Grèce : ces ouvriers qui résistent aux financiers

Basta mag. 9 mars 2012 par Agnès Rousseaux

Frappés par une réduction de salaire de 40 % et par une vague de licenciements, les salariés d’une usine d’acier, à proximité d’Athènes, mènent une grève depuis quatre mois. « Nous ne retournerons pas dans le feu et le fer pour 500 euros », clament-ils. Reportage au cœur de ce laboratoire de la dérégulation du travail, qui pourrait bientôt concerner d’autres pays européens.

Cent vingt et un jours qu’ils tiennent le piquet de grève devant les portes de leur usine. Les salariés d’Halyvourgia Ellados, une usine d’acier située à 20 kilomètres d’Athènes, ne semblent pas prêts à laisser tomber. Leur combat est devenu un symbole dans la crise qui frappe les travailleurs grecs : mi-octobre, leur patron annonce à ces ouvriers sidérurgistes une réduction des salaires de 40 %. Les journées de travail doivent passer de 8 heures à 5 heures, sous peine de fermer l’usine. Les salariés du site d’Aspropyrgos s’y opposent. La direction licencie alors une trentaine de salariés – un chiffre qui ne cesse d’augmenter depuis. Le 31 octobre, la grève illimitée est votée.

Avec 380 salariés, Halyvourgia fait partie des principales usines d’acier de Grèce. Créée en 1938, l’entreprise a contribué à de grands projets : l’aéroport et le métro d’Athènes, la « route de l’Attique » et de grands chantiers autoroutiers, la plupart des constructions des jeux Olympiques de 2004. Un travail dur, avec des cadences élevées, et des accidents fréquents – dont certains mortels. Une entreprise qui fait des profits, affirment ses salariés. « Ne me dites pas qu’il n’y a pas d’argent, s’emporte Harris Manolis, un des leaders de la grève. Nous avons produit 200 000 tonnes d’acier en 2010 et plus de 250 000 en 2011. Une importante partie de notre production part à l’exportation, entre autres vers Israël. » L’usine tournait 7 jours sur 7, aux 3x8. Les salariés expliquent qu’avant la décision de la direction, ils n’ont pas pu partir en vacances, à cause du rythme de production. « Et un jour de production peut permettre de payer une semaine de salaires », affirme le gréviste.

300 euros pour vivre

« Les profits de l’employeur sont immenses, et il continue son chantage : si nous n’acceptons pas sa requête de travailler comme des esclaves, il va licencier 180 travailleurs de plus », s’indignent les salariés grévistes dans un texte voté en assemblée générale mi-novembre. L’industriel est un des premiers en Grèce à tenter d’imposer de telles conditions et une flexibilité totale du travail, outrepassant tout accord collectif. « Nous ne retournerons pas dans le feu et le fer pour 500 euros, continuent les salariés. Nous nous sommes levés, nous sommes déjà victorieux, personne ne peux nous faire plier. » S’ils perdent la bataille, la porte sera ouverte pour étendre ces conditions aux autres usines.

Une situation inimaginable pour Harris, qui travaille depuis quatorze ans dans l’entreprise (en photo ci-dessous). « La direction dit qu’il faut s’adapter à la crise. Mais la crise n’est pas mon problème, je n’en suis pas responsable, ce sont eux qui l’ont créée. » Difficile surtout d’envisager une baisse de salaire. Il touchait, avant la grève, 1 000 euros par mois. Son loyer lui coûte 500 euros. Et 200 euros sont consacrés aux transports : il met plus d’une heure matin et soir pour faire le trajet entre son domicile et son lieu de travail. Restent 300 euros pour vivre, explique-t-il. Seule solution pour s’en sortir : un deuxième travail, après ses journées d’usine pour lesquelles il pointe à 7 heures et finit à 15 heures. Il enchaîne sur des ménages dans des écoles, avec sa mère, deux heures par jour.

