Affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy, ou comment noyer le poisson selon les règles de l’art

Mécanopolis. Le 18 Juillet 2010 par Faouzi Elmir

 

ump4Pour mieux comprendre comment l’affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy prend une nouvelle tournure et se métamorphose d’une affaire de financement occulte de parti politique en une simple affaire de délinquance financière, il faut lire attentivement ce qui va suivre. Depuis plus d’un mois, chaque jour apporte son lot de révélations dans l’affaire Bettencourt devenue le feuilleton de l’été 2010, qui est en passe d’éclipser les séries télévisées du genre Les Feux de l’Amour, Colombo et Inspecteur Derrick. Quoiqu’en disent les « gueulards » et les « aboyeurs » de l’UMP, Fillon en tête qui demande aux députés UMP « d’avoir des nerfs d’acier », et Sarkozy qui a « blanchi » lui-même son ministre de travail en monopolisant lundi 12 juillet l’antenne sur France 2, de 20 heures à 21H30, Mediapart a visé juste et l’affaire Bettencourt réunit tous les ingrédients d’une affaire politico-financière, c’est-à-dire de financement occulte d’un parti politique par une généreuse et richissime mécène, la milliardaire octogénaire Liliane Bettencourt.

Après les révélations de Mediapart, le parti socialiste réclame la constitution d’une commission d’enquête parlementaire et la nomination d’un juge indépendant. En demandant la constitution d’une commission d’enquête parlementaire, le parti socialiste sait pertinemment que les résultats de l’enquête accoucheront d’une souris et que l’UMP et le gouvernement s’en serviront, comme l’ont fait avec le rapport bidonné de l’IGF, pour se « blanchir » eux-mêmes. Attendre qu’une commission parlementaire fasse éclater la vérité dans l’affaire Bettencourt, c’est peine perdue , car elle ne dispose d’aucun pouvoir contraignant à l’égard des principaux protagonistes et encore moins vis-à-vis de Woerth et de Sarkozy. On voit mal une commission parlementaire aller mettre le nez dans les comptes de l’UMP. Ce n’est pas pour rien que Bernard Accoyer, président de l’Assemblée Nationale, s’est empressé pour approuver la proposition des socialistes pour la constitution d’une commission d’enquête parlementaire dans l’affaire Bettencourt.

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Quant à la désignation d’un juge indépendant, les socialistes se montrent assez naïfs et ils sont frappés par une incroyable amnésie en oubliant l’affaire Urba au début des années 1990 et le rôle joué à l’époque par le commissaire Antoine Gaudino et le juge d’instruction Thierry Jean Pierre qui avaient instrumentalisé la justice à des fins politiques. Il faut rappeler que ceux qui étaient à l’origine de l’affaire URBA, ce sont un commissaire de police judiciaire à la SRPJ de Marseille, Antoine Gaudino, proche du Front National et un juge d’instruction, Thierry Jean Pierre, aujourd’hui décédé mais qui avait été élu député européen sur la liste de Philippe de Villers. Il faut tout de même soulever un paradoxe dans l’affaire URBA. Si les juges Thierry Jean Pierre et Renaud van Ruymbeke ont pu mener leurs enquêtes jusqu’au bout, ce n’est parce que les juges et la justice étaient indépendants sous le règne des socialistes mais c’est tout simplement à cause des luttes intestines opposant les différents courants du parti, des luttes qui ont trouvé leur prolongement à l’intérieur de la machine judiciaire et qui ont paralysé son action pour freiner les enquêtes dans l’affaire URBA. Sans les règlements de compte entre les courants rivaux du parti socialiste, Henri Emmanuelli, ancien trésorier du parti socialiste, n’aurait jamais été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, à deux ans de privation de droits civiques et à 30 000 francs d’amende. On ne sait pas exactement ce que veut dire un juge indépendant, car les juges dépendent du ministère de la Justice qui les nomme et les désigne. On ne voit pas comment dans ces conditions là, des juges nommés par un pouvoir politique, en l’occurrence le garde des Sceaux, peuvent enquêter en toute objectivité et en toute indépendance surtout dans des affaires dites sensibles mettant en cause un chef de parti, un président de la République, un chef ou un membre de gouvernement. Pour empêcher toute poursuite pénale à son encontre dans les emplois fictifs à la mairie de Paris, de pots de vin et des comptes bancaires, l’ancien Président de la république, Jacques Chirac, aidé alors par Roland Dumas, président du Conseil Constitutionnel, avait fait voter par sa majorité une loi paralysant toute action publique pendant son mandat. Silvio Berlusconi avait fait la même chose en Italie pour paralyser toute action ou procédure judiciaire à son encontre. Des juges indépendants du pouvoir politique qui les nomme et qui les nourrit, c’est tout simplement de l’utopie. L’existence des trois pouvoirs séparés, c’est de la foutaise et avec sa théorie de la séparation des pouvoirs, le Baron de Montesquieu a tout faux. Tout ce qui existe dans une société capitaliste, c’est d’abord et avant tout un méga pouvoir, le pouvoir économique, qui conditionne et détermine les propriétés de tous les pouvoirs.

