Au Mali, le pot de terre contre le pot d'uranium

Les Nouvelles News. Le 8 avril 2011 par Arnaud Bihel

 

Comment stopper un projet d'extraction d'uranium sur les terres agricoles de Faléa? Pendant que le monde s'interroge sur les risques du nucléaire, c'est la question que se posent les habitants de cette région enclavée du Mali. Et elle commence à empoisonner les autorités maliennes. « Il faut s'intéresser à Faléa », clame Eva Joly.

 

Faléa, 21 villages et 17 000 habitants, dans une région isolée à 350 kilomètres de la capitale malienne. Tous les jours, sur le plateau, deux foreuses creusent le sol en quête d'uranium. 5 000 tonnes de minerais se trouveraient là. En quatre ans, des dizaines de puits de carottage sont apparus sur ces terres de cultures vivrières. L'exploitation minière proprement dite n'y a pas encore débuté : le groupe canadien Rockgate poursuit la phase d'exploration, pour déterminer les meilleurs gisements et leur profondeur. Mais ce n'est plus qu'une question de mois. Pour les habitants mobilisés contre cette opération minière, et regroupés au sein de l'ARACF (Association des Ressortissants et Amis de la Commune de Falea), le temps presse.

 

L'an dernier un représentant de l'ARACF en France alertait les Verts lors de leur université d'été : l'exploitation d'uranium menace l'environnement et les habitants de Faléa. Greenpeace et la Criirad (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité) venaient d'ailleurs de rendre publique une étude sur l’impact environnemental de l’extraction d’uranium par Areva dans une mine du Niger voisin. Conclusion : les matières radioactives qui résultent de l'exploitation contaminent les sols, l'eau et l'air (ici la synthèse de ce rapport).

De quoi interpeller la députée européenne Eva Joly, qui s'est également penchée en 2010 sur les activités minières d'Areva en Afrique. « Fukushima l'a rappelé, l'uranium est dangereux dans les réacteurs des centrales. Mais il l'est aussi lors de l'extraction, et même dès les forages », souligne-t-elle. Des forages qui nécessitent l'utilisation d'eau et de produits chimiques. Rockgate a déjà contaminé un des puits de la communauté et les carottes, découpées sur place, dégagent des poussières radioactives.

 

Une démission sur fond d'uranium ?

 

A la fin du mois de mars, Eva Joly s'est rendue au Mali, accompagnée de Michèle Rivasi, une autre eurodéputée EELV (Europe Ecologie - les Verts), spécialiste du nucléaire, et de membres de la Criirad. Pendant 5 jours, elles sont allées sur le terrain, à Faléa, puis dans la capitale Bamako où elles ont rencontré les ministres concernés et le président Amadou Toumani Touré. A l'issue de ce séjour, elles affichaient leur satisfaction : l'Etat malien avait entendu leurs doléances et décidé de mettre un terme à l'exploitation de l'uranium à Faléa.

Mais c'était crier victoire trop tôt. Incompréhension ? Volte-face rapide des autorités ? Dès le lendemain, un conseiller du président malien démentait : « Non, il n'y a pas eu de prise de décision de faire arrêter tout de suite les forages. Pour le moment, on assiste à une phase exploratoire dans cette mine. C'est l'exploration qui est en cours, et elle continue ».

 

« Lors d’une ultime rencontre, le président nous a promis d’arrêter les forages, de ne pas délivrer de permis d’exploiter et de désormais favoriser l’agriculture plutôt que les industries polluantes », annonçaient pourtant les écologistes. Difficile de démêler le vrai du faux. « Evidemment, ce n'est pas une décision simple. Il y a des contrats de passés, on ne peut pas tout arrêter d'un coup », reconnaît Eva Joly.

S'ajoute à cela une situation politique devenue confuse : dans les heures qui ont suivi, le président malien a limogé l'ensemble de son gouvernement. Un coup politique dans la perspective des élections présidentielles de 2012, mais les opposants au projet de Faléa - et certains titres de la presse malienne - y voient aussi une conséquence du trouble que sème la question de l'uranium. Et plus précisément de la complaisance de celui qui était ministre des Mines, Abou-Bakar Traoré, à l'égard des compagnies minières.

