Rue89. 8 décembre 2009 par Hélène Crié-Wiesner
L'unanimisme qui entoure le sommet de Copenhague a mis à la mode les théories climato-sceptiques.
La crise d'urticaire anti-écolo qui accompagne le début du sommet de Copenhague est un de ces phénomènes typiquement franchouillards dont notre pays a le secret. L'important, c'est d'être sceptique, de ne surtout pas laisser croire aux autres qu'on est naïf. Peu importe si l'on se retrouve à combattre une « pensée unique » dont on accusait les autres il y a vingt ans.
L'article publié lundi sur Rue89, « L'édito climatique unique, une démonstration de force efficace ? », ainsi que les réactions qu'il a suscitées, est l'archétype de la propension française à la volte-face idéologique, à la méfiance systémique, à la singularité à tout prix.
Ainsi, l'éditorial commun proposé par 56 journaux dans 44 pays serait un vecteur de pensée unique ? Une entrave à la liberté de conscience des citoyens ?
Comment ose-t-on s'offusquer - ou railler fielleusement -, à l'instar d'Anthony Bellanger, chef des informations à Courrier International, de ce que ces journaux « ne représentent pas la presse à gros tirage mais plutôt des quotidiens de référence, des journaux de l'élite bien pensante, assez chic » ?
Implicitement, les torchons populaires que sont le Sun ou le Daily Telegraph sont parés de toutes les vertus parce qu'ils ont gardé leurs distances. Il aurait été étonnant que ces même journaux, qui crachent à longueur d'année sur les écolos, qui flattent les instincts populistes de leur lectorat, s'associent à un appel « pour changer le monde », pour reprendre le titre du Monde.
Bref, cet édito commun a été publié par des journaux intello-bobo-chics, achetés par des lecteurs friqués qui ont les moyens de se nourrir bio, de rouler en voiture hybride, qui s'extasient sur les livres de Gore, les films d'Arthus-Bertrand et de Hulot. Si ces gens-là, méprisables évidemment, approuvent la grand-messe de Copenhague, s'ils espèrent un accord, c'est que tout est suspect, pipeau, pipé, joué d'avance. Donc Copenhague est à jeter, CQFD.
Que signifie cette allergie grandissante au « consensus » autour du changement climatique ? C'est mauvais par nature, un consensus ? Apparemment oui, quand il s'agit de Sarko, la droite, la gauche, les Verts, les ONG… qui devraient continuer à se taper dessus éternellement pour rester crédibles.
Comment peut-on employer le terme péjoratif de « groupe dominant » pour qualifier le Giec et la majorité des scientifiques climatologues ? Le Giec est un groupe international des scientifiques mandaté par l'Onu pour faire le point depuis 20 ans sur l'évolution du climat et ses causes.
Même si le fameux « climategate » - la révélation des correspondances escamotées - pose des questions sur la manière dont le Giec a géré les relations entre ses contributeurs, il ne fait aucun doute que des évolutions climatiques gravissimes sont en cours, dont les effets se font déjà sentir sur les plus pauvres habitants de cette terre.
Certains craignent que les problèmes de la faim dans le monde et de l'accès à l'eau ne soient délaissés par les instances internationales au profit de la lutte climatique ? Qu'ils attendent de voir comment tout va encore s'aggraver lorsque la montée des océans, l'augmentation des sécheresses et l'avancée des déserts va accélérer les phénomènes déjà l'œuvre.
Ceux qui voient du danger dans la situation actuelle de la planète sont donc devenus majoritaires dans la communauté scientifique. Bien. Que je sache, les opposants aux thèses du changement climatique n'ont jamais été privés de tribune, ni dans la presse scientifique, ni dans la presse traditionnelle.
Rien qu'en France, tant Claude Allègre que Vincent Courtillot ont pu s'expliquer à loisir. Sans oublier Serge Galam, qui a notamment eu accès au Monde et… à Rue89 (entre autres). Tant mieux, parce qu'ils soulèvent des points fort intéressants (sauf Allègre, qui débloque). Mais pourquoi faudrait-il privilégier leurs points de vue plutôt que celui du Giec ? Parce que le Giec est trop puissant ? Parce qu'être petit, c'est mieux qu'être gros ?
Ce qualificatif de « dominant » m'indigne. Tant pis si cela met en évidence mon âge canonique, mais à ceux qui ont commencé à s'intéresser récemment à la question, je précise que dans les années 80 les écolos, ou les scientifiques qui alimentaient les thèses écolos, étaient très mal vus. Tant par le grand public que par les politiques.
Sans parler de la presse qui, globalement, se contrefichait de ces sujets. Si les médias ont changé, tant mieux, je ne vais certainement pas regretter le bon temps où l'environnement n'intéressait que les marginaux. Si le Giec est désormais une autorité reconnue, ce n'est pas parce que Sarko, les jurés du Nobel, ou les multinationales l'ont décrété pour des raisons inavouables, mais parce que ses travaux ont fini par convaincre.
Ceux qui voient Al Gore comme un suppôt du grand capital avide de retombées médiatiques et de gloire oublient qu'il était présent et actif au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992, qu'il avait déjà écrit un livre très inconfortable pour son pays, que c'est seulement après qu'il s'est présenté à l'élection présidentielle aux côtés de Clinton.
Peut-être qu'en France on ne s'en rend pas compte, mais si l'Amérique a enfin bougé, c'est largement grâce à Al Gore. Georges W. Bush n'aurait pas évolué d'un iota sur la reconnaissance du phénomène de l'effet de serre et sur la reconnaissance d'une part de responsabilité américaine sans l'influence de Gore sur ses compatriotes.
Bush, parlons-en. A-t-il été vilipendé, celui-là, pour ses refus de reconnaître la part des Etats-Unis dans le réchauffement climatique ? S'il y avait bien un méchant, à l'époque, c'était lui. Et voilà qu'aujourd'hui, il deviendrait un héros pour avoir été écolo-sceptique avant la grand-messe de Copenhague ? Il doit bien rigoler, dans son ranch texan, en train d'écrire (de faire écrire) ses mémoires…
Puisqu'on parle de rigolade, toujours en réaction à ce fameux article et aux commentaires qu'il a suscités, parlons des clips vaguement ridicules des associations militantes.
Elles tentent de sensibiliser le grand public aux réalités écologiques, et leurs messages parfois simplets ne me font pas sourire, non. Ce type de mini-films est la conséquence directe de la simplification du monde imposée par les médias populaires depuis des décennies.
Par la télé autrefois, par YouTube et consorts aujourd'hui : « Un message rapide, coco, pas compliqué, avec une idée forte, pas plus, sinon les gens vont décrocher. Un gimmick, c'est encore mieux. » On ne peut pas reprocher aux groupes militants d'essayer de toucher le public, mais que voulez-vous faire passer de sérieux en une minute ?
Ah, au fait, les climato-sceptiques viennent de recevoir du renfort : l'Arabie Saoudite doute officiellement, depuis lundi, de l'utilité du sommet de Copenhague.
Illustration du 18 novembre dernier de Claude Allègre par Mykaïa, sur son blog Rue89.
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