Bellaciao, par André Bouny. Mis en ligne le 2 mai 2013.
André Bouny n'est pas inconnu des lecteurs du LEA. Auteur de Agent Orange, Apocalypse Viët-Nam (éditions Demi-Lune, Paris, 2010), il réside dans le Lot en est intervenu à de nombreuses reprises lors de conférences dans notre région. Nous publions ci-dessous le texte paru en août 2012, à l'occasion de la Journée des victimes de l'Agent Orange, ainsi que sa dernière chronique, publiée sur Bellaciao.
Le 10 août est la « Journée des victimes de l’Agent Orange », 2012, le 51ème anniversaire du premier épandage. Les années passent, la dioxine demeure. De nouvelles victimes naissent tandis que d’autres meurent. Voici comment les martyrs de l’Agent Orange sont captifs des géostratégies du monde et des firmes multinationales qui les sous-tendent.
Les États-Unis tergiversent, refusant de reconnaitre leur responsabilité dans le crime de l’Agent Orange. Il y a plusieurs années, ils évoquèrent l’étude d’un projet visant à dépolluer « leur » ancienne base de Danang. À l’été 2011, des accords de décontamination de la dioxine furent entérinés pour ce qui concerne une partie de cette ancienne base US. Hier, veille de ce 51ème anniversaire du premier épandage, s’est déroulé l’inauguration du début des travaux dont nous devons nous réjouir. Cependant, ce chantier est entrepris prioritairement là où les étasuniens pourraient revenir, Danang étant le seul port en eaux profondes du Viêt Nam où les bâtiments de l’US Navy peuvent s’ancrer durablement. Le temps qui s’écoule joue en faveur des USA. Non seulement les victimes de l’Agent Orange passent, mais le contexte géopolitique renforce leurs projets géostratégiques, complétant celui militaro-stratégique global, l’expansionnisme de la Chine servant de justification.
Le réchauffement des relations vietnamiennes avec l’ancien ennemi rend délicat celles avec la Chine voisine avec qui le Viêt Nam entend garder d’excellentes relations.
En 2009, la concession à Chinalco d’exploiter les importants gisements de bauxite (3ème au monde, minerai permettant la fabrication de l’aluminium) au sud des hauts plateaux vietnamiens fit grand bruit, outre celles de perspectives environnementales, humaines, sociales et sanitaires pouvant se révéler désastreuses, d’avoir ouvert la porte à la puissance régionale.
La Chine qui, par ailleurs, exerce depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale sa pression sur les îles Hoang Sa (Paracels). Souvenons-nous de la bataille des îles Hoang Sa entre la Chine et le Sud-Viêt Nam d’alors, en janvier 1974. La même pression s’exerce sur les îles Truong Sa (Spratleys) situées au large des côtes sud du Viêt Nam, à mi-chemin entre ce pays et le Brunei. De souveraineté vietnamienne, ces îles coralliennes inhabitées (Truong Sa se trouvant très éloignées de la Chine) ont de tout temps été de hauts lieux de pêche et des refuges pour les bateaux des pays environnants lors de tempêtes et typhons. Une carte géographique de la Chine établie par la dernière dynastie chinoise des Qing (1644 -1912), parue en 1904, délimite l’extrême sud de la Chine à l’île de Hainan. Les archipels Hoang Sa et Truong Sa vietnamiens n’y figurent pas. Certes, c’est un des endroits les plus poissonneux du monde mais, par dessus tout, ses fonds recèleraient des réserves pétrolières comparables à celles d’un pays du Moyen-Orient. De plus, les Hoang Sa et Truong Sa sont des positions militaro-stratégiques permettant de surveiller le Détroit de Malacca où transite un des plus grands trafics maritimes de la planète, notamment celui des pétroliers vers la Chine et le Japon. Il s’agit certainement là du futur théâtre d’influence américano-chinois du XXIème siècle, la Chine accélérant le développement et la modernisation de sa flotte militaire. En juin 2011, des manœuvres conjointes des marines étasuniennes et vietnamiennes ont eu lieu, et 3 navires de l’US Navy (USNS Safeguard et les contre-torpilleurs USS Chung-Hoon et USS Preble) mouillèrent dans le port de Danang, précédés d’une année par le porte-avions nucléaire USS George Washington naviguant au large, tandis que le destroyer USS John McCain jetait l’ancre au port de cette ville. Là où précisément les États-Unis viennent de commencer la décontamination de la dioxine sur « leur » ancienne base...
