Basta ! : Quelle est la situation à Saint-Nazaire ?
Jean-Marie Cosson : C’est toujours tendu. Le 7 octobre, avant même que les lycéens ne s’interrogent sur leur participation au mouvement, des gens cagoulés sont entrés dans un lycée et ont brisé des vitres. Bizarre… Le 12 octobre, la fin de manifestation, qui a réuni 20.000 personnes [1], ne s’est pas bien passée. Des lycéens ont été la cible de tirs de lacrymogènes de la part des gendarmes alors même que leurs représentants négociaient avec la police nationale pour éviter que les choses ne tournent mal. Dans ce cas, la justice n’attend pas plusieurs années comme avec Chirac. Trois gamins sont passés en comparution immédiate. Deux ont écopé de deux mois fermes.
Comment s’organise le mouvement entre salariés du public, du privé et les lycéens ?
Des assemblées générales se tiennent par secteur puis la jonction est faite systématiquement. Par exemple, le 13 octobre, les lycéens ont bloqué leurs établissements le matin. Ensuite, les gars des chantiers navals organisaient un rassemblement pour une assemblée générale. Des salariés d’Airbus, de la raffinerie de Donges, des cheminots et des enseignants sont arrivés. Suivis par des centaines de lycéens qui ont été ovationnés par leurs pères en cols bleus. Ce sont des moments intenses, où l’on retrouve enfin une solidarité. Lycéens, enseignants, cheminots, grévistes de la raffinerie, nous sommes en réseau.
Quels sont les débats au sein des assemblées générales ?
Lors de l’AG à la raffinerie de Donges, où 350 salariés étaient présents, les débats ont porté sur la grève reconductible, avec le constat qu’une reconduite chaque 24h, cela n’allait pas le faire. Ils ont décidé le blocage de la raffinerie jusqu’au 18 octobre. Dans l’Education, certains ont voté la grève reconductible. D’autres ne souhaitaient pas faire la grève pour la grève, ne pas rester chez soi et se contenter de renflouer les caisses de l’Etat en lui économisant le paiement des salaires. D’où la décision de mener chaque jour des actions : nous voulons nous attaquer aux sites de production économique pour frapper au portefeuille. On veut absolument éviter de se faire avoir en se laissant monter les uns contre les autres, le public contre le privé. Cela fait 40 ans que l’on nous apprend à être individualiste.
Où en sont les blocages ? Comment comptez-vous étendre le mouvement ?
La raffinerie de Donges est bloquée. Les gars aident la vingtaine de salariés du dépôt de carburant voisin à tenir les piquets de grève et empêcher les forces de l’ordre de l’investir. Dans les PME, c’est délicat. Les gars n’osent pas. Nous verrons s’ils viendront pour la manifestation du 16 octobre.
Quand cette convergence des grèves et des secteurs a-t-elle débuté ?
Cela a commencé après le 12 octobre. Ce qui a fait monter la sauce ? Les syndicats nous ont appelé à la promenade dans la rue plusieurs fois de suite. Nous nous sommes dit que si nous ne nous prenions pas en main, le mouvement allait crever. Ras-le-bol de marcher ! D’autant que certains syndicats ne prononçaient plus les mots « grève générale ».
Quel est le rôle des confédérations dans le mouvement à Saint-Nazaire ?
Il existe toujours de guerres de chapelle. Et des contradictions entre ce que dit le national et ce qui se passe au niveau local. On se demande parfois pourquoi ils n’appuient pas plus fortement le mouvement. Les salariés d’EDF, par exemple, commencent juste à envisager d’entrer dans le mouvement alors que FO – pourtant en pointe, avec Sud, sur la grève générale – y est majoritaire. Le mouvement se fédère entre générations et entre les différents secteurs. On ne se demande pas notre appartenance syndicale. On s’en fout ! Je suis syndiqué au Snes : cela me permet d’avoir les infos mais nous ne nous affichons pas avec notre petit badge.
Comment jugez-vous le traitement médiatique du mouvement ?
En ce moment j’ai plutôt tendance à vouloir éteindre ma télévision, pourtant je suis plutôt passionné d’infos ! Ce qui se dit sur les lycéens est insupportable : toujours entendre ce discours sur la manipulation, sur le fait qu’ils seraient incapables de réfléchir tout seul. Quand on propose à des jeunes de devenir auto-entrepreneur à 16 ans, cela ne gêne personne.