Plume de Presse. 16 décembre 2010 par Olivier Bonnet
Un de plus ! Décidément les voix sont de plus en plus nombreuses parmi les économistes à dénoncer les politiques de rigueur infligées aux peuples européens. Après Joseph Stiglitz, « prix Nobel » d’économie, et « les économistes atterrés », voici Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études à l’OFCE, le centre de recherche économique de Sciences Po. Il s’explique dans Le Monde.
On a gaspillé de l’argent à donner plus à ceux qui avaient déjà trop
« Le facteur de crise, c’est le fait que ces dernières années, les hauts salaires ont fortement augmenté, et cela à peu près partout dans le monde, au détriment des bas salaires, particulièrement ceux qui sont juste au-dessus du salaire minimum, mais en dessous du salaire médian, qui ont stagné. Car d’un côté on a donné beaucoup plus à ceux qui avaient déjà de hauts revenus, donc ceux qui logiquement ne pouvaient pas consommer beaucoup plus que ce qu’ils consommaient déjà – il y a un moment où la consommation sature : pour caricaturer, il est rare que celui qui a déjà une Porsche, en achète une seconde et encore moins une troisième… – et de l’autre on a rationné la consommation de ceux qui en avaient un fort besoin. Aux Etats-Unis, on a cru un temps avoir résolu la quadrature du cercle en disant « pour consommer, les bas salaires peuvent s’endetter » et c’est comme ça que ce système bancal a été maintenu en vie par des crédits à la consommation et des taux d’intérêt peu élevés. Le résultat de ces logiques, c’est d’un côté des hauts revenus qui ne sachant plus quoi faire de leur argent se mettent à spéculer, et de l’autre des bas revenus qui se sont surendettés pour pouvoir consommer. C’est la crise de 2008. Ce qu’elle a démontré c’est qu’on avait gaspillé de l’argent à donner plus à ceux qui avaient déjà trop. Et qu’il fallait absolument remettre en ordre la hiérarchie salariale pour qu’elle soit efficace du point de vue économique. (…) ce n’est pas du tout le choix qui est fait par les gouvernements européens notamment, qui ont tous annoncé des budgets d’austérité, dont beaucoup prévoient au contraire de baisser les salaires des fonctionnaires. Ce sont des choix qui me semblent inquiétants car ils risquent de nous faire replonger dans la crise.
Le cercle vicieux de la rigueur
Ces politiques qui visent à faire des économies budgétaires réduisent la dynamique salariale, réduisent l’emploi public, et donc fre
inent la consommation. On réduit la demande au moment même où les usines sont en sous-production, où le chômage est élevé, donc où on a un
e capacité industrielle et humaine sous-exploitée. On ne fait qu’approfondir le déséquilibre. Et ceux qui disent que l’Etat n’a plus les moyens de faire des budgets de relance oublient que lorsque les salaires sont bas, les impôts sont bas et les recettes fiscales sont faibles. C’est très déprimant d’être dans une situation d’endettement mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas l’endettement public qui nous a mis dans cette situation difficile. C’est une crise de la dette privée. Et c’est pour éviter une crise financière de l’ampleur de celle des années 30 que les gouvernements ont dû creuser la dette publique. Entre deux maux, ils ont choisi le moindre. Cet endettement public, qui était indispensable, on ne pourra pas le résorber avant dix ou quinze ans. Donc on pourrait voir à moyen terme et envisager d’augmenter les salaires maintenant pour faire repartir l’économie. Mais là on se confronte à ce que les économistes appellent un « problème de cohérence intertemporel » : le temps du politique n’est pas celui de l’économie. Il faudrait faire un plan cohérent sur quinze ans. Pas sur les deux prochaines années. »
Gérard Cornilleau ne traite pas des motivations idéologiques qui sous-tendent l’austérité – ce n’est pas son boulot. Mais comme la politique guide typiquement ce type de choix – contrairement à ce que prétendent justement ces charlatans de libéraux, selon lesquels « il n’y a pas d’alternative » -, comment interpréter l’attitude en apparence totalement aberrante et suicidaire de nos dirigeants, aussi bien sarkozystes chez nous que partout ailleurs en Europe, jusqu’au FMI du « socialiste » Dominique Strauss-Kahn ? Hasardons l’hypothèse d’une fuite en avant, suivant l’adage qui veut que « ce qui est pris n’est plus à prendre », une énième version d’ « après-moi le déluge » ou encore, pour reprendre un titre célèbre de