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Affaire Bettencourt et la technique de la diversion judiciaire

Quelqu’un a dit un jour que le meilleur moyen pour enterrer une affaire politico-financière, c’est de créer une commission d’enquête parlementaire. Cette légende est peut être vraie à 50%, mais pour être dans le vrai à 100%, c’est plutôt la justice inféodée au pouvoir politique qui est la mieux outillée pour accomplir cette alchimie. Avec l’affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy, la technique de la diversion judicaire a été immédiatement déclenchée dès sa révélation par Mediapart le 16 juin 2010. Il faut expliquer en quelques mots en quoi consiste cette technique de la diversion judiciaire qui s’enclenche automatiquement comme une soupape de sécurité dès que des hommes politiques ou un parti politique est mouillé jusqu’au cou dans une affaire politico-financière. Quand une affaire de corruption est révélée par la presse, le pouvoir politique se dépêche pour annoncer à l’opinion publique la saisine de la justice qui aura pour mission, pour employer la formule habituelle, « de faire éclater la vérité ». Jusqu’ici, tout le monde croit dur comme fer qu’il vit dans une démocratie avec un « pouvoir » judiciaire indépendant de la classe politique et du pouvoir économique. Tout le monde croit aussi que la justice mène des enquêtes objectives avec des procédures mises en œuvre d’une façon impartiale et objective. Ce qui est totalement faux. Pour élucider une affaire pénale, il faut commencer par un travail sur le terrain mené par des juges d’instruction et par des procureurs qui sont épaulés par des enquêteurs de la police judiciaire. Les enquêteurs de la police judiciaire ne font pas qu’à leur tête, ils enquêtent selon des qualifications des faits retens préalablement par les procureurs et par les juges d’instruction. Une fois munis de ces instructions, les enquêteurs de la police judiciaire vont rassembler des indices et des éléments matériels ou humains (par le témoignage et les interrogatoires des gardés à vue) et cela conformément et en fonction des qualifications des faits retenues par les procureurs et les juges d’instruction qui, eux-mêmes, reçoivent des instructions orales ou écrites, selon les cas, du garde des Sceaux. Ce sont ces indices et ces éléments matériels ainsi rassemblés et consignés dans des procès verbaux qui vont déterminer le déroulement normal de l’affaire et qui vont orienter dans un sens ou dans un autre le procès qui se tiendra devant le tribunal. Concernant les enquêtes de flagrant délit, les choses sont plus simples du fait que les indices matériels et les auteurs de l’infraction, du délit et du crime sont encore présents sur le lieu même du crime ou du délit. Ce sont l’actualité et l’antériorité immédiate du crime et du délit qui simplifient en quelque sorte le travail des enquêteurs de la police judiciaire. Mais s’agissant d’affaires dont les actes sont étalés dans le temps et dans l’espace, les choses se compliquent du fait de la complexité des actes et de leur espacement dans le temps entre le moment de la commission de l’infraction, du délit et du crime et celui où commence réellement le travail de la recherche des indices et des éléments humains et matériels. Dans les affaires politico financières, les choses s’avèrent encore plus compliquées à cause de l’opacité qui entoure le monde politico-financier et de la corruption qui se fait habituellement selon les règles de l’art, c’est-à-dire par le versement d’espèce et de valises de billets des corrupteurs aux corrompus. Les affaires de corruption ou de financement de parti politique sont rarement élucidées et nous en avons pour preuve aujourd’hui l’affaire Boulin dont la famille conteste la thèse officielle du suicide et qu’elle privilégie plutôt la thèse du meurtre pour une affaire immobilière à Ramatuelle.

