Depuis le fameux discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, le 30 juillet dernier, quelques jours avant la mise en congé du gouvernement - à l'exception de Brice Hortefeux -, les proches du chef de Sarkofrance se frottaient les mains : la polémique sécuritaire lancée par leur patron semblait leur garantir un été médiatiquement occupé sur un terrain propice, la chasse au Roms, la préparation de deux nouvelles lois, l'une sur l'immigration l'autre sur la sécurité intérieure, rapidement complétée par un volet sur la déchéance de nationalité. De surenchère en polémique, Nicolas Sarkozy semblait avoir repris la main, sondage à l'appui. Mais patatras ! les excès de zèle d'un Christian Estrosi, les articles de la presse étrangère, y compris des anglosaxons les plus conservateurs, un contre-sondage commandé par Marianne... ont transformé le coup d'éclat en coup dans l'eau.
On semble revenus aux pires moments du débat sur l'identité nationale. Pire, l'économie, avec la menace d'une agence de notation, s'est invitée dans le débat en fin de semaine.
Le débat dérape
Le weekend dernier, Christian Estrosi a cru bien faire. Le maire de l'une des communes les plus insécurisées de France (Nice) a lancé l'idée d'amendes contre les municipalités ne respectant pas leur « obligation de sécurité ». Sur le coup, Nicolas Sarkozy s'est paraît-il réjoui, à en croire le Canard Enchaîné: « Christian, lui, au moins, il monte au créneau. » Mais dès mardi, rétropédalage général. A droite comme à gauche, la proposition Estrosi, et la surenchère généralisée suscitent de nombreuses critiques. Juppé, Chatel et même Hortefeux recadrent le trublion niçois. Mardi, Brice Hortefeux reprenait donc l'initiative. D'abord pour excuser son collègue de l'industrie. Ensuite pour annoncer la suppression de Unités Territoriales de Quartier. Cette volte-face surprend à peine. Depuis 15 jours, ses annonces se succèdent, se ressemblent et se contredisent. Il y a 10 jours, il annonçait à Perpignan la 35ème UTeQ. Mais à Toulon, il fallait une nouvelle annonce : Hortefeux promet donc des Brigades Spéciales de Terrain. Ces BST seront mobiles, avec un périmètre géographique plus large que les simples quartiers, et des policiers dotés d'un équipement d'intervention spécifique. Les élus locaux, de gauche comme de droite, et les syndicalistes policiers veulent davantage d'implantation locale et de maillage géographique. Hortefeux va leur envoyer des troupes de choc ! Hortefeux, comme son chef, nous prend pour des imbéciles...
Autre signe d'un malaise général, les critiques contre les expulsions de Roms se multiplient en France, comme à l'étranger. La presse anglosaxonne compare la politique sarkozyenne aux rafles de Vichy, évoque même la Gestapo. L'ONU, le Conseil de l'Europe et même la Commission européenne font part de leurs inquiétudes sur ce regain xénophobe. Viviane Reding, la commissaire européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, rappelle à la France qu'on n'expulse pas des citoyens européens comme cela. Le débat identitaire avait dérapé de l'intérieur. Celui sécuritaire rattrape le pouvoir de partout.
Eric Besson est envoyé à la contre-attaque. Il fustige les comparaisons, mais reste tactiquement gêné par les projets de déchéance de nationalité concernant la polygamie. Ne parlons pas de rafles, même si les Roms sont surpris au petit matin, triés, menacés de séparation avant de partir « volontairement » dans des avions pour la Roumanie ou la Bulgarie. Jeudi, Nadine Morano, fidèle soutier de Sarkofrance, en rajoute : « les enfants ne doivent pas servir d'alibis », expliquant même que certains enfants Roms sont drogués par leurs parents pour mendier plus facilement. Cette mise en scène médiatique ne trompe personne. Les Roms reviendront, ils sont européens. Les camps sauvages se recréeront, les aires d'accueil manquent. Et qui croira que 15 000 Roms sont responsables des plus de 100 000 atteintes aux personnes enregistrées annuellement par la police depuis 2002 ? L'insécurité est un problème qui demande autre chose que de l'agitation électorale et des présupposés idéologiques douteux.
