En France, les secteurs du tertiaire (public et privé) et du résidentiel représentent 18 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Les deux tiers sont émis par les logements de particuliers. Cette tendance énergivore des bâtiments va en s’aggravant, augmentant de 30 % au cours des trente dernières années, avec l’accroissement du parc immobilier et de de la surface moyenne des logements. L’augmentation du confort - éclairage, chauffage - et l’apparition de nouveaux besoins - électroménager, bureautique, réfrigération, climatisation, ventilation - contribuent également à cette explosion de la consommation d’énergie.
Le développement de la climatisation a pour conséquence des émissions de gaz fluorés, dont l’impact sur l’effet de serre peut être 8.000 fois supérieur à celui du CO2 ! Le secteur du bâtiment représente donc un énorme gisement d’économies d’énergie. Pour diviser par quatre ou cinq sa consommation d’énergie d’ici 2050, et limiter ainsi les effets du dérèglement climatique, le secteur résidentiel français va donc devoir engager un sérieux ravalement ! Reste à savoir qui s’attellera à ce travail d’Hercule. « Heureusement, il est possible d’avancer concrètement sur le terrain sans attendre des miracles de la loi », rassure Cyrielle Den Hartigh, chargée de campagne Habitat écologique aux Amis de la Terre.
Le bois éco-certifié en Gironde
Les collectivités territoriales (communes, conseils généraux, régions) ont un pouvoir réel. C’est ce qu’assure le petit ouvrage « Développer les filières courtes d’écomatériaux, guide à destination des collectivités territoriales » édité par les Amis de la terre. Production et distribution de l’énergie, transports, aménagement urbain, gestion des déchets, agriculture, espaces verts, achats publics constituent autant de domaines où les collectivités peuvent agir concrètement.
Parmi les nombreuses expériences répertoriées, on peut citer celle du Conseil général de Gironde (à majorité PS) qui a initié une dynamique d’achat public responsable de bois. La politique forestière du département vise notamment « à multiplier les usages du bois dans les filières de chauffage, d’équipement et de construction, à diversifier les essences, à valoriser le pin maritime, à soutenir les PME et à aider les organismes professionnels ». Le Conseil général a adopté un système d’éco-conditionnalité des aides et des commandes publiques. « Un véritable changement culturel en interne », commentent les Amis de la terre. A chaque appel d’offre, la mission Agenda 21 [1] local doit s’assurer que certaines contraintes environnementales sont bien prises en compte. « Ainsi, en 2007, 80 % des commandes bois étaient éco-certifiées. Ce taux atteint aujourd’hui 100 %. »
Le chanvre en Haute-Garonne
Le Conseil général de Haute-Garonne soutient la culture du chanvre, aujourd’hui destiné à l’isolation des bâtiments, une tradition locale qui s’était perdue. L’émergence de cette filière courte - une unité de transformation s’est installée dans le département - est facilitée par la constitution d’une équipe de conseillers agricoles compétents, l’édition d’une plaquette d’informations et la mise en place d’aides financières aux exploitations.
La valorisation de ces filières courtes présente de nombreux avantages. Le partage d’expérience et de compétences est simplifié et les économies d’échelle (recherche et développement ou communication) rendues possibles. Côté environnement, ces filières courtes ont des impacts très positifs puisqu’elles permettent de « réduire le recours au transport et donc les émissions conséquentes de gaz à effet de serre mais aussi la ponction sur les ressources naturelles importées des pays du Sud (bois tropicaux par exemple) ». Pour les habitants du territoire, la structuration de ces filières d’écomatériaux « permet de renverser l’approche économique : partir de la base, des besoins exprimés par une population sur un territoire pour y répondre au mieux… Cela permet d’ajuster la production à la consommation et non l’inverse. C’est un mode de développement qui part du territoire et y est, de fait, adapté. »
Habitat écologique : encore un (gros) effort !
