Bolloré-Vilgrain : la terre, la sueur et le sang

Survie. Le 21 mars 2011 par Alice Primo

 

Bolloré, premier des investisseurs français en Afrique, et Vilgrain, représentant de ces derniers, n’ont de cesse de vanter les bénéfices de leurs activités sur le continent pour les populations. Sauf que cellesci, sans doute ingrates, tentent de faire entendre depuis quelques semaines un autre son : celui du ventre qui a faim, voire celui des os qui se brisent.

Alexandre Vilgrain préside depuis 2009 le CIAN, ex-Conseil des investisseurs en Afrique noire, relooké en Conseil français des investisseurs en Afrique. Sa centaine d’entreprises adhérentes représenteraient les trois quarts de l’activité des sociétés françaises sur le continent, soit un chiffre d’affaires cumulé d’environ quarante milliards d’euros, et sont invitées à se conformer à sa « Charte sur le développement durable » et à sa « Déclaration sur la prévention de la corruption ».

Aussi, Vilgrain peut-il affirmer que « l’Entreprise, vitrine de la Nation, est bien au coeur du développement » et que « nous pouvons considérer que les pays du Sud jugent les pays du Nord et en particulier la France, bien moins sur leur politique d’aide au développement que sur la politique des entreprises qui investissent localement » (Edito de La Lettre du CIAN, novembre-décembre 2010).

Cela fait donc plutôt mauvais effet lorsque l’association française Peuples solidaires lance, en octobre dernier, un appel urgent en appui à l’ONG camerounaise CODEN, qui dénonce l’accaparement de 10 000 hectares de terres fertiles pour doubler la superficie de canne à sucre cultivée par Somdiaa, le groupe d’Alexandre Vilgrain.

Les populations locales accusent en effet l’entreprise camerounaise qu’il détient, la Sosucam, de les spolier de leurs terrains contre des indemnités dérisoires, de polluer leur environnement par l’épandage aérien de produits phytosanitaires et par les effluents liquides des usines, de ne presque pas créer d’emploi local et toujours dans des conditions de travail inacceptables...

Peuples Solidaires et les Amis de la Terre ont enfoncé le clou le 9 novembre, en décernant à la Somdiaa le prix Pinocchio du Développement durable, au point que la Somdiaa s’est fendue le lendemain d’une réponse officielle, où elle prétend oeuvrer au développement et réfute l’accusation d’accaparement des terres, jurant que la production de sucre est à destination du marché intérieur camerounais. Un argument fallacieux pour le CODEN, qui rappelle qu’« en rachetant son unique concurrent, la Sosucam s’est offert une situation de monopole qui lui permet tous les abus, à commencer par la vente de son sucre à des prix inaccessibles à la population. (…) La convention signée entre la Sosucam et le groupe brassicole français Castel prouve qu’une partie de la production de la Sosucam est exportée vers l’Europe ».

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L’argumentaire vertueux est ainsi décortiqué point par point par le CODEN, Peuples Solidaires et les Amis de la Terre, qui concluent : « La responsabilité sociale de la Somdiaa doit se traduire par des actions visant les causes et non les conséquences du problème ».

De quoi inspirer le prochain édito de la Lettre du CIAN ?

Bolloré : fronde des ONG, omerta médiatique

En juin 2010, le directeur général de la société Bolloré, Gilles Alix, écrivait dans un droit de réponse à Survie que « la société anonyme Bolloré et ses filiales emploient, au Cameroun, plus de 3 500 salariés. Tous perçoivent des salaires largement supérieurs aux minima légaux et bénéficient d’une protection sociale et de services de santé que nulle autre société implantée au Cameroun n’est en mesure d’apporter à ses salariés » (Billets d’Afrique n°193, juillet 2010).

Malheureusement pour ce groupe qui aime à se présenter comme une « entreprise citoyenne », quatre ONG ont déposé le 3 décembre une « plainte » devant les points de contact nationaux de l’OCDE pour non-respect des « principes directeurs » édictés par cette dernière, dans les plantations de la Socapalm, une entreprise camerounaise d’huile de palme contrôlée à près de 40% par le groupe français.

