Au bord du champ de maïs de soja de sorgho de blé standardisé normalisé engraissé désherbé, le coquelicot résiste. Normal, sa constitution le lui permet. Il y a des gens comme ça. Ça énerve un peu, mais c’est pas bien grave : ça ne renâcle qu’en lisière. Même, ça donne de la couleur, ça fait joli sur les boites de muesli ou quand on passe en voiture
Maintenant regardons le cœur du pré, du champ de blé : épis bien alignés, calibrés, pétant de santé, rien d’autre que du bon grain.
Maintenant regardons mieux. Un médecin conteste la carte Vitale, un ouvrier décline les heures sup, un salarié refuse d’être noté, un artiste poursuit son travail méprisé, un chômeur ne se laisse pas radier, un fonctionnaire objecte, une queue demande son avoir en liquide à la banque, une mère renâcle à envoyer ses enfants se faire vacciner,
Ça résiste
Ce voyageur qui protège l’expulsé, ce policier qui déchire ses papiers, ce visage qui rigole face à l’autorité, ce type qui vous lit des poèmes, ce paysan qui diffuse des semences interdites, cet anonyme qui parle pour mieux vous écouter, ce caddie sorti vide du supermarché, ce journaliste qui pousse le bouchon un peu loin, ces nomades qui snobent nos aires spécialisées,
Ça résiste
Contre la barbarie qui se prévaut de sa propre barbarie, contre la violence économique mondialisée, contre la stigmatisation de ses victimes, contre la libre circulation vers le pays d’origine, contre le mensonge institutionnalisé, contre la baisse des impôts, contre l’enfance enfoncée, contre les shampoings pour cheveux normaux, contre le mieux disant le pire, contre le grand marché du gré à gré, contre le pré carré, contre le à tu et à toi, contre TINA [1], contre les colons, contre « Tous les autres le font », contre la Croissance son église et ses prêtres, contre l’idée de la part de gâteau, contre les trajectoires individualisées / les contrats de progrès, contre les opérations de maintien de la paix,
Ça résiste
Ça ne se voit pas, ça ne se dit pas, ça se devine à peine, ce n’est peut-être qu’un rêve, c’est sans espoir, ça finira brisé, ça sait que la machine broiera les grains de sable comme de blé, ça entend que ça ne fait qu’affaiblir la cause et que ça ne propose rien,
Au cœur du pré quand même ça résiste
Parce que l’autre est le soleil, parce que tout n’est pas marchandise, parce qu’avoirs et falloirs peuvent être mutualisés autrement, parce que la liberté n’est pas une propriété barbelée, parce que le contraire de la violence c’est la pensée, parce que c’est simplement juste, parce que ça n’a pas besoin d’explications,
Au cœur du pré ça résiste
C’est parce qu’au cœur du pré ça résiste
Que le coquelicot existe
Et que le pré existe
C’est ça qu’il faut regarder
C’est ça qu’il faut montrer
[1] « There is no alternative » : y’a pas le choix. TINA est aussi le nom d’une excellente revue de littérature.
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