Le Monde. Le 7 Octobre 2010 par Jean-Michel Bezat
La concurrence est de plus en plus rude pour le groupe français Areva sur le marché mondial de l'uranium. Son prix spot (court terme) a beau rester assez déprimé depuis le pic historique atteint en 2008, le minerai à la base du combustible des réacteurs nucléaires reste une ressource stratégique pour de nombreux pays – surtout la France, dont 80 % de l'électricité est d'origine nucléaire.
Au moment où la construction de centrales (une cinquantaine) reprend, notamment dans les grands pays émergents (Chine, Inde), les groupes d'électricité, publics ou privés, doivent impérativement s'assurer de leur approvisionnement à vingt ou trente ans. Le Niger, où 7 expatriés, dont cinq Français, ont été enlevés dans la nuit du 15 au 16 septembre, illustre bien le changement d'époque.
En 2009, quand son gouvernement a accordé le gisement géant d'Imouraren à Areva, Niamey a obtenu un prix de l'uranium et une part du projet (deux-tiers) sans commune mesure avec ce qu'il avait pu arracher dans les années 1960 et 1970 à l'ex-puissance coloniale et à la Cogema pour les mines de Somaïr et de Cominak. On était alors dans l'ère post-coloniale, et le Niger restait dans la zone d'influence exclusivement française.
LES CHINOIS SE SONT BATTUS
Fait nouveau en 2009 : la concurrence s'est exacerbée, ce qui explique aussi que la rente uranifère revenant aux Nigériens soit plus substantielle qu'auparavant. Les Chinois, qui disposaient de relais dans le proche entourage du président nigérien Mamadou Tandja (renversé par une junte militaire en février 2010), se sont âprement battus pour obtenir Imouraren.
Pékin a en effet lancé un programme électro-nucléaire à l'horizon 2030 plus important encore que celui de la France après le premier choc pétrolier de 1973. Ses deux grandes compagnies d'électricité exploitant des réacteurs, CNNC et CGNPC, ont donc un besoin vital d'uranium.
Comme la France, qui a fermé sa dernière mine d'uranium, dans le Limousin, en 2001. Mais le pays était loin d'être autosuffisant, et le Niger était sa principale source d'approvisionnement. La reprise de la prospection par les géologues d'Areva tient aussi à une donnée géopolitique : en 2004, ses dirigeants ont constaté l'épuisement à moyen terme du combustible nucléaire provenant du démantèlement des stocks militaires dans le cadre des accords de désarmement américano-russes (sous-marins, ogives…).
En 2007, ils décident de diversifier leurs sources d'approvisionnement et de consacrer 4 milliards d'euros (hors acquisitions) au développement du pôle minier : acquisition de gisements ou de sociétés minières, prospection dans les régions uranifères.
PREMIER PRODUCTEUR MONDIAL
Le paysage a évolué ces dernières années. Lorsque le prix de l'uranium a flambé, en 2007-2008, les start-up minières se sont multipliées. Avec la baisse des cours, nombre d'entre elles ont disparu ou ont été absorbées. Comme le canadien UraMin, racheté pour 2,5 milliards de dollars (1,8 milliard d'euros) par Areva. Le groupe français doit aujourd'hui faire face à la concurrence des Chinois, des Indiens, de géants miniers comme les anglo-australiens BHP Billiton et Rio Tinto, ou de solides spécialistes comme le canadien Cameco.
Mais contrairement à eux, le groupe français a choisi en 2001 un modèle intégré avec le rapprochement de Cogema (uranium, combustible, retraitement) et de Framatome (réacteurs). Né de ce mariage, Areva propose à ses clients, les groupes d'électricité, tous les équipements et les services de l'atome civil. Un modèle intégré qui lui impose d'être présent dans l'uranium pour fournir ses clients français, chinois ou américains.
Pour l'heure, "Areva est le seul grand producteur d'uranium à disposer d'un portefeuille diversifié", souligne Anne Lauvergeon, la présidente du directoire du groupe. Mais si Cameco n'extrait de l'uranium qu'au Canada, ARMZ (groupe Rosatom) en Russie et BHP Billiton en Australie, toutes ces compagnies cherchent à se développer dans d'autres régions du monde. ARMZ a récemment pris le contrôle du canadien Uranium One et se développe en Namibie et au Kazakhstan. L'australien Paladin a de grandes ambitions sur le continent africain.
En 2009, Areva est devenu le premier producteur mondial. Son minerai provient aussi du Canada et du Kazakhstan ; il arrivera demain de Namibie et probablement de Mongolie, de Jordanie et d'Afrique du Sud. Mais le Niger et les 5 000 tonnes produits chaque année par Imouraren à partir de 2014 restent de la plus haute importance pour la société française. Le coût de développement de cette gigantesque mine à ciel ouvert illustre, à lui seul, l'importance de l'enjeu : 1,2 milliard d'euros dans les prochaines années.
Aucun commentaire