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Comment remplir les caisses vides de l’Etat ? En faisant revenir, en catimini, l’argent planqué en Suisse, au Luxembourg ou aux Bahamas, en offrant une semi-amnistie aux « petits cachottiers » du fisc.
Avant de faire de la politique, Eric Woerth, 53 ans, diplômé d’HEC, a travaillé au cabinet Arthur Anderson, ou il s’est spécialisé dans l’audit d’entreprises. Pas étonnant que Jacques Chirac ait fait appel à lui en 2002 pour être le financier de sa campagne présidentielle. Et comme les talents ne se perdent pas, il a joué le même rôle en 2007 auprès de Nicolas Sarkozy. C’est lui le financier de l’UMP.
Ministre du Budget, Eric Woerth a discrètement créé le 20 avril dernier une « cellule de régularisation des avoirs non déclarés ». Jusqu’à présent, quand un contribuable français, pris de remords, venait régulariser sa situation, il devait le faire à visage découvert. Il se voyait infliger une retenue de 80 % sur les sommes placées à l’abri du fisc. Les fraudeurs repentis ne se bousculaient pas au guichet.
Dorénavant, le fraudeur a la possibilité d’envoyer un avocat en éclaireur. Ce que confirme Nicolas Melot, du cabinet Melot & Buchet à Paris : « Afin d’avoir une vision claire de l’étendue des conséquences financières et éventuellement d’en négocier le montant avec le fisc, le contribuable peut faire appel à un conseil et débuter cette procédure sur une base anonyme ». Ensuite, le contribuable négligeant ne se dévoile que s’il accepte le compromis proposé par le ministère du Budget.
Quelles sanctions pour le mauvais contribuable ? Le patrimoine rapatrié fait l’objet d’une taxation au titre de l’impôt sur le revenu (et éventuellement de l’impôt sur la fortune) sur les trois dernières années. Parfois sur six ans, s’il ne s’agit pas d’un « petit cachottier », pour reprendre l’expression de l’avocat fiscaliste parisien Patrick Michaud, spécialiste des installations clés en main des riches épargnants dans les paradis fiscaux, mais d’un « grand cachottier ».
En contrepartie, Eric Woerth oublie d’appliquer les pénalités et surtout n’engage pas de poursuites pénales. « Cela peut ressembler à une amnistie fiscale individuelle. C’est une mesure très intelligente. Toutefois, le contribuable qui s’annonce à cette cellule de régularisation des avoirs non déclarés doit s’attendre, à l’avenir, à des contrôles fiscaux serrés », prévient maître Carlo Lombardini, installé à Genève, spécialiste du droit bancaire.
Au ministère du Budget, on se garde bien de parler « d’amnistie », on préfère le mot « régularisation ». « Nous demandons à ces contribuables de verser les sommes dues », précise le service de la communication. Voilà pour la théorie. Mais dans la pratique, il y a bien négociation. Surtout si le contribuable n’a pas fraudé lui-même. Un exemple : en héritant, un Français découvre que son père lui a laissé cinq millions d’euros placés dans une banque suisse. Si les impôts lui en réclame quatre millions, pas fou, il ne contactera jamais la cellule de régularisation. En revanche, si l’amende ne se monte qu’à 500 000 ou à un million d’euros, soit 10 à 20 % du bas de laine, il peut songer à rapatrier ce patrimoine dans l’Hexagone.
En effet, cet argent non déclaré est très compliqué à dépenser. D’abord, il faut se déplacer en Suisse, puis le sortir en liquide, au risque de se faire pincer par les douaniers. Ensuite, avec des billets de banque, on ne peut plus s’acheter une voiture, encore moins une résidence secondaire. Tout juste se payer un palace ou un restaurant gastronomique. A la longue, c’est risquer la crise de foie…
« En me basant sur le nombre d’appels téléphoniques reçus, notamment de Français qui possèdent des avoirs en Suisse, je peux prédire à cette cellule un beau succès. Sa création est bien évidemment dans la droite ligne du G20 », précise Yann de Givré, directeur du département fiscal du cabinet Fidal à Paris. Il est vice-président de l’Institut des avocats conseils fiscaux. A Londres, lors du G20, les grandes puissances ont d’abord brandi le bâton pour menacer la Suisse et les paradis fiscaux. A présent, Paris sort la carotte. L’adage ne dit-il pas que « faute avouée est à moitié pardonnée » ?
Seul petit bémol : il n’y a que les « petits cachottiers » qui ouvrent des comptes à leur nom à Genève ou à Vaduz (au Liechtenstein). Les « gros cachottiers », eux, se planquent derrière des trusts ou des fondations, où leurs noms n’apparaissent même pas. Comment le ministère du Budget va-t-il les amnistier ?