Cancún, un accord à tout prix

Basta ! Le 17 décembre 2010 par sophie Chapelle

 

Ils n’attendaient rien de Cancún ou si peu. L’enjeu pour les participants était de sauver un processus de négociations plombé un an plus tôt à Copenhague. Dès lors, tout valait mieux que l’absence d’accord. C’est donc dans une ambiance survoltée, ou plutôt théâtrale, que 193 pays – à l’exception de la Bolivie – se sont mis d’accord dans les dernières heures sur un texte qui ne fait qu’entériner Copenhague. Déroulé en cinq actes.

Chez tous les négociateurs la crainte était forte de partir de Cancún sans accord. Le fiasco de la conférence de Copenhague en décembre 2009 résonnait encore dans toutes les têtes. Paul Watkinson, chef de la délégation française dans les négociations climatiques, témoigne qu’« après Copenhague, le risque était très élevé de s’enfermer dans Cancún avec un deuxième échec ». Mais les séances plénières qui se déroulent dans la dernière nuit des négociations, du 10 au 11 décembre, vont donner le ton : tout vaut mieux que l’absence d’accord.

Alors que l’ensemble des participants ont dans leurs mains les dernières versions des textes (à lire en anglais ici et ici), ils accueillent sous une salve d’applaudissements Patricia Espinosa, la présidente de la Conférence. Il faut voir là, selon Pierre Radanne, président de l’association 4D, « la reconnaissance de la méthode mexicaine par l’engagement à écouter jusqu’au bout le point de vue de chacun et à gérer l’information et les négociations dans la transparence la plus grande ».

À ce moment-là pour l’assemblée présente, le processus de cette conférence est déjà une première victoire. « Le rôle des Nations unies et le multilatéralisme sortent renforcés de Cancún », se réjouit ainsi Paul Watkinson. Dans ces conditions, les critiques à cette heure avancée de la nuit sont malvenues dans l’enceinte onusienne. Et lorsque la Bolivie intervient en premier par la voix de Pablo Solon pour exprimer ses craintes sur l’accord en voie d’être conclu, c’est un silence glacial qui ponctue son discours.

Acte 1, une unité de façade

Critiquant l’objectif trop faible d’une augmentation des températures limitée à 2°C, l’absence d’engagement contraignant des pays industrialisés en termes de réduction d’émissions, l’inconnue sur les sources de financement du fonds d’adaptation au changement climatique, la Bolivie conclut par son rejet du document. Au sein du Moon Palace, l’hôtel de luxe qui accueille la conférence, l’isolement de la Bolivie va atteindre des sommets. Dans la foulée de son intervention, tous les pays, du Nord au Sud, expriment leur soutien aux deux textes. « Paquet équilibré », « engagements », « pragmatisme », reviennent tour à tour dans les discours du Lesotho, du Kenya, du Pérou, de la Suisse, de l’Union européenne, du Sénégal, des Maldives...

Emblématique : les discours des États-Unis et de l’Arabie Saoudite, ambassadeurs en chef du tout pétrole, sont noyés sous les applaudissements. Même le Japon, qui avait douché les espoirs en annonçant son refus de s’engager dans une seconde période du Protocole de Kyoto, est acclamé lorsqu’il se range derrière le texte proposé. La Norvège joue enfin aux conciliateurs expliquant que « beaucoup partagent les préoccupations de la Bolivie, mais que celles-ci pourront être traitées dans les années à venir ». Nul besoin ainsi de s’en faire puisque « ce n’est pas l’accord final mais une étape majeure dans la bonne direction ».

Acte 2, repousser à plus tard

Étrangement, cette « bonne direction » saluée par l’ensemble des parties, à l’exception de la Bolivie, ressemble à s’y méprendre à « l’accord de Copenhague » tant décrié un an plus tôt. « Le résultat est un "Cancún-hagen" qui menace la vie du protocole de Kyoto », déplore Ricardo Navarro des Amis de la terre du Salvador. Alors que le protocole de Kyoto est le seul outil juridique contraignant qui limite les émissions de gaz à effet de serre (GES) et que son premier cycle d’engagements prend fin en 2012, aucun calendrier n’a été fixé pour renouveler les objectifs de réduction des pays industrialisés. Libre également aux pays de choisir l’année de référence pour les calculs de leurs engagements. « En ce sens, relève l’association altermondialiste Attac, l’accord de Cancún se révèle être le prolongement juridique du texte de Copenhague ».

Prière de ne pas jouer aux oiseaux de mauvaise augure explique t-on du côté de la délégation française. « Nous n’avons pas tué ni abandonné Kyoto à Cancún, martèle Paul Watkinson. D’ici la prochaine conférence des parties à Durban en décembre 2011, il nous faut réussir à associer la Russie et le Japon à ce cadre. » Rendez-vous donc dans un an. Les populations affectées par le changement climatique, elles, attendront.