Woody Allen, Prends l’oseille et tire-toi. La cupidité de l’oligarchie la conduit à négliger le fait même que la misère généralisée des peuples finira par réduire ses sacro-saints profits ! Enivrée par sa richesse et son pouvoir, elle croit aussi sans doute tenir dans les circonstances actuelles l’occasion rêvée de terrasser définitivement toute opposition sociale à ses appétits gargantuesques. Jean-Jacques Chavigné (journaliste de la revue Démocratie & socialisme) et Gérard Filoche (rédacteur en chef de ce même titre et dirigeant socialiste-sans-guillemet) décrivent avec talent le phénomène dans un article publié sur le blog de ce dernier : « Les dirigeants néolibéraux de l’Union européenne ont décidé d’utiliser la dette publique comme un levier pour en finir avec les acquis sociaux des peuples européens. Ils appellent ça «la pédagogie de la dette». Les responsables de la crise, les banques, les spéculateurs pourront tranquillement continuer à spéculer et à préparer ainsi la prochaine crise financière. C’est ce qu’ils ont fait en Grèce où l’Union Européenne et le FMI ont mis un «plan d’aide à la Grèce» qui soutient la Grèce comme la corde soutient le pendu. Un «plan d’aide» qui s’attaque aux acquis sociaux des salariés grecs et livre les services publics aux multinationales. » Face à ce rouleau compresseur qui écrase le continent, et bien que Filoche appartienne (hélas !) toujours au PS, les peuples n’ont rien à attendre des sociaux-démocrates, comme l’illustrent les cas espagnols, portugais et grecs, où ils sont les promoteurs de cette politique d’austérité qui n’est qu’un nouvel avatar de la guerre des classes. Quant aux représentants français de cette confrérie, ils ont coutume d’additionner leurs votes au parlement européen à ceux des libéraux. Et inutile de rappeler que le chouchou actuel des sondages, qui pourrait être leur candidat en 2012, démontre avec éclat à la tête du FMI à quel point il est vendu à l’oligarchie financière.
La seule opposition qui vaille, avec celle de ce qu’il reste de syndicats non-collaborationnistes, est par conséquent celle du Parti de la gauche européenne, fédérant les organisations rouges et vertes de l’autre gauche (radicale) de 20 pays différents, présidé par le Secrétaire général du PCF, Pierre Laurent, et dont les représentants français sont les eurodéputés du Front de gauche. Il organisait son troisième Congrès à Paris du 3 au 5 décembre. Voici sa profession de foi : « Des sacrifices de plus en plus insupportables sont imposés aux peuples européens, déplore-t-il dès l’introduction de la Feuille de route sociale du Congrès. En effet, dans la grande majorité des pays européens s’appliquent des programmes de réduction des dépenses publiques, de superaustérité, de libéralisation des services publics et du marché du travail. Pour généraliser ces politiques, les pays, avec la complicité totale des gouvernements, sont placés sous tutelle par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et d’autres institutions comme le FMI. Ces politiques sont présentées comme une réponse nécessaire à la crise économique et financière. Mais celle-ci est celle de la toute-puissance des marchés et du grand capital. Elle est la crise du capitalisme actuel, financier et mondialisé. Cette crise s’étend à l’environnement, à l’énergie, à l’alimentation, à la culture et aux valeurs morales. C’est pourquoi elle se manifeste à tous les niveaux politiques et dans toutes les sociétés régies par le mode de production capitaliste et, de ce fait, au sein de la construction européenne avec ses orientations actuelles, ses politiques néolibérales et ses institutions. La crise actuelle de la dette constitue une nouvelle phase de cette crise. Elle a ses racines dans les évolutions économiques et sociales des trente dernières années. Cristallisant l’ensemble des facteurs de crise, elle affecte maintenant de plus en plus la vie quotidienne des populations. Nous, Parti de la gauche européenne, avec les autres partis et organisations socialistes, communistes et rouges-verts qui constituent la Gauche européenne dans sa pluralité, nous nous opposons à ces politiques et à ces structures néolibérales appliquées à l’Union européenne au travers des traités successifs, jusqu’au traité de Lisbonne. » Elle s’oppose, parfait, mais hélas à l’heure actuelle, le poids électoral des composantes de l’autre gauche la fait pisser dans un violon.
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