Christian Estrosi aurait pu se rappeler qu'il était également ministre de l'Industrie: vendredi, la Russie a annoncé qu'elle lançait un appel d'offre international pour la livraison de 2 navires de guerre. Le 23 juillet dernier, Sarkozy avait promis aux salariés des constructions navales de Saint-Nazaire que la commande était pour eux... Sans blague !
L'emploi va mal
Lundi, Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'Emploi, tentait de se rappeler au bon souvenir des médias. Il paraît qu'il a profité de ses vacances pour visiter quatorze agences de Pôle Emploi. Cruelle déception, personne n'en parle ! Hortefeux a monopolisé l'attention. Du coup, Wauquiez profite d'un jour de congé de son collègue de l'intérieur pour une interview dans la Tribune et une visite bien accompagnée dans le Nord, à quelques kilomètres de son lieu de vacances.
Wauquiez joue l'optimiste, faute de mieux : il espère un « palier dans la hausse » du chômage dès cet hiver. Notez l'expression: un palier dans la hausse... Début septembre, la seconde phase de cette grande consultation sur l'emploi va débuter : 500 000 chômeurs connectés et 50 000 entreprises vont recevoir un questionnaire de satisfaction. Wauquiez pense aussi à développer le contact par mail entre conseillers et demandeurs d'emploi. On connaît déjà les abus des radiations pour rendez-vous téléphoniques manqués. En 2009, Pôle Emploi a radié 492 000 chômeurs, et « cesser d'inscrire pour défaut d'actualisation » quelques 2,261 millions autres demandeurs d'emploi, soit 11% de plus que l'année précédente.
Mais Wauquiez reste indubitablement optimiste : le gouvernement va continuer ses efforts en matière d'apprentissage (285 000 conclus à fin juin). Rigueur oblige, le budget alloué aux contrats aidés ne baissera « que » de 15% en 2011. En 2009 et 2010, le nombre de contrats aidés était déjà inférieur à celui d'avant la crise...
Wauquiez reste optimiste. Il n'a pas le choix. Le nombre de chômeurs de longue durée a cru de 29% entre juin 2009 et juin 2010. La France compte 6,3 millions de Français en manque d'emploi (sans emploi, temps partiel contraint, chômage technique), d'après les chiffres officiels du ministère de l'emploi. Et pas de bouc-émissaire à l'horizon pour s'excuser.
Wauquiez avait surtout besoin de se faire voir. En fait, chaque ministre gère à sa façon le stress du prochain remaniement. Certains sont assurés d'être toujours là, au moins pour des raisons de tactique politique - comme les chiraquiens Alliot-Marie ou Baroin, les villepinistes Le Maire ou Tron - ou d'efficacité fidèle - comme Borloo, Chatel ou Lagarde. D'autres sont déjà partis : Kouchner, Amara, Létard, ou Yade. D'autres se disputent les faveurs du Monarque, comme des gamins voulant bien se faire voir du maître d'école. Estrosi agit déjà comme un ministre de l'Intérieur. Hortefeux marche sur les plates-bandes d'Eric Besson. Le jeune Courtial se verrait bien à l'Education. Cet été, nombre d'interventions politiques de membres du gouvernement ont été ainsi spontanées et inutiles. Sarkozy avait demandé à ses ministres d'être mobilisables et mobilisés 24 heures sur 24. Les voici mobilisés ... pour leur cause personnelle.