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Revenons à présent à l’affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy pour voir comment la technique de la diversion judiciaire a fonctionné dès que l’affaire est révélée par Mediapart le 16 juin 2010. Rappelons à toutes fins utiles que l’affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy a démarré avec la publication par Mediapart des extraits d’enregistrements réalisés par le majordome de la milliardaire de l’Oréal où il est question de trois chèques donnés à trois personnalités politiques: Valérie Pecresse, Nicolas Sarkozy et Eric Woerth. Sans être des preuves formelles et définitives, ces enregistrements pirates publiés par Mediapart le 16 juin 2010 créent une forte présomption de financement occulte de l’UMP et de la campagne présidentielle de Sarkozy par la généreuse donatrice, Liliane Bettencourt. Dans ces enregistrements piratés, on entend la voix de Patrice de Maistre demander à Liliane Bettencourt de signer les trois chèques en question. Certes, les paroles de Patrice de Maistre ne sont pas des preuves irréfragables mais elles ont néanmoins le mérite de constituer des indices et des éléments matériels sur lesquels pourront s’appuyer les enquêteurs pour mener leurs investigations dans l’affaire Bettencourt. Or rien n’a été fait pour vérifier la réalité des dires de Patrice de Maistre et les vrais bénéficiares des chèques signés par Liliane Bettencourt. S’il y avait des juges indépendants et une justice indépendante, ces premiers indices importants livrés par les enregistrements pirates publiés par Mediapart auraient débouché logiquement et immédiatement (disons trois ou quatre jours plus tard) à l’ouverture d’une information judiciaire ou d’une enquête préliminaire avec une commission rogatoire habilitée à perquisitionner non pas au siège de la société Clymène qui gère la fortune de Liliane Bettencourt ou chez le photographe François Banier mais au siège de l’UMP avec à la clé la saisie des disquettes où se trouvent stockées et consignées les opérations comptables de ce parti politique. La saine logique juridique aurait été, par l’intermédiaire de l’information judiciaire ou de l’enquête préliminaire, de vérifier si les indices livrés par les enregistrements piratés sont ou non de nature à former les éléments constitutifs d’une infraction à la loi sur le financement des partis politiques. Rien de tel n’a été fait dans l’affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy alors que dans l’affaire URBA, les juges Thierry Jean Pierre et Renaud van Rymbeke s’étaient rendus au siège du PS pour perquisitionner et pour vérifier les livres comptables du parti. Il y a bien eu ouverture d’une enquête préliminaire dans l’affaire Bettencourt sur les enregistrements mais elle n’a été ouverte que le 9 juillet 2010, soit 25 jours après la révélation de l’affaire Bettencourt par Mediapart. Pendant ce temps là, les informaticiens et le trésorier de l’UMP travaillent d’arrache-pied et ils auront sûrement tout le temps pour faire un bon « nettoyage » de leurs fichiers informatiques notamment toutes les données relatives à la comptabilité du parti.

