La Mèche. Le 28 Septembre 2010 - Propos recueillis par Linda Maziz
Amendée par le Sénat, la fameuse Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) sera de retour devant les députés le 29 septembre. Matthieu Bonduelle, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature, dénonce les dérives qui ont conduit à l’élaboration d’un texte qu’il juge dangereux.
La Mèche - Du terrorisme à la délinquance routière, en passant par la cybercriminalité, ou encore la vidéo-surveillance, la Loppsi s’apparente à un véritable merdier. Qu’est-ce encore que cet arsenal sécuritaire ?
Matthieu Bonduelle - C’est un monstre juridique, une boîte à outils répressifs au service d’un projet de société paranoïaque. Un catalogue à la Prévert de textes à la fois liberticides et totalement inutiles pour lutter contre la délinquance. Depuis sa première mouture, qui date de mai 2009, le texte n’a cessé d’être durci pour devenir cette compilation de mesures bêtes et méchantes.
LM - Que le gouvernement Sarkozy fasse dans la surenchère sécuritaire serait bien surprenant...
Matthieu Bonduelle - On ne peut pas lui reprocher son inconstance ! Cela fait huit ans que Nicolas Sarkozy est, comme il le répète fièrement, «en première ligne» sur la sécurité, avec la même idéologie et les mêmes résultats : les libertés reculent, le «sentiment d’insécurité» augmente. Il a construit son ascension politique sur ce terrain, dans un contexte très particulier : la campagne présidentielle de 2002, focalisée sur les questions d’ordre public, a porté Jean-Marie Le Pen au deuxième tour ; dès son arrivée à l’Intérieur, Sarkozy s’est présenté comme l’homme fort qui allait sécuriser les Français et absorber l’électorat du FN. C’est ainsi qu’il a construit son image, avant d’installer un gouvernement “d’extrême droite plurielle”. Il y a eu la Lopsi, la loi Perben, la loi sur la sécurité intérieure, Perben II, la loi sur la récidive, celle sur la prévention de la délinquance, la loi sur les peines-planchers, celle sur la rétention de sûreté, la loi sur les bandes, celle sur la récidive criminelle... En même temps qu’il fabrique de la misère, ce pouvoir fabrique de la répression. La justice pénale est utilisée comme un mode de traitement de l’insécurité sociale.
Matthieu Bonduelle - Il y a beaucoup de gesticulations, mais il en reste toujours quelque-chose... La Loppsi 2 (avec un deuxième «p» pour «performance» !) accroît les dispositifs de contrôle social et de répression à un niveau inacceptable en démocratie. Le mot «dictature» est piégé, mais il faut nommer cette situation, particulièrement nette dans le discours présidentiel du 30 juillet à Grenoble : c’est l’État de police contre l’Etat de droit.
LM - Comment le gouvernement a-t-il fait pour en arriver là ?
Matthieu Bonduelle - En habituant progressivement la population à l’idée qu’elle doit abandonner ses libertés pour son propre bien. La vidéo-surveillance est ainsi rebaptisée «vidéo-protection» dans la loi. Pourquoi pas «vidéo-tendresse» ? Bien qu’aucune étude ne prouve l’efficacité d’un système qui constitue une atteinte grave aux libertés, cette pratique va être étendue et banalisée. Toutes les entreprises privées pourront ainsi installer des caméras à leurs abords ; l’espace public sera surveillé de manière massive par des agents privés, avec toutes les dérives que l’on peut imaginer.
LM - Tout cela est donc très insidieux...
Matthieu Bonduelle - A vrai dire, plus c’est gros, plus ça passe ! Les peurs, les drames, les victimes sont instrumentalisés. La «responsabilité» et la «volonté» sont sans cesse invoquées. Si vous n’êtes pas d’accord, vous êtes attentiste et/ou «du côté des assassins», comme l’avait finement déclaré Nadine Morano au moment du débat sur la rétention de sûreté. Avec un fantasme : l’éradication de la délinquance. Qui en appelle un autre : l’élimination des délinquants, perçus comme «irrécupérables». C’est ainsi que Michèle Alliot-Marie a pu parler de «castration physique» et que l’enfermement est devenu une obsession.
Matthieu Bonduelle - Une part importante de la population consent à son propre asservissement. Il est urgent que les gens se saisissent de ces questions et usent de leurs libertés restantes pour défendre leurs droits contre ces dérives antidémocratiques. D’un point de vue politique, nous attendons de toute la gauche qu’elle n’ait plus peur d’affirmer son attachement aux libertés et qu’elle s’engage sur le retrait des textes d’inspiration sécuritaire.
1. la caboche - Le 03/10/2010 à 10:34