Dans ce contexte délicat, les pauvres pêcheurs vietnamiens en activité sur les archipels Hoang Sa et Truong Sa voient leurs embarcations arraisonnées, confisquées, coulées, et il arrive qu’ils soient détenus, rançonnés, battus ou tués par l’armée chinoise.
Quant à l’impensable, il s’est produit il y a quelques jours, le 26 juin 2012, exactement. China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) a lancé un appel d’offre aux entreprises internationales pour la prospection et l’exploitation de 9 lots de pétrole et de gaz situés dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental du Viêt Nam. Il ne s’agit aucunement d’une zone litigieuse puisque, si la largeur maximale des eaux territoriales est fixée à 12 milles marins (soit 22, 2 km) par la Convention des nations unies sur le droit de la mer de 1982, la Zone d’Exclusivité Économique (ZEE) d’un État côtier est fixée à 200 milles. Or, les lots envoyés en appel d’offre par la Chine sont sous la souveraineté vietnamienne (lots 128 à 132, et 145 à 156, dans lesquels Petrovietnam est en activité depuis longtemps). Il suffirait qu’une multinationale réponde à cette bravade pour complexifier la situation et les litiges de la région. Par l’intermédiaire du sénateur Joe Liberman, les États-Unis émirent une protestation : « un acte injustifiable et sans précédent », sachant que cette situation resserrait leur coopération militaire avec le Viêt Nam. Il est particulièrement délicat pour le Viêt Nam de demander davantage (dédommagement des victimes de l’Agent Orange) à l’ancien ennemi alors qu’il se pose en protecteur face à la puissance régionale qu’est la Chine.
En arrière-plan, le Comité International Olympique (CIO) y va de sa partition en prenant pour sponsor majeur des Jeux Olympiques de Londres… Dow Chemical ! Et ceci jusqu’en 2020. Dow est le fabricant et le fournisseur du Napalm et l’un des principaux fournisseurs de l’Agent Orange durant la guerre étasunienne au Viêt Nam, le 2ème plus grand pollueur au monde (selon US Environmental Protection Agency – EPA) pour des Jeux Olympiques verts. La durée de temps comparable entre la fin de la guerre américaine au Viêt Nam et aujourd’hui équivaut à peu de chose près à celle qui séparait la fin de la Deuxième guerre mondiale (avec ses camps d’extermination nazis) des Jeux Olympiques de Los Angeles. Il aurait été difficilement imaginable que les JO de Los Angeles, en 1984, soient sponsorisés par IG Farben, fabricant du Ziklon B utilisé dans les chambres à gaz (même rebaptisé sous le nom de BASF). Cependant, la contestation internationale est quasi inexistante, celle que George W. Bush appelait « le bruit de fond ». Les médias qui couvrent les JO paient des droits d’antenne et d’image (notons qu’en France, il n’y a pas une seule image des Jeux Paralympiques) qui à leur tour leur apportent des annonceurs, économie en boucle qui bâillonne et tue toute révolte et moralité, blanchissant Dow. Restait donc la possibilité d’alerter une icône, Paul MacCartney (Le chanteur des anneaux, comme l’a baptisé un musicien d’origine vietnamienne), l’ex-Beatles clôturant la cérémonie d’ouverture des JO de Londres. En réalité, cette tribune planétaire servira à améliorer la condition de vie d’un éléphant maltraité en Inde, répondant au nom de Sunder (action louable, certes, mais c’est aussi le pays de la catastrophe industrielle de Bhopal, que Dow n’a toujours pas décontaminé), et sans un mot pour les millions de victimes de l’Agent Orange (faut dire que la fille du chanteur a obtenu la création des vêtements d’athlètes de ces olympiades londoniennes). Même la vieille star ne peut plus se permettre… L’époque n’est pas au courage.