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Au lieu de retenir provisoirement la qualification de financement occulte de parti politique et de mettre en œuvre les procédures y afférentes, la machine judiciaire s’emballe mais pour orienter l’affaire Betencourt dans un sens qui lui ôterait tout caractère politique. La chronologie des événements et le rythme des enquêtes judiciaires en cours témoignent que la technique de la diversion judiciaire joue pleinement son rôle de « désorientateur ». En effet, depuis la mise en branle de la machine judiciaire, la question des chèques et du financement de l’UMP et de la campagne présidentielle de Sarkozy disparaît ou passe au dernier plan pour ne pas apparaître que les côtés accessoires de l’affaire Bettencourt comme l’île d’Arros aux Seychelles, la fraude et l’évasion fiscale d’une partie de la fortune de Liliane Bettencourt en Suisse, au Lichtenstein, en Uruguay. Ainsi, grâce à la technique de la diversion judiciaire, l’affaire Bettencourt s’est-elle métamorphosée en devenant une simple affaire de délinquance financière touchant des acteurs et des personnages de second rang dont le rôle consiste plus à brouiller les pistes qu’à faire éclater la « vérité ». Par exemple, on entend de plus en plus dans les médias des noms tels que François-Marie Banier le photographe accusé par la fille de la milliardaire d’avoir extorqué à sa mère un milliard d’euros, du gestionnaire de l’île Arros aux Seychelles, Carlos Vijarana, de Fabrice Goguel, l’ancien avocat fiscaliste de Madame Bettencourt ou du gestionnaire de la société Clymène, Patrice de Maistre. Désormais, quand les mass medias évoquent l’affaire Bettencourt, c’est pour parler des démêlés judiciaires de la milliardaire avec sa fille Françoise Bettencourt-Meyers. Sur Eric Woerth, sur Sarkozy, sur l’UMP et la campagne présidentielle de 2007, silence radio. Si ces enquêtes et ces gardes à vue sont désormais orientées dans le sens de l’évasion et de la fraude fiscale, c’est grâce à cette redoutable alchimie qu’est la technique de la diversion judiciaire qui a le mérite de laver les hommes politiques et leurs corrupteurs au dessus de tout soupçon et selon les règles de l’art.

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On ne peut pas terminer cet article sur l’affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy sans avoir une « pensée » bien particulière pour la « malheureuse » Florence Woerth, l’épouse du ministre du Travail qui a démissionné de la société Clymène, la gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt pour éviter les conflits d’intérêt. Après son départ précipité de la société Clymène, on aurait pu penser que Florence Woerth passe le clair de son temps à l’Assedic. Erreur. Aux dernières nouvelles, Florence Woerth a créé comme par hasard une écurie de chevaux de course après le vote d’une loi relative initiée par son mari et relative à la libéralisation des jeux de course en ligne. Ce n’est pas tout. Avec son écurie de chevaux de course, Florence Woerth cumule un autre « travail » en siégeant au Conseil de surveillance de la société Hermès, filiale du groupe LVMH, propriété d’un autre milliardaire, rival de la patronne de l’Oréal, Bernard Arnaut. Alors que son mari s’occupe de l’allongement de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, sa femme Florence Woerth n’aura aucun problème de retraite puisque elle est rémunérée sous forme de jetons de présence par le Conseil de surveillance de la société Hermès, filiale du groupe LVMH à hauteur de 400 000 euros par an. Un peu moins qu’en même que la collectrice des pièces jaunes et l’espoir du luxe français dans le monde, Madame Bernadette Chirac qui siège au conseil d’administration de LVMH et qui touche la coquette somme de 650 000 euros par an. Il va sans dire que Bernadette Chirac 77 ans et Florence Woerth 53 ans n’auront aucun souci pour leurs vieux jours et elles n’auront pas à moisir dans des maisons de retraite entre quatre murs, entre l’inspecteur Derrick et question pour champion. On pensait que les privilèges en France ont définitivement été abolis dans la nuit du 4 août 1789.

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Dernière mise à jour de cette page le 19/07/2010

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