Les grévistes sont soutenus par le syndicat PAME, lié au Parti communiste grec (KKE). La connexion peine à se faire avec les autres forces syndicales. Les grévistes ont reçu mi-février la visite d’un groupe fasciste, Hrisi Avgi, venu témoigner de sa « solidarité ». Le syndicat local les a accueillis sans broncher… Derrière les portes des ateliers, une trentaine de salariés observent les grévistes. « Des briseurs de grève envoyés par le patron, jette Harris. Ils sont payés pour rester là, parler avec les salariés et tenter de les convaincre d’arrêter le mouvement. »

105 000 entreprises en faillite

Sur le deuxième site de l’entreprise, à Volos, en Thessalie, les salariés ont accepté les conditions de la direction en octobre, craignant les licenciements. Car les pressions sont fortes. 105 000 entreprises ont fait faillite en 2011, en Grèce, et 60 000 devraient avoir lieu en 2012. Selon une récente étude du Small Enterprises Institute, plus de la moitié des patrons de PME grecques considèrent qu’ils ne pourront pas éviter une faillite. 40 % d’entre elles étaient en déficit l’an dernier. Le mémorandum voté par le Parlement grec ces dernières semaines, sous la pression de la troïka (UE, Banque centrale européenne et FMI), prévoit une nouvelle dérégulation du marché du travail. Avec notamment la limitation à trois ans des accords collectifs concernant les salaires, et la baisse de 22 % du salaire minimum (32 % pour les moins de 25 ans).

Les marges de manœuvre des salariés semblent se réduire chaque jour un peu plus, face aux exigences des mesures d’austérité dont personne, à part les députés qui les votent, ne semblent plus comprendre la logique. Reste que si l’usine d’Halyvourgia demeure rentable, pourquoi les salariés ne pourraient-ils pas en prendre le contrôle, et créer une coopérative ? Le propriétaire, Nicholaos Manessis, ne voudra jamais vendre, explique Harris. Et il faudrait trouver de l’argent, faire un prêt à la banque pour relancer la production. Or Manessis siège au conseil d’administration d’Alpha Bank, la 3e banque du pays. Difficile de rivaliser. « Il dicte au gouvernement ce qu’il doit faire, il nous utilise pour faire pression et obtenir ce qu’il veut », s’emporte Harris.

Derrière les grilles, une tente s’envole. Dans une petite cahute qui protège à peine du vent glacial, des dessins d’enfants illustrent la grève. Drapeaux et banderoles manquent de se décrocher à chaque instant. La musique grésille, entrecoupée des discours de la délégation de mouvements sociaux et de syndicats européens venue leur témoigner sa solidarité. À 15 mètres des grilles de l’entreprise, le flux ininterrompu et bruyant des voitures sur la route nationale qui mène à Corinthe. Les véhicules des grévistes sont garées devant l’entrée de l’usine, empêchant toute sortie de matériel. La nuit, ils se relaient pour monter la garde, et éviter les sabotages. S’il osaient entrer dans l’usine, le patron enverrait la police pour les expulser. Alors ils se réchauffent comme il peuvent à l’extérieur, autour de bidons de fer d’où s’échappe une fumée âcre.

Sur un poteau, le chiffre 121 – le nombre de jours de grève – rappelle leur détermination. « Nous recevons des soutiens de toute la planète, affirme Harris. De la nourriture, des vêtements, des médicaments, de l’argent. » De quoi tenir, un peu. Contre les vents contraires, les plans d’austérité successifs qui réduisent les salaires à peau de chagrin, le démantèlement programmé du droit du travail grec, les attaques de ceux qui veulent casser toute résistance. 300 ouvriers, perdus sur le bord d’une route, aux portes de leur usine, veulent encore y croire.

Agnès Rousseaux

Photo : Source / Agnès Rousseaux

En savoir plus

Voir un reportage vidéo (grec/anglais) sur la grève : http://whenthecrisishitthefan.com/t...

Commentaires (0)

Aucun commentaire pour l'instant, soyez le premier à laisser un commentaire.

Ajouter un commentaire
Code incorrect ! Essayez à nouveau

Membre du réseau Infovox, je publie sur Agoravox, coZop, etc.