Ecorev'. Le 5 juillet 2010 par Luke
"Ça fait longtemps que vous attendez ? – Ça va… dix minutes peut-être." Le conducteur s’étonne, plus ou moins ouvertement. Parce que les gens ont peur - de ce qu’ils ne connaissent pas ; de parler avec les gens dans la rue ; de la proximité des transports en commun. Cette image est propagée entre autre par un discours qui met en avant le vote pour les politiciens à vocation kärcher comme indice de la mentalité dominante. La paranoïa ne confirme-t-elle pas l’impact des images que les grands médias font passer à la télé tous les jours ? Pour certains écologistes, les automobilistes sont atteints par une version particulière de la maladie de société qu’est la méfiance : en se réfugiant dans une bulle isolante d’une tonne d’acier coupant tout contact avec l’extérieur, "l’égoïsme agressif et cruel du conducteur" ("L’idéologie sociale de la bagnole", Le Sauvage, 1973) pourrit la société et le climat d’un seul coup d’accélérateur. André Gorz raconte à ce titre l’avis d’un ami de la RDA : "On ne fera jamais le socialisme avec ces gens-là".
La peur des autres
Comment alors expliquer que beaucoup soient prêts à vous inviter dans l’intimité de leur vache sacrée et à vous conduire dans un esprit quasiment socialiste vers votre destination ? Faire du stop défie une société supposée égoïste et individualiste. A force de profiter de la bonne volonté d’inconnus, on constate alors que la société est peut-être moins méfiante qu’on le pensait. En même temps, il devient évident à quel point le sentiment que les autres seraient craintifs et méfiants fait l’unanimité. Cependant, le champ des "autres" se rétrécit au fur et à mesure que vous êtes pris par de plus en plus de personnes de tous les milieux. Outre la découverte de la solidarité, le stop offre des rencontres inoubliables avec des gens de tous milieux (quoi qu’on en pense, les automobilistes sont très représentatifs de la société française). Au moins sur les stations-services, vous pourriez être pris par presque n’importe qui : jeunes et vieux, riches et pauvres, couples et familles, vacanciers et professionnels de toute sorte, immigrés et nationalistes. Personne n’est obligé de parler, mais parfois cela vient naturellement – si vous tombez sur une chercheuse travaillant sur un vaccin contre le sida ; un architecte de travaux publics en Arabie Saoudite ; un gendarme spécialisé dans l’investigation des homicides ; un homme chargé d’amener des voitures d’occasion de l’Allemagne en Iran (aller-retour chaque semaine), etc.
En montant dans une voiture, on s’expose aussi à un risque – le chauffeur qui vous prend également. Mais il n’est pas rare de voir des femmes ou des hommes seuls prendre des auto-stoppeurs/ses et l’autostoppeuse qui préfère des conductrices peut avancer aussi.
Aux aspects humains s’ajoute bien sûr la principale motivation du stoppeur, qui est de voyager pas cher. Le stop est un mode de transport très facile et assez fiable, si on respecte trois règles :
- Premièrement, profitez des oasis que vous met à disposition l’oligopole des multinationales du pétrole. Si vous voulez tester la vitesse de lecture de vos concitoyens, la qualité de votre imperméable et les freins des voitures, mettez-vous au bord de la route avec une pancarte. Sinon, il est fortement conseillé de s’installer à côté des pompes d’une station service et de demander gentiment aux automobilistes s’ils vont dans la bonne direction.
Aimer les stations services
Non seulement vous êtes protégé de la pluie, mais il y a aussi des toilettes et à manger. Les aires de repos sont à éviter : moins de monde, moins de toilettes, moins à manger et plus de pluie. Pareil pour les péages, où le stop est formellement interdit – interdiction que certains péages font respecter… Surtout, les automobilistes se sont déjà arrêtés à la station et ont le temps de réfléchir en toute tranquillité s’ils veulent vous prendre ou non. Résultat, vous êtes pris par des personnes qui ne s’arrêteraient jamais au bord de la route. Très vite, on s’habitue à ne pas demander aux conducteurs de voitures remplies de personnes ou de bagages, et à préférer celles avec la plaque de votre destination. Au lieu de voir vingt voitures vous dépasser au bord de la route, un ciblage à la station service vous permet d’être refusé beaucoup moins souvent. Psychologiquement, c’est mieux. Vous pouvez aussi choisir selon votre goût personnel, évitant peut-être les conducteurs très jeunes avec des voitures puissantes ou juste les personnes louches (et/ou masculines)…
Pour sortir d’une ville il est souvent mieux de prendre les transports en commun pour rejoindre une station service, au lieu de chercher les conducteurs qui ne font pas des trajets intra-urbains. Des guides autostop (www.autopstopguide.com et http://hitchwiki. org/) expliquent comment accéder à ces stations. Même avec une bonne carte, vous risquez de vous trouver à 200m de la station mais avec un champ de boue à traverser. Autre option : se poster à des feux rouges stratégiques (les grands boulevards de sortie de ville) et frapper à la fenêtre des voitures. On se rendra vite compte que la plupart des trajets sont de courtes distances. En région rurale et à défaut de feux, on sort la pancarte – ici la sortie des ronds-points est une option. L’attitude "les gens d’ici sont des biens, pas comme les autres" facilite ici le stop...
Deuxièmement, la présentation compte. Le fait de porter des vêtements corrects et propres (petit acte de soumission à la superficialité) est signe de connaissance du code de société "attitude sérieuse". Le comportement en gestes et mots étant l’autre facteur décisif ; le stop est une bonne école de communication et d’attitude. Il faut vaincre timidité et pessimisme pour avancer...
Connaître son chemin
La troisième règle est la plus importante : savoir où vous voulez aller et ne jamais monter dans une voiture sans savoir où vous voulez descendre. A moins de tomber sur un chauffeur qui vous amènera directement à votre destination, il faut connaître donc les étapes du chemin. Quelle est la dernière station service avant que le conducteur bifurque de votre itinéraire ? Il est étonnant de voir combien de stoppeurs ne respectent pas cette règle, ou font confiance aux conducteurs pour les déposer au bon endroit. A défaut du luxe que représente une carte avec les noms des stations services, il y a une liste avec la distance jusqu’aux prochaines stations – environ toutes les 60km.
Une dernière astuce pour naviguer sur autoroute : les stations services avec des passerelles pour passer de l’autre côté peuvent se révéler très utiles si vous êtes allé trop loin ou si vous pensez qu’il y a plus de circulation dans une direction qu’une autre (si, si, ça arrive).
Avec ces simples règles, on peut facilement faire des grands trajets rapidement, gratuitement et de manière assez écologique. On peut discuter du manque de soutien pour l’infrastructure des transports en commun ou de savoir si le stop renforce l’idée d’une dépendance à la voiture. La question se pose aussi pour le covoiturage organisé, mode de transport bien différent. Il reste que le stop est un moyen immédiat de consommer moins et de vivre au milieu de la société d’aujourd’hui. Qui aurait pensé que la décroissance conviviale pourrait aussi se faire au milieu des automobilistes ?
2. LEON Le 30/08/2010 à 15:54