Acte 3, le déluge

Après la vague climatosceptique qui s’est abattue en 2010, le texte adopté à Cancún apporte une reconnaissance des travaux scientifiques menés par les membres du GIEC, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat. Le texte prévoit en effet de revoir « périodiquement » les objectifs à long terme – la limite est fixée dans le texte à une augmentation de 2°C – en fonction des connaissances scientifiques et en particulier des rapports du GIEC, avec la possibilité de renforcer cet objectif à 1,5°C.

Cette référence aux 2°C ne s’appuie néanmoins sur aucun objectif chiffré en matière de réduction des émissions. Et c’est là que le bât blesse ! Quant à la référence aux pays industrialisés devant réduire leurs émissions de 25 à 40% d’ici à 2020 par rapport à 1990, elle n’implique pas les États-Unis, ces derniers n’étant pas signataires du protocole de Kyoto. La conclusion de Ricardo Navarro est sans appel, « l’accord de Cancún menace la vie de l’humanité car si ses résultats sont mis en œuvre, nous vivrons d’ici à la fin du siècle une augmentation mondiale des températures de 5°C rendant la Terre inhabitable ».

Difficile dès lors de se laisser bercer par les paroles de Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, qui voit à Cancún « une avancée importante ». Comme le rappelle l’ONG Greenpeace, « elle n’a pas voulu s’associer à ses homologues européens (espagnol et portugais) qui ont annoncé à Cancún leur soutien au passage de 20% à 30% de l’objectif européen de réduction des émissions d’ici à 2020. La France, par la voix de NKM, a choisi de freiner les ambitions climatiques de l’Europe. »

Acte 4, un accord vidé de sa substance

Et si l’accord issu de Cancún n’était finalement qu’un joli paquet cadeau avec une boîte presque vide ? C’est l’interrogation portée par Sébastien Blavier du Réseau Action Climat-France (RAC). Certes, un fonds vert pour aider les pays les plus vulnérables aux changements climatiques a été créé. « Un point positif en terme de solidarité internationale, note à ce sujet Anne Chetaille du Groupe de recherche et d’échanges technologiques Gret car la gouvernance de ce fonds sera équitablement répartie entre pays développés et en développement  ». Mais quid du financement ? « Nous n’avons pas dit pour le moment d’où viendrait l’argent, reconnaît Paul Watkinson. Mais l’objectif est là, mobiliser au moins 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 ». Et de proposer d’« en parler dans le cadre du G8-G20 lors de la présidence française en 2011 ».

De quoi faire grincer des dents l’association Attac déjà en rogne de voir la Banque mondiale servir d’administratrice intérimaire pour le Fonds vert durant trois ans. Alors qu’aucun financement public nouveau n’a été retenu, les taxes sur le transport maritime et aérien ayant été rejetées, la majorité des financements pourrait venir des marchés du carbone. À ce titre, le rapport Quai des Brumes du RAC-France vient jouer les trouble-fêtes en montrant comment l’aide française déjà promise il y a un an à Copenhague est « artificiellement gonflée ». Pour le moment, un fonds existe mais sans rien à partager.

Acte 5, pas de voix au chapitre pour les populations concernées

Réduire la déforestation était l’un des objectifs visés par Cancún. Le système de compensation pour lutter contre la déforestation est désormais officiellement mis en place. L’idée consiste à amener les pays qui abritent de précieuses forêts tropicales à éviter de les couper et à les protéger, en leur versant des compensations financières. Le texte pose ainsi l’objectif de « ralentir, arrêter et inverser la perte du couvert forestier », à l’origine de 15 à 20% des émissions mondiales de GES. Là encore le financement n’est pas précisé, même si la possibilité d’utiliser le marché du carbone pour financer le mécanisme est pour le moment éludée au grand dam des industriels.

Dans le texte final, ce sont aussi les populations autochtones et les communautés locales vivant des forêts qui ont été évincées. Leurs représentants exigeaient que le texte contienne une « clause de sauvegarde » qui impose « le consentement libre, préalable, et informé » des communautés autochtones à la mise en œuvre de mesures pour lutter contre la déforestation. Au bout du compte, l’accord prévoit seulement « la participation » des parties impliquées, dont les populations autochtones, dans la gestion de la forêt mais avec des mécanismes de contrôle plutôt faibles.

Finalement, entre les deux mondes, celui du Moon Palace et celui de la rue, le fossé semble chaque jour s’agrandir. Entre les deux, la Bolivie, pointée d’un côté comme l’idéologue bloquant les négociations, est de l’autre perçue comme la voix des mouvements sociaux. D’ici à Durban en 2011, prochaine conférence des Nations unies, les négociateurs vont reprendre leurs négociations, les ONG leur lobbying, heureux que le processus onusien puisse poursuivre sa route. Un processus en vie oui, mais un processus toujours plus affaibli.


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Dernière mise à jour de cette page le 07/02/2011

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