 

"Pression" du FMI

 

Eva Joly assure croire en l'intégrité de l'ancien ministre. Mais reconnaît l'opacité des décisions autour de l'exploitation minière : ni le ministre de l'Environnement, ni le président Touré, n'étaient au courant du projet minier à Faléa avant la rencontre avec les eurodéputées. Pourtant, en février dernier encore, les autorités maliennes octroyaient à la société canadienne une convention pour deux nouvelles zones d'exploration autour de Faléa. Pour une surface totale de 225 km2. « Nous somme fortement encouragés par le soutien à nos activités de la part du gouvernement malien », se réjouit la compagnie.

 

Eva Joly pointe du doigt un autre acteur dans l'ombre : le Fonds monétaire international (FMI), qui maintient le pays « sous pression pour développer l'activité minière afin d'avoir des revenus à l'export ». Pourtant, estime-t-elle, la productivité minière au Mali offre peu de perspectives pour l'Etat.

Et Rockgate, de son côté, offre peu de garanties. La société n'a vu le jour qu'en 2004, et son actionnariat est inconnu. « Si j'étais le président du Mali, je ne laisserais pas le sort de 20 000 de mes concitoyens entre les mains d'une jeune société qui fait des déficits et qui doit assurer la sécurité des déchets pour 10 000 ans », assène Eva Joly.

 

Dans l'attente de l'étude d'impact

 

Difficile, par ailleurs, de se faire une idée du pouvoir des divers services d'Etat concernés. De l'avis de la Direction Nationale de la Géologie et des Mines, les activités de prospection de l’uranium ne présentent pas de risque pour l’environnement et la santé des populations. Rockgate n'enfreint pas la loi, puisque le code minier malien ne prévoit pas d'étude d'impact environnemental avant l'exploitation. Mais ce code n'est pas adapté à la spécificité de l'uranium, estime Eva Joly. Il a été créé pour l'or - qui représente la grande majorité des ressources minières maliennes. L’AMARAP (Agence Malienne de Radioprotection) a toutefois promis d'effectuer sur place ses propres mesures et analyses... mais, nouvellement créée, elle manque de ressources financières et de moyens logistiques.

 

Depuis 4 ans, les travaux d'exploration de Rockgate peuvent donc s'effectuer dans la plus grande opacité vis à vis du gouvernement, et sans que les populations locales n'aient été informées de quoi que ce soit. Sur place, les habitants dénoncent « l'arrogance » d'une compagnie minière « ignorant royalement leur existence et leurs activités et modes de vie ».

L'étude d'impact social et environnemental, Rockgate devra la fournir pour réellement débuter son activité minière à Faléa. Confiée par la compagnie à une société indépendante, elle devrait enfin voir le jour d'ici le mois de juin. « Bien conduite, elle va démontrer que l'impact sera terrible », lance Eva Joly. C'est sur ses données que le gouvernement malien s'appuiera pour décider, ou non, de délivrer à Rockgate les permis d'exploiter.

 

L'Etat malien enfin sur le terrain

 

Malgré cette évidente confusion, la visite des députées EELV aura eu un effet positif : une mission composée de ces différentes autorités techniques maliennes doit se rendre sur place dans les prochains jours « pour identifier les problèmes et proposer des mesures ». C'est ce qui a été promis à l'ARACF, et ce sera une première : « Depuis 2007, aucun service technique malien compétent ne s’est rendu à Faléa et la compagnie minière oeuvre à sa guise », déplore l'association. Les ministres de l'Environnement et des Mines pourraient eux aussi se rendre sur place à la fin du mois d'avril.

 

De quoi donner aux habitants de Faléa l'espoir de se faire entendre ? Les membres de l'ARACF l'espèrent, même s'ils redoutent une manoeuvre du gouvernement pour faire des promesses mais, au bout du compte, donner leur feu vert à Rockgate.

Pour Eva Joly, « Il faut que la communauté internationale s'intéresse à Faléa ». Car si le projet va à son terme, la vision que propose l'eurodéputée est on ne peut plus noire : « Rockgate va détruire le cadre de vie de 20 000 personnes, polluer la nappe phréatique, rendre la terre inexploitable. Tout ça pour que le Mali puisse rembourser les dettes pourries sous pression du FMI. »

 



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Dernière mise à jour de cette page le 14/08/2011

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