Aucune condamnation judiciaire à espérer : il s’agit uniquement de procédures prévues dans le cadre de « démarches volontaires », dans lesquelles le groupe risque uniquement de se voir invité à fournir des explications ou des contre-arguments auprès de ces structures de l’OCDE. S’il décide d’ignorer cette demande, la seule chose à craindre serait que des médias s’en emparent et que cela nuise à son image : c’est le fameux name and shame (nommer et faire honte), seule réponse proposée par le marché dans la vision libérale de la « responsabilité sociale des entreprises ».

Les ONG ont donc mis le paquet : la française Sherpa, l’allemande Misereor et les camerounaises Focarfe et CED, ont déposé cette plainte simultanément en France, où se trouve le siège du groupe Bolloré, et en Belgique et au Luxembourg, les paradis fiscaux où sont domiciliées les holdings par l’intermédiaire desquelles le fleuron industriel de la Françafrique engrange les bénéfices de la Socapalm, et ont organisé une conférence de presse.

Malgré cela, un silence médiatique assourdissant : il semble qu’à part France Inter, Le Monde Diplomatique et Rue 89, aucun journaliste français n’ait souhaité relayer l’information... A moins que les rédactions n’aient été contactées et mises en garde sur les risques de procès suite à la divulgation d’informations qu’elles n’avaient pas les moyens de vérifier ?

Même l’Agence France Presse n’a pas fait de dépêche, attendant peut-être de connaître la version de M. Bolloré par souci du respect de la contradiction, suite aux intimidations judiciaires à l’encontre de plusieurs médias au printemps dernier ?

Ce sont en tout cas des explications qui circulent « en off »... D’ailleurs, Afrik.com dit avoir « tenté de recueillir la position des responsables parisiens du groupe Bolloré sur la question Socapalm. En vain. Une copie du communiqué publié mardi par le groupe nous a toutefois été adressée ». Sauf que ledit communiqué, qui semble se borner à dire que Bolloré « n’est pas gestionnaire, mais seulement actionnaire minoritaire de la Socapalm », est introuvable sur le site internet du groupe, contrairement à ses autres communiqués de presse.

Un ex-militaire français aux commandes

Qu’elle qu’en soit la raison, cette omerta médiatique est d’autant plus scandaleuse que le non-respect des principes directeurs sont en fait des violations flagrantes des droits humains : emprise sur l’espace vital des populations riveraines, pas ou peu d’emploi pour les actifs locaux, pollution des cours d’eau (rejets des huileries dans les rivières, rendant l’eau impropre à la consommation, à la pêche et à la baignade...), irrespect des normes fondamentales du travail (sécurité et santé au travail, sécurité lors des transports), campements vétustes pour le logement des travailleurs, irrespect des procédures de négociation collective, et bien sûr un recours massif à des sous-traitants pour avoir des ouvriers agricoles saisonniers corvéables, sans aucun des avantages sociaux dont se targue M. Alix.

Mais surtout, le dossier fait état du « climat de terreur entretenu par la société de sécurité », qui organise des « fouilles inopinées » des villageois et des « descentes » chez eux pour chercher d’éventuels régimes de noix de palme qu’ils auraient volés (alors même qu’ils peuvent les avoir récoltés dans leur propre jardin de case... quand celui-ci a pu être maintenu).

Les ONG s’appuient sur des témoignages d’« actes de sabotage, passages à tabac des villageois pris avec des régimes de noix de palme, destruction des habitations mais également des cas de viols et de meurtres ». Elles précisent qu’il s’agit de « la société Africa Security Cameroun SARL. Fondée par Patrick Turpin, un ancien officier militaire français, elle opère comme une véritable milice privée ».

Une véritable armée privée, oui : développée avec le parrainage du sinistre Jean Fochivé, ex-patron de la police politique qui a durablement traumatisé les Camerounais, Africa Security a compté jusqu’à 2 500 employés, mis notamment au service d’Elf, des groupes forestiers et du clan Biya. Patrick Turpin, qui avait un temps été « porteur de valises » entre Yaoundé, Paris et Genève, avait même réussi à obtenir un permis de port d’arme collectif pour ses hommes...

Le communiqué que s’est procuré Afrik. com précise : « Au sein de cette plantation, le groupe Bolloré garantit des conditions de travail et de sécurité à tous ses salariés ». Pour les ouvriers en sous-traitance et les populations riveraines, c’est moins sûr...


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Dernière mise à jour de cette page le 29/05/2011

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