Outre le soutien aux PME et aux associations, les collectivités sont invitées à former leur personnel administratif (celui en charge des secteurs de l’urbanisme, par exemple) et à intégrer des critères liés à l’utilisation des écomatériaux dans les appels d’offre. Le Guide propose d’ailleurs un descriptif précis des démarches possibles. Des exigences en matière d’écoconstruction ou de performance énergétique peuvent être intégrées au plan local d’urbanisme (PLU).
« Côté administratif, il y a, en France, un gros travail d’information à fournir en matière d’habitat écologique, commente Jean-Yves Brélivet, maître d’oeuvre et vice-président de l’association bretonne Approche (Association pour la promotion de la construction et de l’habitat écologique). Prenons les PLU : la plupart d’entre eux, en imposant des positionnements de maisons aberrants, ne permettent pas de faire de maison bioclimatiques. Il faut que tout cela change ! Et vite ! » Dans certaines villes, il est ainsi impossible d’envisager une isolation par l’extérieur (pourtant imbattable sur le plan de l’efficacité énergétique), pour la simple raison que le bardage bois est interdit par le PLU, qui lui préfère les enduits !
Métiers de l’écologie : l’urgence de la formation professionnelle
Autre levier d’action des collectivités : la formation professionnelle, qui dépend des régions. Tout, ou presque, reste à faire. Exemple : trouver un plombier sachant raccorder une cuisinière à bois à un système d’alimentation de la maison en eau chaude (chauffage et sanitaires) est parfois un exploit ! Si vous y ajoutez une production d’eau chaude via des panneaux solaires, il est encore plus difficile de trouver un professionnel compétent ! A Saint-Étienne, dans le Loiret, l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes) propose depuis 2006 une offre de formation dédiée à la réhabilitation des pratiques de construction traditionnelle (pisé et enduits terre crue). Financée par la le Conseil régional, la ville de Saint-Just-Saint-Rambert et l’Union européenne, cette formation reprend des savoirs ancestraux du pays. Objectif : « Former les maçons pour répondre aux besoins des constructeurs et architectes ». Une centaine de personnes, maçons et demandeurs d’emploi, ont déjà été formés.
Pour activer la mise en place de formations de qualité, les régions peuvent s’appuyer sur des réseaux de professionnels, certes peu nombreux, mais bien organisés et souvent compétents. Les professionnels de l’éco-construction de l’Association Approche délivrent depuis des années des formations courtes dans les universités de Brest et Lorient, auprès des étudiants en géographie, ou en architecture. Ils interviennent aussi régulièrement dans les chambres des métiers.
Emplois créés, fierté retrouvée
En plus de contribuer à résoudre la crise climatique, le développement de ces filières courtes d’éco-construction inscrivent les métiers du bâtiment dans une démarche collective de recherche de qualité. Cela redonne fierté et dignité à des travailleurs plutôt habitués à se faire exploiter pour fournir des bâtiments de piètre facture vendus par des spéculateurs immobiliers. Louis Hatte, consultant mayennais en éco-habitat met ainsi en place une mini-formation sur l’étanchéité à l’air, qui garantit une parfaite enveloppe thermique aux bâtiments. Destinée à tous les corps de métier - plombier, électricien, charpentier, maçon, menuisiers -, la formation est assurée sur les chantiers qu’il suit.
« Cela dure environ deux heures. Je leur montre, grâce à des photos et des schémas comment éviter les ponts thermiques (trous dus à des mauvais raccords d’isolants, mal façons dans la pose de menuiserie... ndlr). J’insiste sur le fait que la réussite de tous est due aux compétences, et au sérieux, de chacun, explique Louis Hatte. Cette façon de travailler crée une complicité entre les différents corps de métier, qui est palpable sur les chantiers. Cela valorise les métiers du bâtiments. Quand nous faisons les "blower door test" (mise sous pression de la maison, de façon à voir s’il reste des ponts thermiques) en fin de chantier, et en public, et que les résultats sont bons, les gars sont très fiers ! Et ils ont de quoi ! » Voici de quoi donner envie à ceux et celles qui cherchent désespérément du boulot, et un métier, de s’y coller, le sourire aux lèvres... A condition que les élus, eux-aussi, se mettent au travail.
Nolwenn Weiler