Moissac eu Coeur. 16 mai 2011 par Olivier Chartrain, mis en ligne par Bluboux
DOSSIER. Populations d’abeilles, production de miel, effectifs d’apiculteurs, équilibre économique du secteur : tous les voyants de l’apiculture française sont au rouge. Il faut agir.
L’avenir des abeilles est-il en ville ? Rares sont ceux qui sourient encore à cette idée. Non pas que la production de « miel de béton » dépasserait déjà celle du miel des champs : elle reste marginale et pratiquée par des amateurs. Ceux-là même qui désertent les campagnes tant il est devenu difficile, au moins dans certaines régions, d’y pratiquer l’apiculture.
Sentinelle, comme l’appelle l’Union nationale de l’apiculture de France, ou symptôme : l’abeille abandonne nos campagnes parce que l’environnement lui est devenu hostile. Complexes, les causes de la raréfaction des butineuses sont multiples. Et s’additionnent. Si l’on prend un ordre chronologique, on peut dire que l’abeille fait partie du problème plus général de l’appauvrissement de la biodiversité dans nos campagnes. Ensuite viennent les pesticides dont les dernières générations s’avèrent, de par leur nature (des neurotoxiques) et leur fonctionnement (des produits systémiques qui se diffusent dans toute la plante), particulièrement nuisibles. Ensuite il y a varroa destructor, un parasite qui vient souvent porter le coup de grâce aux ruches affaiblies – même si certains voient en lui le principal agent de la disparition des abeilles. Enfin, il y a toutes les autres causes possibles, comme le célèbre frelon asiatique : une quarantaine, selon un rapport publié en 2009 par l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire).
Les ennemis des abeilles travaillent pour l’OMC
Résultat : la production française de miel est en chute libre. Depuis les années 80, la France était le leader européen du miel. En 1995, la production culminait ainsi à 32 000 tonnes. En 2010 (comme en 2009), elle atteignait péniblement 20 000 tonnes. Ce sont les miels de colza et de tournesol qui ont le plus régressé, les abeilles et leurs maîtres se détournant des zones de grandes cultures, alors que ces miels constituaient depuis longtemps le gros de la production française. L’effectif des apiculteurs n’a cessé de dégringoler, passant de 85 000 en 1995 à 70 000 dix ans plus tard. Ce sont les amateurs, les petits producteurs, qui disparaissent en premier… alors que ce sont eux qui assurent la présence des insectes pollinisateurs jusque dans les moindres recoins du territoire. Ce n’est pas un détail : alors que le chiffre d’affaires global de la filière avoisine les 117 millions d’euros, l’impact de la pollinisation représenterait… 2 milliards d’euros.
Varroa ou pesticides, les ennemis des abeilles travaillent en tout cas pour l’OMC (Organisation mondiale du commerce), maître d’œuvre de la dérégulation du commerce mondial. Car l’affaiblissement de la production française de miel ouvre en grand la porte du marché français, estimé à 40 000 tonnes par an, aux importations. A ses autres soucis, la filière apicole doit du coup ajouter la même maladie qui frappe l’ensemble des productions agricole : la mise en concurrence avec des pays du moins-disant social et environnemental. En l’occurrence la Chine, qui inonde le monde de miels à bas prix (et à la composition parfois suspecte). En France, le miel chinois arrive à moins de deux euros le kilo, alors que les miels français « premier prix » sont entre 3 et 3,25 euros me kilo. Du coup, les producteurs de tels miels se voient proposer des prix d’achat inférieurs à leurs coûts de revient. Et voient leur avenir s’assombrir encore un peu. Il faut donc poser la question : si demain il n’y a plus assez d’abeilles pour polliniser « naturellement » les champs, qui voudra assumer le coût d’une pollinisation artificielle ?
Il est le nouveau président de l’Union nationale des apiculteurs de France (UNAF). Olivier Belval, apiculteur bio en Ardèche, évoque pour la Terre le problème des pesticides et des importations. Et pointe du doigt la libéralisation des marchés agricoles.
Il y a de moins en moins d’abeilles en France. Les pesticides en sont-ils seuls responsables ?
Olivier Belval : Les pesticides sont la cause principale à défaut d’être la seule. On connaît leurs effets dévastateurs sur les abeilles : mortalité aiguë, abeilles qui tuent les larves dans la ruche, dépopulation – ce que l’on appelle le syndrome de disparition des abeilles, le CCD (Colony Collapse Disorder) en anglais : toute une génération d’abeilles disparaît de la ruche. Celle-ci s’affaiblit, la production baisse voire s’arrête. La ruche vivote jusqu’en automne et souvent, meurt en hiver. Cette mortalité hivernale est certes multifactorielle : la pauvreté de la biodiversité dans certaines plaines agricoles, plus les traitements, plus le parasite varroa destructor qui est un agent pathogène important… finissent par avoir raison des ruches. Mais ce n’est pas parce que varroa est le dernier à passer qu’il est le responsable : quand meurt d’une pneumonie alors qu’il est atteint du sida, il entre bien dans les statistiques du sida ! Pour nous, les pesticides sont la première cause et juste derrière, il y a l’affaiblissement de la biodiversité lié aux pratiques agricoles d’intensification et de spécialisation des productions.
