Jeudi soir 21 heures 30. Sous une pluie battante, une trentaine d’électriciens et gaziers, militants de la CGT, attendent devant le commissariat de police du 18ème arrondissement, rue de Clignancourt à Paris. Un jeune électricien les poings serrés dans les poches, tremble d’émotion. Il peine à contenir sa colère : « Ils ont raflé les copains ». Un autre militant, Pierre Helfer, confirme : « On vient de voir les copains, menottés dans le dos, partir dans des fourgons, on sait pas où on les emmène ». Le maire adjoint PCF du 18ème, Gérald Briant, sort du poste de police : « Vos camarades sont en garde à vue. Une plainte a été déposée pour dégradation et violence en réunion. Certains pourraient faire l’objet d’une comparution immédiate ». « C’est une provocation », dénonce-t-il.
Source vidéo : nouvelobs.com
Quelques heures auparavant, en début d’après-midi, entre 200 et 300 agents d’EDF et de GDF, selon la CGT, pénètrent dans le siège de l’Union nationale des employeurs des industries gazières (UNEMIG), rue de Courcelles, dans le 8ème arrondissement de Paris. Parmi eux, le secrétaire du syndicat CGT Paris, Cédric Liechti : « Nous sommes montés à l’étage de la direction. Nous voulions qu’un responsable nous explique pourquoi ils refusent d’ouvrir des négociations sur le salaire minimum de base (les agents revendiquent sa revalorisation de 5% - NDLR) alors que nous sommes en mouvement depuis sept semaines. Nous n’avons pu rencontrer personne et nous sommes partis ».
En sortant, le secrétaire régional CGT, Thierry Chevalier, informe la police présente que les manifestants vont « se rendre en cortège » jusqu’aux locaux de leur syndicat situés non loin de là, au siège des filiales de distribution d’EDF et de GDF, rue de Vienne dans le 8ème. Sur place, « Thierry a pris la parole pour faire un point sur la situation. Il parlait depuis quelques minutes à peine quand des dizaines de CRS ont déboulé. Sans explication ni sommation, ils nous ont chargés méchamment. Une camarade a été très brutalement malmenée », explique Cédric Liechti. « Nous ne comprenions pas ce qu’il se passait. Ils nous ont cernés. Puis embarquer dans des cars. Ils nous ont emmenés et répartis dans plusieurs commissariats. Ca a pris du temps, ils ne trouvaient pas de place », poursuit Stephane Tocq, un des 74 interpellés. Une fois au commissariat, ils se font notifier leur garde à vue pour « dégradation et violence en réunion ». Des faits qui, apprennent-t-ils, auraient été commis, selon la police, au siège de l’UNEMIG.
Photo anthropométrique, prise d’empreintes et d’ADN, confiscation des lacets et des ceintures et fouilles au corps. « C’est humiliant de se trouver nu, penché en avant pour que l’on s’assure que vous ne dissimulez rien », raconte Cédric Liechti, retenu au commissariat du 12ème. « Contrairement aux CRS, les agents de police ont plutôt été humains. Ils étaient gênés. Certains ne cachaient pas leur ras-le-bol. L’un d’eux m’a dit : « Avant-hier, on a eu les gardiens de prison, il y a pas longtemps des pompiers. On en a marre d’embastiller des syndicalistes pour faire plaisir à Sarkozy », relate Thierry Chevalier, gardé à vue dans le 10ème. Un autre fonctionnaire de police déclare à Cédric Liechti : « On est désolé, mais les ordres viennent d’en haut. On peut pas vous relâcher même s’il n’y a rien dans le dossier ». Dans le 11ème, Stephane Tocq assure avoir entendu dire la même chose.
« En guise de dégradations, le policier qui m’a entendu m’a parlé d’autocollants collés sur une porte et d’une pile de papier renversée. Pour les violences, il "ne savait pas" », explique Cédric Liechti. « Celui qui m’a interrogé n’avait aucun élément ni sur les dégradations, ni sur les violences », poursuit Stéphane Tocq. L’audition de Cedric Liechti prend fin d’une manière plutôt surprenante : « Une femme est entrée dans le bureau. Elle a dit à l’autre policier : "Stop ! Y’a contre ordre ! Le procureur fait marche arrière. Tu classes sans suite et tu le libères" ». Un revirement inattendu. « Peut-être le fait qu’il y a rien dans le dossier. On ne sait même pas qui a porté plainte. EDF et GDF s’en défendent. Peut-être l’UNEMIG (jointe par l’Humanité, cette dernière n’a pas souhaité s’exprimer - NDLR). Sans doute aussi que la vague de protestation suscitée par cette rafle a calmé le gouvernement ».
A l’extérieur, ceux qui ont échappé aux CRS ont en effet sonné l’alerte. Dans les locaux de la CGT énergie à Montreuil, les responsables syndicaux s’activent. Ils envoient aux médias un communiqué dénonçant « la rafle » et « des gardes à vue politiques ». Alertée, la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, qui la veille interpellait le premier ministre à l’Assemblée nationale, appelle Matignon pour protester contre l’arrestation des gaziers et électriciens et exiger leur libération immédiate. La présidente du groupe communiste au Sénat, Nicole Borvo Cohen-Seat, et les élus de Paris interviennent aussi. En meeting à Montreuil, le directeur de l’Humanité et tête de liste du Front de gauche, Patrick Le Hyaric, dénonce « la répression qui s’abat sur le mouvement social » et exige aussi « la libération des 74 ». Averti en pleine réunion du conseil municipal, le député-maire PCF de Tremblay-en-France, François Asensi, fait adopter un vœu dans le même sens. Finalement, entre minuit et 3 heures du matin, les 74 interpellés « se verront notifier le classement sans suite de la procédure » et seront enfin libérés.
Pierre-Henri Lab
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