Alternatives économiques. 19 janvier 2010
Il y a dix ans, entrait en vigueur la loi "Aubry 2" sur les 35 heures. Que penser de cette réforme, sans doute une des plus controversées et des plus débattues des dernières dix années ? Pour y répondre, une sélection de textes parus dans Alternatives Economiques au fil des ans.
Dix ans après, la polémique sur les 35 heures est moins dure qu'auparavant. La raison en est simple : la réponse inverse de la réduction du temps de travail, le "Travailler plus pour gagner plus" promis par le candidat Nicolas Sarkozy, n'a pas prouvé son efficacité face à la contraction de l'activité économique. En effet, les multiples mesures prises depuis 2002 pour détricoter les 35 heures coûtent une fortune aux pouvoirs publics. En particulier, les subventions massives accordées depuis 2007 pour défiscaliser les heures supplémentaires grèvent le budget de l'Etat de quatre milliards d'euros chaque année. Au contraire, en ces mois où les carnets de commande se vident, ce sont bien les accords négociés dans les entreprises au moment du passage aux 35 heures qui servent à amortir les effets de la crise sur l'emploi.
A l'époque, les 35 heures avaient été instaurées en deux temps. La loi dite "Aubry 1" (1998-1999) ouvrait un processus expérimental de négociations entreprise par entreprise, avec exonération de cotisations sociales pour celles qui concluaient des accords prévoyant des embauches. En 1999, la loi "Aubry 2" a été votée, applicable à partir de 2000. Elle a ramené la durée légale à 35 heures hebdomadaires, moyennant la généralisation et la pérennisation des exonérations de cotisations sociales. Les entreprises de moins de 20 salariés disposaient de deux ans supplémentaires avant de s'y plier à leur tour. En 2003, l'extension à toutes les entreprises de l'aide prévue dans la loi "Aubry 2" et la décision d'ouvrir un contingent annuel d'heures supplémentaires permettant à toutes les entreprises n'ayant pas signé d'accord de RTT de continuer à pouvoir de facto travailler 39 heures ont signé le gel du processus.
On attribue aux 35 heures un grand nombre de tares. Elles seraient responsables de la faible croissance en raison de leur coût excessif, des contraintes qu'elles font peser sur les entreprises et des blocages qu'elles engendrent pour travailler davantage. Elles seraient le symbole d'une France paresseuse, ayant choisi de privilégier le loisir et le farniente et qui s'étonne de voir son pouvoir d'achat s'éroder. Nadine Morano, porte-parole de l'UMP, résumait ces critiques le 8 janvier dernier (sur France Inter) d'une formule frappante: "Les socialistes ont injecté 15 milliards d'euros dans les 35 heures pour empêcher les Français de travailler." A l'heure où il faudrait retrousser ses manches, les 35 heures apparaissent comme l'obstacle essentiel à abattre. Qu'en est-il au juste? Revue de détails des affirmations les plus courantes. Lire la suite
Emploi, coût, pouvoir d'achat..., Martine Aubry répond à la droite et défend les 35 heures.
On ne peut pas parler des 35 heures sans revenir à la situation dans laquelle nous étions en 1997. 3 250 000 chômeurs. Un jeune actif sur quatre sans emploi. Un million de RMIstes. Un moral des ménages et des entreprises au plus bas. Une croissance à la traîne de l'Europe. Des salaires gelés, les fruits de la croissance profitant exclusivement aux revenus du capital. Une progression des inégalités. Une natalité en baisse. Des quartiers en déshérence. Une sécurité sociale en faillite... Bref, une société bloquée, qui avait perdu confiance en l'avenir et déclinait. Nous avions la conviction que l'emploi était au coeur de la solution à beaucoup de ces problèmes. C'était, en 1997, la préoccupation numéro 1 des Français. Lionel Jospin et son gouvernement en ont fait leur priorité.
Alors que tous les gouvernements avaient échoué sur la lutte contre le chômage depuis vingt ans, il fallait montrer un grand volontarisme et ouvrir toutes les pistes possibles. Lutter contre le chômage n'est pas un combat idéologique. C'est un combat politique, qui exige de mobiliser une part majeure des ressources et des énergies de la société pour la création d'emplois. Si la politique a un sens, c'est bien d'agir pour permettre à chacun de trouver un emploi, non seulement pour gagner sa vie, mais aussi pour trouver une place dans la société, une utilité sociale et ainsi tout simplement pour exister. Attaquer le chômage par tous les bouts, tel était donc notre objectif. Les résultats ont été là: 2 millions d'emplois créés de 1997 à 2002, 900 000 chômeurs en moins. Lire la suite
Entretien avec Jérôme Pélisse : Sociologue, maître de conférences à l'université de Reims, chercheur au laboratoire AEP (analyse et évaluation des professionnalisations). Il a rédigé une thèse au Centre d'études de l'emploi (CEE) sur les 35 heures.
Entretien avec Gaëtan Gorce : Député de la Nièvre, secrétaire national du PS et porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée nationale sur les questions sociales et l'emploi.
Si la droite propose de "travailler plus pour gagner plus", la gauche s'interroge: la RTT a-t-elle dégradé les conditions de travail? Rapporteur de la loi Aubry II, le député socialiste Gaëtan Gorce en débat avec Jérôme Pélisse, sociologue du travail.
Il est de bon ton, aujourd'hui, d'observer d'un regard critique l'effet du passage aux 35 heures sur les conditions de travail et, notamment, sur l'intensification. Qu'en est-il réellement, selon vous ? Lire la suite
Les 35 heures ont-elles contribué à densifier le travail en réduisant le temps de travail sans pour autant diminuer les charges de travail? De fait, les lois Aubry visaient avant tout à développer l'emploi, et sur ce point leur bilan est tout à fait positif: environ 350 000 emplois créés (1). Mais il est vrai que cette priorité a fait passer au second plan la réflexion sur les conditions de travail.
Résultat: en 2001, 42% des salariés passés aux 35 heures dans le cadre des lois Robien ou Aubry 1 déclaraient avoir moins de temps qu'avant pour effectuer les mêmes tâches (2). Mais les salariés concernés ne s'en plaignaient pas forcément, estimant sans doute que d'autres éléments contrebalançaient l'intensification de leur travail (meilleure conciliation temps de travail-vie familiale, création d'emplois dans l'entreprise, etc.). Au final, seuls 15% des salariés estiment que la réduction du temps de travail a détérioré leur situation, selon une récente étude de la Dares tirée de l'enquête Sumer 2003 (3): 14% des cadres, ingénieurs et techniciens et 17% des employés sont mécontents, mais seulement 12% des ouvriers.
Les salariés passés aux 35 heures auraient même des conditions de travail plus favorables que les autres travailleurs: ils déclarent moins souvent subir une pression temporelle forte, ne pouvoir compter sur aucun soutien de la part de leurs collègues ou trouver leur travail stressant. Toutefois, nuance l'économiste Thomas Coutrot, auteur de l'étude, on peut supposer que les salariés qui ont bénéficié d'une réduction effective de la durée du travail sont aussi ceux qui bénéficiaient auparavant déjà des meilleures conditions de travail.
(2) Voir Premières synthèses n° 21-1, mai 2001, disponible sur www.travail.gouv.fr
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