Le Figaro. Le 16 Juillet 2010 par Anne Jouan
Les amateurs de merguez grillées vont certainement réfléchir à deux fois avant de sortir leur barbecue cet été. Chaque année, 18.000 tonnes de traverses de chemin de fer seraient en effet reconverties en charbon de bois alimentaire, selon Robin des bois, l'association pour la protection de l'homme et de l'environnement.
Le problème, c'est que ce vieux bois est traité à la créosote, un mélange d'hydrocarbures utilisé pour protéger le bois de la pluie et des parasites mais toxique et probablement cancérigène pour l'homme. Une information qui échappe aux consommateurs puisque les sacs de charbon destinés aux barbecues ne comportent pas mention de la provenance !
Chaque année, environ 800.000 tonnes de traverses sont retirées de la circulation par Réseau ferré de France (RFF), dont 250.000 envoyées à Sidenergie, une entreprise spécialisée dans la récupération de déchets, située à Laval-de-Cère (Lot). C'est là que les anciennes traverses sont transformées en combustible pour barbecue.
En 2009, l'entreprise en a mis 3600 tonnes sur le marché. «Environ un quart du charbon de bois fabriqué en France contiendrait de la créosote», explique Jacky Bonnemains, le président de Robin des bois. Une estimation que confirme Laurent Cougnoux, rédacteur en chef du Lot en action, un «journal citoyen» bimensuel qui traite régulièrement de cette question.
Et pourtant, depuis l'arrêté du 2 juin 2003, les traverses sont considérées comme des «déchets dangereux». Le texte stipule que «les bois traités avec de la créosote (…) doivent être réservés à un usage exclusivement professionnel tel que pour les voies de chemins de fer ou les lignes électriques». Alors comment se fait-il que ces traverses servent à fabriquer un combustible alimentaire ? Chez RFF, on admet que cette histoire n'est «pas bonne» pour l'image de l'entreprise. Mais, assure-t-on, «sur le plan réglementaire et en terme de santé publique, cette question ne pose pas de problème».
Aujourd'hui, environ 80 % des traverses sont en chêne (dans ce cas, la créosote imprègne les 3 à 4 premiers centimètres du bois), 15 % en bois exotique (imprégnation de 2 cm) et 5 % en hêtre (imprégnation totale). Comme les tronçons qui arrivent chez Sidenergie sont en mauvais état, il est impossible de savoir de quel bois il s'agit. «Il faut être réaliste, confie sous le couvert de l'anonymat un cadre de la SNCF, il n'y a pas de tri. Dans la pratique, ce n'est pas réalisable.» Les parties de bois imprégnées de créosote ne sont donc pas rabotées avant d'être transformées en charbon. Mais, tempère RFF, Sidenergie utilise un procédé de thermolyse. «Il n'y a donc pas de créosote dans le charbon de bois», estime l'entreprise qui rappelle qu'en 1999 le Conseil supérieur de l'hygiène publique avait donné un avis favorable à ce recyclage.
«Sauf que, malgré la thermolyse, il reste des particules, assure Laurent Cougnoux. Un point de vue que partage Jacky Bonnemains. «Il n'y a pas d'infraction stricto sensu dans le fait de transformer des traverses en charbon, mais plutôt du laxisme de la part des autorités de contrôle», déplore l'association Lot en action. Cette dernière explique que quand les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) viennent pour une inspection, les habitants de la région le savent 48 heures à l'avance.
«Nous souhaitons que l'origine précise du charbon issu des traverses de chemin de fer soit mentionnée sur les emballages, explique Jacky Bonnemains. Et ce dans un souci de transparence et d'information du consommateur.» L'association Robins des bois demande également que l'autorisation de fabriquer du combustible à partir de ce bois toxique soit suspendue.
En attendant, le Pr Guillaume Cadiot, secrétaire général de la Société nationale française de gastro-entérologie, prône la prudence : «La créosote est connue comme cancérigène. La première réaction est donc la méfiance. Il convient de l'éviter», confie-t-il.
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