Chagos : la base militaire, la réserve marine et les exilés

Les Nouvelles News. Le 3 Décembre 2010 par Arnaud Bihel

 

C'est un câble diplomatique parmi les 250 000 mis au jour par WikiLeaks. Un document qui illustre à lui seul le cynisme ordinaire de la défense des intérêts stratégiques. Comment, via la création d'une réserve marine, l'argument écologique sert de prétexte pour sécuriser l'implantation d'une base militaire américaine, contre les revendications d'un peuple.

Un archipel au coeur de l'océan indien. Une zone militaire stratégique. En 1965, Maurice acquiert l'indépendance (1). Mais le gouvernement britannique conserve un morceau de son ancienne colonie : l'archipel des Chagos. Celui-ci devient un Territoire britannique de l'océan indien (BIOT) et la principale île de l'archipel, Diego Garcia, va abriter une base militaire, louée à l'armée US. En conséquence, l'ensemble des Chagossiens - environ 2000 insulaires - sont expulsés de l'archipel entre 1966 et 1973. Interdits de retour, ils ont épuisé en 2008 leurs recours devant les juridictions britanniques. Mais une procédure est encore en cours devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Des revendications qui continuent d'inquiéter britanniques et américains.

 

Préserver la « valeur stratégique »

 

D'où le jeu tactique mis au jour par WikiLeaks, dans un câble diplomatique transmis à Washington le 15 mai 2009 par l'ambassade à Londres. On y lit que, de l'avis américain et britannique, la création d'une vaste zone marine protégée dans les Chagos serait la solution idéale pour réduire définitivement à néant l'aspiration des Chagossiens à revenir vivre sur leur territoire.

La note revient sur une réunion au cours de laquelle le haut représentant britannique pour l'Outre-mer, Colin Roberts, a expliqué cette stratégie à des dignitaires américains. Résumé : selon Roberts, « l'établissement du parc marin – le plus grand du monde – n'affecterait pas l'utilisation du BIOT par le gouvernement US à des fins militaires. Il a reconnu que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis devront soigneusement négocier les détails de la réserve marine pour s'assurer que les intérêts US seront saufs et que la valeur stratégique du BIOT sera respectée. Il a expliqué que cela rendrait difficile, sinon impossible, aux anciens habitants de réclamer leur réinstallation sur les îles si l'ensemble de l'archipel des Chagos devenait une réserve marine. »

 

Un pont vers l'Afghanistan, l'Irak et l'Iran

 

Des échanges entre officiels britanniques et US retranscrits dans le câble diplomatique, il ressort que ce n'est pas l'intérêt écologique qui prime. Mais bien la possibilité de faire de l'archipel un sanctuaire, uniquement ouvert à l'activité militaire.

Colin Roberts rassure ainsi les représentants américains : « Les termes établissant la création de la réserve marine indiqueront clairement que le BIOT, incluant Diego Garcia, sera réservé à l'usage militaire. » Car la base de Diego Garcia occupe une place stratégique toute particulière, à portée notamment de l'Afghanistan, de l'Irak et de l'Iran. Le 14 mars 2010, le Sunday Herald révélait que l'armée US acheminait sur cette base des tonnes d'armement, dont des centaines de bombes « anti-bunker », destinées à une éventuelle attaque contre l'Iran. De quoi « détruire 10 000 cibles en Iran en quelques heures », expliquait au journal écossais le directeur du Center for International Studies and Diplomacy de l'Université de Londres. (2)

 

Le « lobby environnemental » utilisé contre le « droit au retour »

 

Une stratégie doublement gagnante pour la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Car, tout en sanctuarisant leur présence militaire, la création de la réserve marine sape les efforts des anciens habitants de l'archipel pour retrouver leur territoire. Cela permet de les exclure même des îles périphériques de l'archipel, à 200 kilomètres de la base militaire

Le gouvernement britannique reconnaît en effet rester « sous la pression » des Chagossiens et de leurs avocats pour permettre le retour des anciens habitants au moins sur des îles périphériques. Des plaignants ont saisi la Cour européenne des droits de l'Homme après que la plus haute cour britannique s'est prononcée contre leur « droit au retour » en 2008. Colin Roberts assure que Londres « ne regrette pas le déplacement de population », étant donné l'importance stratégique de la base. Et que l'établissement d'une zone marine protégée – et donc, notamment, interdite à la pêche - mettra définitivement un terme aux revendications des Chagossiens. D'autant que « le lobby environnemental britannique est bien plus puissant que les avocats » des anciens habitants de l'archipel.

 

Hypocrisie permanente

 

Une fois ce cynisme révélé noir sur blanc par WikiLeaks, attention à l'effet boomerang. Le gouvernement mauricien, souvent accusé par les Chagossiens de ne pas se démener pour leur cause, s'est saisi du document pour se montrer vindicatif. Le chef de la diplomatie mauricienne, Arvin Boolell, accuse les Britanniques de s'être montrés « hypocrites » et « malhonnêtes ».

Une malhonnêteté qui remonte aux premières heures de l'expulsion des Chagossiens dans les années 60. A Londres, « le ministère des Affaires étrangères n'a cessé de mentir sur leur éviction, en maintenant la fiction que les insulaires n'ont jamais été des résidents permanents », rappellait ainsi, le 2 décembre, le quotidien britannique The Guardian.

Images: l'île de Diego Garcia et la base militaire.

 

(1) Elle l'obtiendra officiellement en 1968. Possession française à partir de 1715, Maurice était passée sous domination britannique en 1810.

 

(2) Un autre message diplomatique publié par WikiLeaks révèle que l'armée US utilise l'archipel pour stocker des bombes à sous-munitions (BASM) « sur des navires au large de Diego Garcia » pour éviter l'illégalité, la base appartenant à la Grande-Bretagne qui a signé le traité interdisant ces bombes particulièrement meurtrières pour les civils. Mais le droit est violé quand ces bombes quittent les navires pour transiter par l'île et être chargées à bord d'avions. Les Etats-Unis ont promis de retirer ces BASM en 2013... mais le document révèle que Londres et Washington ont négocié en coulisses de possibles « exceptions temporaires », en veillant à ne pas en informer le Parlement.


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Dernière mise à jour de cette page le 06/12/2010

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