La surprise est venue du Pérou le 7 juin avec un moratoire de dix ans sur les OGM. Par ce vote, le Pérou rejoint les rares pays d’Amérique latine – Guyana, Surinam, Équateur et Vénézuela – qui ne cultivent pas de plantes génétiquement modifiées. Cette fronde anti-OGM fait écho à une résistance grandissante en Europe où seulement deux OGM sont cultivés, le maïs Mon 810 du géant américain Monsanto et la pomme de terre Amflora de l’allemand Basf. Sept Etats membres – Allemagne, Autriche, France, Grèce, Hongrie, Luxembourg, Bulgarie – maintiennent une interdiction à la culture contre le Mon 810. Quant à la pomme de terre Amflora, elle s’est vue retoquée à la porte de trois pays européens invoquant des inquiétudes sanitaires. Autre nouvelle réjouissante pour les opposants aux OGM : le statut « sans OGM » du territoire hongrois a été intégré dans la nouvelle Constitution votée en avril dernier.
Un récent rapport des Amis de la Terre indique une diminution des surfaces cultivées en OGM avec moins de 0,06% des champs européens plantés d’OGM en 2010, soit une baisse de 23% entre 2008 et 2010. Un recul qui n’est peut-être pas sans lien avec la pression croissante de l’opinion publique. Un sondage publié en octobre 2010 révèle que 61% des Européens se méfient des OGM – des scores allant jusqu’à 96% pour la Norvège ou l’Allemagne. Même l’Espagne, qui concentre les trois-quarts de la superficie totale des terres consacrées à la culture d’OGM en Europe, connaît une opposition de 74% à ces cultures.
La Commission européenne fait le jeu de l’agro-industrie
Face au rejet croissant des OGM, la Commission européenne joue la sourde oreille. L’annonce d’une révision générale en 2012 de la législation européenne sur les OGM pourrait bouleverser les règles du jeu. « La commission européenne travaille sur la manière dont elle peut infléchir la législation », confie Éric Meunier de l’association Inf’Ogm. « Cela s’est traduit en début d’année par la remise en cause de la tolérance zéro. » Concrètement, la Commission européenne a proposé un règlement visant à autoriser un seuil de 0,1% d’OGM pourtant interdits et non testés dans l’alimentation animale. Par exemple, si un lot de soja arrive en Europe pour l’alimentation animale et que l’on trouve moins de 0,1% de soja génétiquement modifié non autorisé, le lot pourra quand même pénétrer le territoire.
L’enjeu est considérable. Car si les États membres cultivent moins de plantes génétiquement modifiées sur leur sol, ils en importent des millions de tonnes de l’étranger pour nourrir le bétail. De quoi multiplier les risques de contamination des champs pendant le transport, souligne la Confédération paysanne. « Une décision de justice aux États-Unis rappelle que dans ce pays, une telle présence même faible est illégale », relève Éric Meunier. Une fois n’est pas coutume, les États-Unis sont sur cette question du seuil de présence d’OGM interdits [1] plus stricts que l’Union européenne... Et même si davantage de produits OGM y sont autorisés (mais pas tous), grâce à un système d’évaluation des risques plus laxiste.
Une évaluation des risques revue à la baisse
« La Commission européenne avance des pions pour que le système d’évaluation au niveau européen soit harmonisé avec celui des États-Unis », poursuit le membre d’Inf’Ogm. L’évaluation des risques liés aux plantes transgéniques pourrait donc être allégée et calquée sur le modèle américain. Et voilà donc le retour en force de « l’équivalence en substance », un principe qui consiste à comparer les composants d’une plante transgénique (nutriments, protéines, glucides...) avec des plantes conventionnelles. Si les écarts enregistrés correspondent à des écarts connus entre variétés de la même espèce, la plante transgénique est considérée comme étant équivalente en substance. « Et l’évaluation de l’OGM s’arrête là. Il n’y a pas d’analyse de toxicologie, c’est un allègement de l’évaluation et pas un renforcement », alerte Éric Meunier. Le principe d’équivalence en substance a été proposé par l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA), comme la clé de toute évaluation. « Un dogme », a rétorqué le député européen José Bové, membre du groupe les Verts. « Le panel OGM de l’EFSA se contente de comparer des données fournies par Monsanto à d’autres données fournies également par Monsanto, explique t-il. C’est un cercle vicieux. »
L’Agence, censée être un organisme de contrôle indépendant, a été décriée ces derniers mois après la révélation de plusieurs conflits d’intérêt au sein de la structure. Une étude du Corporate Europe Observatory publiée le 23 février 2011, apporte les preuves des liens entre quatre membres du conseil d’administration de l’EFSA et l’ILSI (International Life Science Institute), un institut financé par l’industrie agro-alimentaire. En octobre 2010, la présidente de l’EFSA, Diana Banati, a été contrainte de démissionner de l’ILSI où elle siégeait comme membre du Conseil des Directeurs. « Cette réaction montre à l’évidence que ces deux engagements n’étaient pas compatibles », analyse José Bové. Cette affaire révèle aussi la manière dont l’industrie des biotechnologies est parvenue à influencer les décisions de l’EFSA en plaçant dans ses instances décisionnelles des personnalités scientifiques qui reprennent ses analyses et qui partagent ses objectifs.