Tous les apiculteurs sont-ils touchés ?
Olivier Belval : Les apiculteurs professionnels s’en sortent en transhumant leurs ruches, c’est-à-dire en les apportant seulement au moment de la floraison des plantes qui les intéressent. Mais c’est dramatique pour les petits apiculteurs. 15 000 ont jeté l’éponge, à force de voir leurs abeilles disparaître chaque année, à force de devoir les racheter… Pour eux, l’apiculture était un loisir et un plaisir : quand elle devient une corvée, ils lâchent l’affaire. Cela porte atteinte au maillage du territoire par une multitude de petits apiculteurs, qui permet une pollinisation gratuite de l’ensemble des cultures. Il y va donc aussi de l’intérêt de ceux des agriculteurs qui ont besoin des abeilles. Car un apiculteur professionnel, lui, se fait payer pour polliniser. D’ailleurs, la demande de pollinisation augmente.
Ce combat semble sans fin : quelles solutions durables proposer ?
Olivier Belval : Il faut prendre une mesure conservatoire par rapport aux produits que nous pointons du doigt depuis des années. Cela peut avoir un effet immédiat. Chez nos collègues italiens, qui ont obtenu la suspension des produits que nous réclamons ici, les ruches retrouvent leur tonus, la production remonte, la mortalité hivernale baisse. Au lieu de ça, le gouvernement s’est mis à accorder des autorisations de mise sur le marché pour un an seulement ; ce qui fait que le temps que la justice se prononce, le produit a déjà changé de nom et il faut tout recommencer. Par ailleurs, si certains agriculteurs pensent qu’ils n’ont pas d’autre solution que l’usage de produits chimiques, d’autres cherchent des solutions ; quitte à assumer une perte de rendement les premières années, le temps qu’un équilibre naturel se rétablisse. Mais même en bio on sait aujourd’hui obtenir des rendements honorables. Enfin, nous mettons en place un partenariat avec des agriculteurs qui, sans être en bio, s’engagent à bannir certains produits de leurs cultures. Car il faut que ces gens, qui subissent des contraintes supplémentaires et un petit surcoût, puissent valoriser leur production. C’est l’essentiel du problème : la libéralisation totale du marché, avec des coûts de main-d’œuvre très différents entre l’Europe et d’autres parties du monde, voire entre la France et certains pays d’Europe, pousse à toujours plus de productivité, de rendement, de surface, d’industrialisation de l’agriculture en général, avec les effets que l’on connaît sur les abeilles.
Les importations à bas coût ne sont-elles pas aussi un problème ?
Olivier Belval : La France ne produit pas assez de miel. Quand plus de la moitié du miel vendu en vrac en France est importé, le prix de référence est celui du miel importé. Les apiculteurs qui vendent au détail ou en direct peuvent valoriser leurs produits et s’en sortir. Mais ceux qui ne vendent qu’en vrac parce qu’ils ont de gros tonnages de production, sont en concurrence directe avec des miels de bas de gamme importés de Chine, d’Argentine ou d’ailleurs. Or malheureusement, ce sont aussi ceux qui sont le plus confrontés au problème des pesticides, car ils font du miel de grandes cultures, colza ou tournesol, qui faisait auparavant le gros de la production française. Ils sont sinistrés à double titre : on leur achète leur miel à un prix qui est parfois en dessous du coût de revient, et en plus ils doivent racheter chaque année leurs colonies d’abeilles.
Ces importations ne comporte-t-elle pas aussi un risque de fraude ?
Olivier Belval : Normalement les importateurs doivent étiqueter de façon transparente. Mais les contrôles sont insuffisants. Pourtant on sait qu’en Chine, seul pays à accroître sa production alors qu’il est confronté aux mêmes problèmes que nous, il existe des « usines à miel » artificiel, à base de sucre inverti, de l’amidon de maïs ou de blé… et un tiers de vrai miel. C’est ce qu’on appelle l’adultération. On peut retrouver ce genre de « miel » dans les produits au miel (shampooings, céréales, nougats, confiseries…), où le miel sert surtout d’argument de vente. Il faut aussi savoir que si on lit « miel origine CE et autres » sur une étiquette, il n’y aura sans doute pas plus de 5 à 10 % de miel d’acacia de Hongrie, par exemple, et le reste viendra de Chine, derrière une appellation purement commerciale du style « miel d’apiculteur » ou « apiculteurs associés ». Ce sont des pratiques qui se multiplient en ces temps de crise, quand le premier critère d’achat est le prix.
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