Si nous ne doutons pas du talent diplomatique vietnamien et du courage des victimes de l’Agent Orange pour faire face à l’avenir qui, par définition, est incertain et reste à construire, les enjeux de ce jeune siècle pèsent tout particulièrement sur cette région.
Combien faudra-t-il de temps au « bruit de fond » pour couvrir les partitions composées par l’argent roi des transnationales au pouvoir planétaire : complainte des politiques, berceuse des médias, et musique militaire ?
André Bouny, père adoptif d’enfants vietnamiens, pt du « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange (CIS) » ; fondateur de « D.E.F.I. Viêt Nam » ; auteur de « Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam », Éditions Demi-Lune, Paris, 2010.
http://www.editionsdemilune.com/age...
Bellaciao, André Bouny, jeudi 2 mai 2013
Avec le recul, au fil de ces chroniques on aperçoit très bien qu’en matière de décontamination et de dédommagement les États-Unis avancent d’un pas avant de reculer de deux. Puis de trois, et les solutions n’apparaissent toujours pas. Cette fine grille d’informations nous permet de mesurer l’évolution de la situation qui progresse et régresse en permanence, montrant à quel point il s’agit bien de gagner du temps encore et encore… Si une réelle volonté étasunienne débloquait les moyens financiers nécessaires, il y a longtemps que décontaminations et dédommagements seraient avancés, voire partiellement réglés. Mais les USA nient et renient leur crime d’hier engendrant la tragédie d’aujourd’hui et tirent avantage de cette situation. Ils laissent miroiter l’espoir d’une aide conséquente et adaptée qui ne vient jamais, attribuant un financement de dépollution au compte-gouttes, de préférence aux entreprises US. Une manière qui permet de renforcer leur coopération avec l’ancien ennemi – facilitée par la crainte partagée de l’expansionnisme chinois – et à prendre pied sur le Viêt Nam dans leur continuelle avancée géostratégique et militaire à l’assaut de ce jeune siècle. Le Viêt Nam se trouvant au cœur de la région où il se jouera.
Janvier 1966, Base de Da Nang, parking de chasseurs-bombardier US, McDonnell Douglas, Phantom 4B.
Le 4 avril 2011, veteranstoday.com, annonce que l’ « Agence américaine pour le développement international (USAID) tend la main aux entrepreneurs potentiels pour un nettoyage de l’Agent Orange au Vietnam. » Ah bon… « pour un nettoyage de l’Agent Orange au Vietnam »… comprendre sur une surface limitée et très restreinte : 3 hectares et demi exactement. Il ne s’agit donc pas de décontaminer le Viêt Nam, nuance !
USAID fait appel à des prestataires potentiels pour mener à bien son projet de décontamination de la dioxine qui continue à persister depuis le départ de l’armée américaine en 1973-75, et qui coûtera des millions de dollars au cours des quatre prochaines années, dit le document d’appel d’offre.
Après un long débat, le Congrès américain a adopté, et le Président Obama a signé, le projet de loi FY11 d’un montant de 18,5 millions de dollars. Cependant, 34 millions de dollars sont nécessaires – en première estimation – pour une surface à traiter de 3 hectares et demi seulement sur l’ancienne base américaine de Da Nang. Or, les USA se sont débrouillés pour prendre à leur compte moins de la moitié de ce coût, soit 15,5 millions, allouant par ailleurs les 3 autres millions à des programmes liés à la santé… mais probablement par l’intermédiaire d’organisations étasuniennes comme East Meets West, Save the Children et Assistance au Vietnam pour le Handicap, car le Président de l’Association Vietnamienne des Victimes de l’Agent Orange/Dioxine (VAVA) a déclaré dernièrement que pas un centime n’était arrivé à ce jour.