Sarkozy agace
Dimanche 15, Nicolas Sarkozy a interrompu son silence médiatique pour sermonner la Commission européenne : l'Union européenne ne ferait pas ses meilleurs efforts pour aider le Pakistan et ses 20 millions de victimes des inondations... Le président français est gonflé et José-Manuel Barroso, le président de la Commission, lui fait savoir : l'UE a déjà débloqué 30 millions d'euros dès la fin juillet, puis 10 millions de plus. Et en début de semaine, l'aide européenne a été augmentée à 70 millions d'euros au total. L'intervention de Sarkozy est d'autant plus inopportune que la France a brillé par son absence. A l'exception d'un petit communiqué, le 10 août, dans lequel Sarkozy exprimait son « émotion » pour toutes les inondations estivales qui frappaient la Chine, l'Inde et le Pakistan, la Sarkofrance officielle est restée atone.
Le 1er août dernier, Nicolas Sarkozy recevait pourtant son homologue pakistanais à l'Elysée. Il n'a pas eu un mot officiel sur les inondations qui sévissaient depuis près d'une semaine.
Le mardi suivant, le Quai d'Orsay expliquait prudemment que la France pourrait aider si on lui en faisait la demande (sic !). Les Etats-Unis avaient déjà mobilisé leurs moyens, préoccupés qu'ils étaient de consolider leur influence sur la région si proche de l'Afghanistan. Quinze jours plus tard, l'Allemagne, le Royaume Uni, la Norvège et même le Danemark ont déjà promis pour près de 100 millions de dollars. Et la Sarkofrance ? Le 18 août, elle affrète un avion avec 70 tonnes de matériel humanitaire et de vivres, et promet ... un petit million d'euros.
Malgré tout, Sarkozy se permet de hausser le ton ... contre l'Europe.
Les affaires reprennent
La surenchère sécuritaire, lancée fin juillet contre les Roms puis l'immigration et la délinquance, devait servir à éteindre l'incendie des affaires Woerth, Bettencourt, et autres abus de privilèges gouvernementaux qui avaient empoisonné les mois de juin et juillet. Le pari semble perdu. Eric Woerth, parti se réfugier à Chamonix « dans son appartement de 60 mètres carrés » a été rattrapé par son passé: Mediapart révèle qu'il a largement minoré (pour le cacher ?) son revenu disponible (112 euros par mois !) pour solliciter un modeste emprunt de 6 500 euros auprès du Crédit Agricole pour financer sa campagne municipale à Chantilly début 2008. Et l'on découvre également une nouvelle Légion d'honneur de complaisance accordée par le ministre le 14 juillet dernier à l'expert-comptable de son parti de poche. Les décorations de la République, comme les rencontres personnelles avec le président du pays sont comme des récompenses utilisées par les proches du pouvoir pour leurs fidèles soutiens.
On en sait également un peu plus sur Eric de Sérigny, le conseiller « bénévole » d'Eric Woerth, chargé des « relations économiques ». L'homme est en fait un proche de Patrice de Maistre, qu'il connaît, dixit Sérigny, « depuis 40 ans ». Il le fréquente dans nombre de conseils d'administration. Une longue enquête de France Inter met à jour un nouveau conflit d'intérêt potentiel l'affectant ainsi qu'Eric Woerth : deux jours après sa nomination au ministère du Travail, Woerth a désavoué l'inspection du travail et autorisé le licenciement économique des représentants du personnel de l'usine Molex de Villemur-sur-Tarn. Or son conseiller Eric de Sérigny est également associé à une structure de conseil en restructuration, fusions et acquisitions dénommée Athéma qui travaillait, depuis six mois, pour le compte de la direction de l'usine...
De son côté, la Cour d'appel de Versailles s'est donnée jusqu'à la mi-septembre pour décider du recours de Maître Kiejman, l'avocat de Liliane Bettencourt. Ce dernier veut invalider l'utilisation des enregistrements pirates du majordome de sa cliente par la juge Isabelle Prévost-Desprez. Or ces enregistrements, authentifiés par la police depuis leur publication par la presse, sont non seulement à charge contre la thèse de François-Marie Banier et la milliardaire, mais également, et surtout, à l'origine des tourments judiciaires et politiques d'Eric Woerth. On attend toujours de savoir ce que le procureur Philippe Courroye, qui conserve la mainmise sur nombre d'enquêtes préliminaires, décidera de faire. Il paraît qu'il consolide ses dossiers. On imagine qu'il trouvera bien une occasion ou deux de classer sans suite une partie de la procédure.