Questions sur les OGM déjà autorisés
Pour l’association Inf’Ogm, ce ne sont pas seulement les procédures d’évaluation des risques liés aux OGM qui doivent être revues de fond en comble. Dans une pétition, ils demandent au ministère de l’Environnement de « réclamer à la Commission européenne une réévaluation statistiquement fiable des plantes génétiquement modifiées autorisées ou en cours d’autorisation ». Tout est parti du maïs Mon 810 qui, dix ans après avoir été autorisé, fait actuellement l’objet d’une réévaluation. Dans un avis émis fin 2009, les experts français réunis au sein du Haut Conseil des Biotechnologies rappellent que la Commission européenne est incapable de dire s’il existe ou non un impact du Mon 810 sur la santé. Ils précisent que l’EFSA « reconnaît implicitement que les procédures [d’évaluation] antérieures ne sont pas satisfaisantes et que les réserves formulées [...] étaient fondées ».
En février 2011, c’est au tour de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) de se saisir du dossier. Le verdict de l’ANSES ne prête à aucune ambiguïté : les données issues des analyses ne sont pas interprétables du fait de la faiblesse de détection des tests. Par exemple, l’EFSA peut ne pas constater de toxicité dans le dossier présenté par Monsanto, sans pour autant pouvoir affirmer que cette toxicité n’existe pas. Or, l’ensemble des plantes génétiquement modifiées a été évalué selon la même procédure. Inf’Ogm interpelle par conséquent la Commission européenne afin qu’elle réponde clairement à la question de la toxicité du maïs Mon 810. Et appelle à reconsidérer les autorisations précédemment données qui concernent en Europe, outre la culture du maïs Mon810 et de la pomme de terre Amflora, une variété de betterave sucrière, trois de soja, trois de colza oléagineux, six de coton et 17 de maïs.
Citoyens et élus contre technocrates
C’est peut-être pour débloquer le dossier OGM que la Commission européenne fait en juillet 2010 une étrange proposition : introduire une nouvelle disposition permettant aux gouvernements nationaux d’invoquer des raisons pour interdire les OGM sur leur territoire. D’emblée, la Commission souligne que les arguments soulevés ne sauraient concerner des risques sanitaires ou environnementaux, la Commission souhaitant garder, via l’EFSA, la main en ce domaine. Que reste t-il alors comme motifs ? L’éthique et la moralité publique qui, en cas de contestation de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), risquent de ne pas être très solides juridiquement.
Nommée rapporteur sur cette proposition, la députée Corinne Lepage, membre de l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ALDE), soumet en février 2011 une version modifiée. Elle invoque notamment le risque de dissémination d’OGM sur un territoire, et l’insuffisance des données sur une semence transgénique pour interdire sa mise en culture. Le 12 avril, la Commission Environnement du Parlement européen vote favorablement à cette proposition. C’est en juillet que le texte sera soumis en plénière au vote des députés européens. Tout cela, à quelques mois d’une remise à plat de la réglementation générale sur les OGM.
Dans les couloirs, on s’interroge sur la stratégie de la Commission européenne qui parcellise la question OGM et multiplie les groupes de travail, empêchant toute vision globale du dossier et ce, à quelques mois de sa révision complète. Incertitudes juridiques, isolement des États devant l’OMC, fragilisation des interdictions, autant de points noirs qui laissent à penser que la Commission européenne doit d’abord répondre à la demande, formulée en décembre 2008 par le Conseil des ministres de l’Environnement, de renforcer l’évaluation des OGM. Pour le député européen José Bové, une chose est sûre : « Rien ne peut se faire à l’intérieur du Parlement, sans une forte mobilisation à l’extérieur. »