1965, Base de Da Nang, Chasseurs-bombardiers MacDonnell Douglas, Phantom 104 C.
Aujourd’hui les travaux de décontamination rencontreraient des difficultés et seraient à l’arrêt…Et la radio La Voix du Vietnam (VOV) annonce désormais la fin des travaux pour 2016 ! C’est toute la différence entre la carte et le territoire : l’information véhiculée par les grands médias et la réalité. « Le projet de décontamination proposé concerne l’ancienne base de Da Nang » signale enfin le document, « lieu d’opérations pour de nombreuses unités de l’US Forces durant la guerre au Vietnam », précise-t-il.
Dans cet avis de sollicitation (appel d’offre) numéro 486-11-028, daté du 1er avril, l’accent est mis sur l’enlèvement des dioxines du sol considéré et la remise en état par désorption thermique (DTPI, application de chauffage par conduction thermique sous vide pour traiter les sols contaminés sans excavation). « L’aéroport de Da Nang au Vietnam a été considéré comme un « point chaud » en raison de la concentration élevée de dioxine 50 ans après que de grandes quantités d’Agent Orange et autres produits chimiques y ont été stockés, transvasés, et utilisés sur ce site », ajoute le document. « Le gouvernement du Vietnam a sollicité l’assistance de celui des Etats-Unis pour remédier à la dioxine contaminant sols et sédiments à l’aéroport de Da Nang. L’USAID a lancé en 2008 une initiative environnementale dans ce pays, et l’année suivante l’agence a mené une étape d’évaluation détaillée pour entreprendre le nettoyage. USAID prévoit que la phase de remise en état débutera en décembre et se poursuivra au moins jusqu’en octobre 2015, le contrat d’activité se clôturant après un suivi de six mois. L’entrepreneur principal retenu pour le projet, dont la part est estimée à 10 millions, doit être un fournisseur américain (ainsi les pollueurs auront fait de gigantesques bénéfices en contaminant et gagneront de nouveau en dépolluant), des entreprises privées vietnamiennes sont admissibles comme sous-traitants. » Cet appel d’offre résume le plan général de l’USAID qui publiera une demande plus détaillée de propositions dans une dizaine de jours, conclu l’article.
Vue aérienne de l’USAF, classée "confidentielle", montrant l’explosion des dépôts de carburant de l’aviation à la Base de Bien Hoa suite à l’attaque Viêt Công du 16 mai 1965, provoquant l’explosion en chaîne de 750 bombes. Considérée comme le Pearl Harbor de l’USAF, l’attaque fit 27 morts et plus de 100 blessés. Vingt-six appareils furent détruits, et un grand nombre endommagés.
Le 8 du même mois, se tient un Colloque à Dong Nai (sud du Viêt Nam) sur les conséquences de la dioxine. Le groupe de dialogue Viêt Nam-États-Unis sur l’Agent Orange y a appelé les USA à soutenir la population vietnamienne dans le règlement des conséquences de ce poison.
Ce groupe a réaffirmé que, 36 années après la fin de la guerre, les deux pays ont réalisé des progrès notables dans l’édification de relations d’amitié. Cependant, à ce jour, les conséquences de la guerre affectent toujours directement ou indirectement des millions d’américains et de vietnamiens suite aux épandages massifs d’Agent Orange et autres défoliants dans les zones rurales du Sud. Il s’efforce d’atteindre deux objectifs importants dans les dix années à venir que sont la décontamination des zones contenant de la dioxine, la restauration de l’écosystème détruit et le développement de soins et services pour les handicapés atteints par l’Agent Orange ainsi que leurs familles.
Le budget était alors estimé à 300 millions de dollars, tandis qu’aujourd’hui, le Président de VAVA, le Lt.Gen.(Rt) Nguyen Van Rinh, évoque plus de 1000 milliards de dollars nécessaires.
