Guerande-info. Le 2 février 2011 par YD
Pas de doute possible, Gilles Bernier n’est pas un écologiste illuminé, adepte du retour à l’âge de pierre et du « Peace and love ». Né à Clis, père de deux enfants, l’homme est un ancien photographe professionnel qui a roulé sa bosse à travers le monde, notamment en Afrique. À la fin des années quatre-vingt-dix, il s’installe au bord du marais qui l’a vu naître et débute une activité paludière. Il révolutionne sa vie, ses modes de consommations, son appréhension de l’environnement, dans une démarche écologique et économique parfaitement réfléchie.
En 2010, LOPPSI 2 a conduit ce Guérandais de sa confortable yourte à son mini-van, d’une activité paludière et maraîchère lucrative au Pôle Emploi via le RSA, d’un terrain cultivé à une friche, et a disloqué sa famille.
« Même les enfants des écoles venaient ici ! »
Les aléas de l’activité salicole vont provoquer un premier déclic : « J’ai vécu la marée noire de 1999 comme un véritable traumatisme. Puis, en 2001, nous avons eu six mois de pluie consécutifs. Je me suis dit que la monoculture n’était peut-être plus d’actualité car trop dépendante d’un équilibre fragile. J’ai cherché à me diversifier sur les marais en proposant des contes, des visites, des marchés historiques ». L’installation d’une AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) à proximité va l’orienter vers le maraîchage biologique et un circuit court de distribution aux consommateurs.
Le besoin de logement est un second déclic décisif. « J’avais une petite maison au village, devenue trop petite. J’ai longtemps cherché autre chose pour abriter ma famille, en vain. Les prix ont atteint un point de non-retour pour les gens comme moi », explique Gilles Bernier. En 2005, il pose une première yourte de 30 m2 sur un terrain en friche. « La yourte est un type d’habitat nomade protégé par l’UNESCO. Elle offre beaucoup de confort et a un impact minimum sur l’environnement et le paysage », ajoute-t-il. Pas d’occupation illégale de terrain pour la famille Bernier : « J’étais sur le point de partir et le propriétaire est venu me voir pour me proposer ce terrain. Je lui ai expliqué l’intégralité de mon projet. Il était d’accord ». Libéré de certaines contraintes de la société de consommation, il justifie : « Les gens qui utilisent la cabane, la tente, le tipi, la yourte, l'habitat troglodyte, ont fait des choix avant la crise. Je n’emprunte pas sur 50 ans pour endetter mes enfants ».
Il entreprend alors de cultiver la terre, projette même de fabriquer et vendre du pain paysan. Économiquement, l’activité fait vivre la famille. Écologiquement, les Bernier sont en accord avec la nature. « Nous avons mis l’écologie en pratique avec l’utilisation du vélo au maximum, le recyclage de l’eau de pluie. Nous nous sommes appliqués à nous-mêmes des technologies environnementales. C’est aussi très éducatif pour nos enfants, qui ont totalement adhéré au projet. Pourtant, c’est très difficile de changer les habitudes, il faut être vraiment volontaire. Il ne faut surtout pas se couper des autres et garder du lien social », se rappelle-t-il. Mieux encore, on se presse sur le site de la yourte pour mieux manger et s’instruire. « Même les enfants des écoles venaient ici ! », souligne Gilles Bernier.
« L’Etat fait le nettoyage du territoire »
Les difficultés sont arrivées en janvier 2008 avec la visite des services de la mairie. Dans le même temps, les jeunes cultivateurs de l’AMAP étaient expulsés suite à une dénonciation. « Nous sommes dans le domaine de l’intolérance de la part de certaines personnes, mais je préfère m’inscrire dans le registre de l’incompréhension plutôt que dans la colère », tempère-t-il.
Gilles Bernier est allé rencontrer le nouveau maire, Christophe Priou. Après avoir exposé sa situation, la réponse du député-maire a été claire selon lui : « L’État fait le nettoyage pour raison de sécurité, on ne peut rien pour vous ». Il ajoute : « Raisons de sécurité ? Moi, je lui parlais de salades et démarches bio ! ». Procédure d’expulsion, tribunal correctionnel, délit pénal, deux ans à se demander : « Est-ce que c’est bien vrai ce qui m’arrive ? ». LOPPSI 2 met tout le monde dans le même panier, des Roms aux squatteurs. Votée en février 2010 par tous les bancs de l’assemblée, des Écolos à la Droite (de rares exceptions), elle condamne à une amende de 3 700 euros toute commune qui ne dénoncerait pas les situations du genre de celle de Gilles Bernier. « Mes façons de repenser l’économie et l’écologie m’ont conduit en correctionnelle. Mais ce qui est le plus inquiétant, c’est la dénonciation des modes de vies alternatifs », ajoute l’homme blessé.
Gilles Bernier poursuit son constat accablant : « J’étais autonome, je suis aujourd’hui dépendant et fragilisé. Je dors dans mon véhicule, j’ai froid, je perds mon énergie, mes économies, mes amis. Mais je ne veux pas tomber plus bas, ne plus avoir de connexions avec le monde». Même certains organismes issus de l’État sont désarçonnés : « Quand je vais au Pôle Emploi, je ne rentre pas dans les cases. Il a fallu que je demande l’aide de l’État pour mes enfants (qui vivent désormais chez leur mère). Je suis au RSA ! Les gens de l’Action Sociale tombent des nues ! »
Gilles Bernier conclut en dénonçant les dérives de cette loi sécuritaire : « J’avais du pain sur la planche, je proposais une alternative qui fonctionne. Je n’ai pas eu de sommation ! Je crains que nos libertés soient en voie d’extinction. Je ne suis peut-être pas un modèle, peut-être que ma démarche est emmerdante, mais ça ne méritait pas de me « nettoyer ». LOPPSI, c’est la loi pour l’Augmentation des Pratiques Policières pour la Sécurité Imposée ».
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