Lundi, le site france.fr, cette vitrine de la France, était à nouveau mis en service. Le portail, géré par le Service d'Information du Gouvernement de Thierry Saussez, a déjà coûté 1,3 millions d'euros, et s'est retrouvé en panne dès son lancement le 14 juillet dernier. Le Canard Enchaîné affirmait, mercredi, que la facture s'élève, sur trois ans, à près de 4 millions d'euros. Saussez s'étrangle, et craint pour son poste. On murmure qu'il partirait au Conseil économique et social.
La dette rattrape Sarko
Le plantage politique de l'été ne serait pas complet sans un coup de grâce ... financier. Vendredi, Sarkozy a convoqué un quarteron de collaborateurs au Fort de Brégançon, à quelques encablures de la résidence du Cap Nègre où il loge avec son épouse Carla. Lundi, l'agence Moody's a prévenu que la note de crédit de la France est proche de la dégradation. Un chantage odieux... et une vraie catastrophe. Si la France perd son fameux crédit « triple A », qu'elle partage notamment avec l'Allemagne ou le Royaume uni, la facture des intérêts de la dette publique s'en trouvera renchérie dramatiquement.
Or la croissance française est loin d'être forte : le minable 0,6% de croissance du PIB enregistré au second trimestre 2010, qui tient surtout à la reconstitution des stocks des entreprises, fait pâle figure à côté des 2,2% du voisin allemand. Depuis janvier, le pouvoir d'achat est en berne, à cause de salaires en faible progression, au même niveau que l'inflation. Et la France a affiché 25 milliards d'euros de déficit commercial à fin juin, quand l'Allemagne décrochait un excédent de 60 milliards. Sarkozy, donc, devait montrer qu'il se préoccupe du sujet. Jeudi, la Bourse de Paris a dévissé de 2%.
Les premiers cris d'autosatisfaction de Christine Lagarde, la semaine dernière, à propos de la croissance retrouvée sont vite oubliés. Avec Fillon, Baroin, Lagarde et Guéant, Sarkozy s'est fait filmer en train de plancher sur de nouvelles mesures d'économies. Cette fois-ci, on ne coupera pas aux hausses d'impôt. Le communiqué officiel dit bien sûr le contraire (« Ni l'impôt sur le revenu, ni la TVA, ni l'impôt sur les sociétés ne seront augmentés »). En langage sarko-compatible, on préfère parler d'un coup de rabot sur les niches fiscales et sociales, à hauteur de 10 milliards d'euros. La fiscalité écologique devrait en prendre un coup, tout comme l'une des mesures phares de 2007, la défiscalisation des intérêts d'emprunt immobilier. Mais la vraie annonce est ailleurs : la prévision de croissance pour 2011 est revue à la baisse, à 2% (versus 2,6%). Sarkozy prépare sa rentrée sociale.
A l'abri des regards, Sarkozy est resté converser avec Fillon. Il avait demandé à son fidèle Guéant de lui concocter trois scenarii de remaniement gouvernemental : léger (quelques têtes bougent), cosmétique (avec un gouvernement regroupé sur 5 super-ministères), ou radical (12 ministres, tous nouveaux). Le patron de l'UMP est en campagne.
Début août, quelques commentateurs myopes, quoique heurtés, pensaient que Sarkozy avait trouvé la martingale avec son discours de Grenoble. Trois semaines plus tard, le Monarque va pourtant faire sa rentrée politique avec un camp divisé et rétréci, des ministres désemparés et des créanciers en embuscade.
Ami sarkozyste, es-tu bien reposé ?
Profite.