Le but du groupe de dialogue est d’améliorer les connaissances au sein de la société, notamment chez les officiels et la population des États-Unis, de mobiliser des ressources pour accélérer le règlement des conséquences de l’Agent Orange, d’accorder des priorités aux projets de décontamination des zones contenant une haute teneur en dioxine avant de rappeler de nouveau les besoins d’aide aux personnes exposées à cette dernière ainsi qu’à leurs familles. Pour cela, le groupe de dialogue vietnamo-étasunien a estimé que l’administration américaine devait avoir un rôle principal sur le plan du financement de l’ensemble de ces activités. Le médecin Nguyen Thi Ngoc Phuong a estimé qu’il fallait dispenser de toute urgence des soins sur le plan physique comme psychologique aux victimes vietnamiennes.
Lors de ce colloque, Thomas Boivin, de la société Hatfield Consultants (Canada), a redit que « l’aéroport de Bien Hoa est aussi un « point chaud », que les scientifiques ont demandé la réalisation urgente de sa décontamination et la cessation immédiate de l’élevage à proximité. La forte présence de dioxine a des effets destructeurs résultant en grande partie de ce composé, le plus toxiques qui soit, lequel perturbe les fonctions hormonales, immunitaires et reproductives de l’organisme. » Ce poison a détruit des millions d’hectares de forêts et de cultures, et nuit gravement à la santé humaine. Ce sont environ 4,8 millions de vietnamiens et 2,8 millions de soldats américains (sans compter les autres nationalités, et les descendances de tous ceux-là) qui ont été exposés à ce toxique à l’époque de la guerre. Et le Viêt Nam compte actuellement 3 millions de victimes, y compris de troisième génération.
Vue aérienne d’une zone de l’ancienne Base étasunienne de Bien Hoa, montrant l’aire impartie au 145e bataillon d’aviation de combat en 1968. On peut se rendre compte à quel point la nature fut largement défoliée à l’Agent Orange afin de voir venir l’ennemi.
Le 15, Thanh Nien News, revient sur la guerre étasunienne dont l’héritage continue à empoisonner la biodiversité, donc humains et bétail. La première étude internationale de contamination à la dioxine, réalisée en fin d’année dernière au Viêt Nam, a confirmé “des niveaux élevés” dans les poissons et d’autres animaux à la base aérienne de Bien Hoa (installée par les Français puis développée ensuite par les Étasuniens), et demandé l’arrêt immédiat de leur consommation.
Les bases aériennes de Bien Hoa et de Phu Cat sont largement reconnues comme étant les principaux « points chauds » parce que l’Agent Orange y a été utilisé de la même façon qu’à celle de Da Nang jusqu’en avril 1975 (si les teneurs sont très élevées aux endroits restreints où ont été stockés précisément les barils d’Agent Orange et font l’objet des seuls projets de décontamination, c’est pourtant l’ensemble de ces immenses bases qui a subi un grand nombre d’épandages pour des raisons de sécurité visant à tuer toute végétation aux alentours dans le but d’une visibilité maximale : voir la photo d’une partie de la base de Bien Hoa, ainsi que celle, confidentielle à l’époque, montrant l’incendie des stocks de carburant de l’aviation, le 16 mai 1965, après une attaque Viêt Công.
Je rappelle ici que venaient s’ajouter aux zones aspergées par les épandages militaires tactiques, 135 bases semblables, et trois fois plus de « positions élevées » pareillement défoliées, faisant un patchwork contaminant supplémentaire sur le Sud-Viêt Nam. Aussi les résidents locaux subissent-ils les effets pervers du poison, y compris des malformations congénitales et des cancers depuis plus de 40 ans.
La dernière étude menée par Hatfield Consultants en novembre dernier, en collaboration avec l’Office 33 du ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement (Viêt Nam), ont confirmé des niveaux toxiques de dioxine dans des échantillons de poissons prélevés dans la base aérienne de Hoa Bien. Les niveaux de dioxine se révélèrent 200 fois plus élevés que les normes de santé canadiennes sur la consommation de poisson. L’étude a également confirmé d’incroyables niveaux de dioxines dans le sang et le lait maternel chez les personnes qui mangent du poisson pris dans la zone de la base aérienne.
