est pas encore là). En outre, toute une série d’États fédérés américains est au bord de la faillite, comme l’Illinois, la Californie, l’Ohio, le Michigan, la Floride ou le New Jersey... Les marchés prennent enfin conscience que, comme je l’ai écrit à plusieurs reprises sur ce blog, la situation budgétaire des États-Unis ou de la Grande-Bretagne est bien plus dégradée que celle de la Grèce ou de l’Espagne, leur dette publique risquant d’atteindre, selon la Banque des règlements internationaux, des niveaux insoutenables d’ici une trentaine d’années, même s’ils adoptent des politiques de rigueur (entre 300 et 500 % du PIB, selon le scénario, pour la Grande-Bretagne, entre 200 et 430 % pour les États-Unis…). Bref, la crise de la dette souveraine qui a ravagé la zone euro à cause de la crise de la dette privée venue des États-Unis risque de traverser l’Atlantique. Ce qui n’est pas souhaitable pour la croissance européenne.
En attendant, ceux qui, économistes ou chroniqueurs, annonçaient la fin de la monnaie unique en sont encore une fois pour leurs frais, à l’image de mon collègue Pierre-Antoine Delhommais du Monde qui n’hésitait pas à qualifier l’euro de « monnaie moribonde » il y a quelques semaines… L’euro est tellement moribond que la Chine vient de réaffirmer, par la voix de son premier ministre, Wen Jiabao, en visite à Berlin, la semaine dernière, que « le marché européen a été, est encore, et restera dans l’avenir parmi les principaux marchés pour les investissements chinois à partir de ses réserves de devises étrangères ». Au fait, n’était-ce pas le grand quotidien britannique des affaires qui annonçait, le 17 mai dernier, que la Banque centrale chinoise allait se débarrasser de ses réserves en euros ?