Le rapport de cette étude a été présenté début avril 2011 lors d’une réunion du Groupe de dialogue américano-vietnamien sur l’Agent Orange (consortium indépendant de scientifiques et de décideurs), dans la province de Dong Nai, à 32 kilomètres au nord-est de Ho Chi Minh-Ville (ancienne Saigon). Le rapport final devant être rendu public au mois de mai après examen du Bureau 33 des experts vietnamiens. L’étude confirmera que les dioxines continuent à entrer dans l’écosystème aquatique et la chaîne alimentaire, ce qui exige de mettre un terme immédiatement à l’élevage de poissons, de canards, et des cultures sur l’ancienne base aérienne de Bien Hoa. « La pêche et les activités agricoles sur la base aérienne devrait être arrêtées pour éviter toute exposition future », a déclaré Thomas Boivin, directeur de Hatfield et des opérations internationales en partenariat. Les scientifiques vietnamiens ont effectué beaucoup de recherche à Bien Hoa, car ce fut la première commune vietnamienne où fut effectuée une étude internationale sur la contamination à la dioxine.
Boivin a déclaré que l’étude n’a pas l’intention de causer la panique chez les consommateurs de poissons dans Bien Hoa : « Il est important de noter que nous parlons de l’aquaculture sur les surfaces où se trouvait la base aérienne, et non dans la ville de Bien Hoa … La préoccupation est la base aérienne de Bien Hoa, pas la qualité du poisson en général dans la ville de Bien Hoa. Une façon simple pour les gens de se protéger est de nettoyer soigneusement le poisson, et ne pas consommer les organes internes, cela aidera à réduire de manière significative le risque d’exposition à la dioxine », dit-il.
Bien Hoa Air Base était un gigantesque complexe équipé de pistes de plus de 3 000 m où les pics de trafic atteignirent durant la guerre 1500 décollages et atterrissages/jour. L’administration de la province de Dong Nai estime qu’environ 13 000 victimes de l’Agent Orange y vivent, une majorité d’entre eux lutte contre la pauvreté et ne peut pas survenir à elle-même. « Malgré les preuves accablantes, les États-Unis ont toujours appelé à davantage de recherches sur les effets de la contamination à la dioxine au Viêt Nam. Et même s’ils ont reconnu une foule de pathologies associées à l’Agent Orange pour leurs anciens combattants, ils restent impitoyables et apathiques pour ceux sur qui ils ont pulvérisé le poison et qui vivent dessus depuis un demi siècle », rapporte An Dien.
Le Viêt Nam et les États-Unis ont signé un accord en fin d’année dernière pour entreprendre un projet de décontamination à Da Nang qui vise à éliminer la dioxine d’ici octobre 2013. Toutefois, le Dr Nguyen Thi Ngoc Phuong, vice-président de l’Association vietnamienne des victimes de l’Agent Orange / dioxine (VAVA), qui a mené des recherches approfondies de l’impact de l’Agent Orange sur le lait maternel, a déclaré : « Selon certains experts, le nettoyage et l’assainissement d’un seul site à haute concentration est estimée à 60 millions de dollars. »
« Les États-Unis doivent jouer un rôle important dans les mesures correctives qui doivent être prises pour redresser un très grave et important tort fait au Vietnam », a déclaré Wayne Dwernychuk, biologiste et premier chercheur d’Hatfield Consultants dont il est le Vice-président. Ce spécialiste de l’Agent Orange en retraite dit : « Des études peuvent être poussées jusqu’à ce que l’enfer gèle qu’ils (les États-Unis) n’aideront pas les Vietnamiens d’un iota ». Si actuellement ce jugement peut être nuancé, au regard des dégâts et de l’inertie étasunienne, il est juste. « Pendant des décennies la politique internationale est restée silencieuse sur la responsabilité de la contamination du Vietnam par la dioxine. Ceci doit être surmontée en mettant l’accent sur le bien-être de l’humanité, et en particulier les personnes les plus affectées par l’utilisation de l’Agent Orange pendant la guerre », a déclaré W. Dwernychuk.
24 avril, afrique-asie.fr publie « Viêtnam : l’Agent Orange est toujours là », par Christine Abdelkrim-Delanne. Créé en 2007, le Groupe de dialogue vietnamo-américain sur l’Agent Orange a mis en place un plan d’action jusqu’en 2019. Ce défoliant chimique, mortel, inventé (mis au point) par la multinationale criminelle Monsanto (et consorts) et employé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, particulièrement de 1961 à1971, avec l’accord de J.F. Kennedy, continue à faire des ravages dans les régions bombardées (ayant subi des épandages) il y a cinquante ans. Selon l’Académie nationale des sciences des États-Unis, 80 millions de litres (probablement 4 fois plus) ont été déversés, touchant 20 % des forêts du Sud- Viêtnam et empoisonnant 400 000 hectares de terres agricoles. On estime que 2,1 à 4,8 millions de Vietnamiens ont été directement exposés à l’Agent Orange, entre 1961 et 1971, auxquels il faut ajouter des victimes au Cambodge, au Laos et des civils et militaires américains présents sur le terrain ainsi que des troupes alliées, principalement Australiens, Canadiens, Néo-Zélandais et Sud-Coréens. Depuis cinquante ans, la chaîne alimentaire continue d’être contaminée. Cancers, cécité, malformations congénitales frappent toujours les descendants des victimes directes. Monsanto et les fabricants Dow Chemical, Thompson, Diamond, Hercules et Uniroyal ont fait l’objet de plaintes diverses en justice. En 1984, ces entreprises ont signé un accord amiable avec les associations américaines de vétérans en échange de l’arrêt des poursuites. Les fabricants ont versé, alors, 180 millions de dollars à un fonds de compensation. Une goutte dans l’océan. Les plaintes des Vietnamiens et des Sud-Coréens n’ont pas pu aboutir, notamment un recours collectif, présenté aux États-Unis par l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange/dioxine contre (trente-sept) fabricants d’herbicide, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Quant à l’État fédéral américain, premier mis en cause par les victimes, il bénéficie d’une immunité pour tout acte commis en temps de guerre. À ce titre, il serait intéressant de connaître, un jour, le montant réel des dettes de guerre et de réparation des États-Unis envers les peuples de la planète, depuis la Seconde guerre mondiale. Quoiqu’il en soit, cinquante ans après cet acte criminel, le Vietnam se bat toujours contre l’oubli et l’ignorance des effets à long terme de ce poison sur la santé humaine et l’environnement de ce pays. Ainsi, le programme du Groupe de dialogue s’est donné pour objectif de sensibiliser la population, de créer un fonds d’assistance des victimes et d’engager des actions de décontamination dans les zones polluées. Il a appelé, également, des entreprises américaines et vietnamiennes ainsi que les représentations diplomatiques au Viêtnam à soutenir activement ses actions. Le comité est présidé par le président du groupe des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale vietnamienne, l’agent orange/dioxine continue d’être au cœur des questions nationales vietnamiennes.
Mots, chiffres énoncés, sous-entendus de promesses, communication qui laisse croire bien plus que ce qui est entrepris, égrainent le temps qui passe au rythme des victimes qui naissent et meurent.
Nota bene
Le Courrier du Vietnam du 5 au 11 avril 2013 révèle qu’ « Il faudra 300 ans pour déminer le territoire vietnamien. Le Comité d’État de pilotage pour la résolution du problème des bombes et des mines laissées par la guerre (…) confirme plus de 100 000 morts et blessés entre 1973 et 2000. Quatre mille personnes en sont victimes chaque année (…) le comité estime encore à au moins 800 000 tonnes la masse d’engins non exposés. »
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