OGM : Fin du débat sur les interdictions nationales

Source : Inf'Ogm, par Pauline Verrières, mis en ligne le 14 janvier 2015

Ogm 1Les députés européens ont adopté mercredi une directive facilitant les autorisations de cultures transgéniques. Elles ne seront plus décidées au niveau communautaire, mais par chaque Etat. Et les entreprises pourront attaquer les interdictions.

C’est un ancien projet européen, lancé en 2010 par le Commissaire alors chargé de ces questions, John Dalli [1], qui revient sur le devant de l’actualité européenne. Il s’agit de modifier la directive 2001/18 pour, officiellement, « faciliter » les interdictions nationales de culture de plantes génétiquement modifiées (PGM) et, officieusement, débloquer le dossier au niveau européen.
Fin juin 2014, les États membres - réunis au sein du Conseil de l’UE - parviennent à un accord politique [2]. En septembre, le texte est alors transféré au Parlement européen et c’est sa commission « environnement » qui est chargée de préparer un texte de compromis. Après plus d’un mois de travail et l’examen de plus d’une centaine d’amendements, la commission « environnement » adopte le 11 novembre 2014, un nouveau texte qui présente quatre grandes modifications par rapport au texte adopté par le Conseil de l’UE. Du fait de ces différences, une nouvelle phase de discussion, appelée trilogue, s’est ouverte entre le Parlement européen, le Conseil de l’UE et la Commission. Le 3 décembre, après plusieurs semaines de négociations, le trilogue a finalisé un texte. Le 10 décembre, le Conseil de l’UE, réuni au sein du Comité des représentants permanents du Conseil (Coreper), a confirmé l’accord du trilogue. Enfin, le 13 janvier 2014, avec une large majorité [3], le Parlement européen a voté en faveur de ce texte, qui est désormais entériné.

Les analyses présentées ici sont le fruit des discussions qu’Inf’OGM a eues avec les principaux acteurs de ce trilogue.

Une interdiction des OGM à la carte

Premier point, la Commission « environnement » a supprimé la phase 1 de négociation obligatoire avec les entreprises qui veulent commercialiser un OGM. Le Conseil de l’UE avait en effet établi que lors de la procédure d’autorisation d’un OGM, l’entreprise qui demande une autorisation aurait à définir un périmètre géographique pour sa demande. Au cours de cette première phase, un État pourrait alors négocier avec cette entreprise pour que tout ou partie de son territoire ne figure pas dans ce périmètre. L’État pouvait alors interdire un OGM (phase 2) si la négociation avec l’entreprise avait échoué, mais seulement s’il avait tenté de négocier (en phase 1). Pour les député-e-s, cette phase donnait un poids non négligeable aux entreprises de biotechnologies et les hissait, de fait, au même rang que des gouvernements démocratiquement élus... La Commission « environnement » a alors proposé que l’État qui ne veut pas de cet OGM sur son territoire puisse simplement imposer son choix à l’entreprise, sans avoir à le négocier.

Une alternative séduisante pour la France, comme nous l’avons appris d’une source proche du dossier, mais qui n’était pas sans poser question : sans l’accord de l’entreprise, quelle sera la force juridique de la décision unilatérale de l’État ? L’entreprise pourrait en effet se retourner vers les tribunaux, et les États se retrouver dans une situation similaire à celle d’aujourd’hui... Le droit européen donne-t-il donc si peu de poids à nos gouvernements, face à la toute puissance de quelques entreprises ? Beaucoup de pays, à l’instar de la France, semblent en effet le penser. Le Conseil de l’UE n’est pas favorable à la proposition de modification apportée par la Commission « environnement ».

C’est une solution intermédiaire qui a émerg�� du trilogue : la phase de négociation avec les entreprises est maintenue. En revanche, la connexion entre phase 1 et phase 2 n’est pas conservée. Un État membre pourra donc adopter une interdiction nationale sans avoir nécessairement négocié en phase 1. Une solution qui, selon Frédérique Ries, euro-députée belge (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, ALDE) et rapporteuse pour la Commission « environnement », laisse une plus grande flexibilité aux États tout en assurant une certaine sécurité juridique.
A noter que la phase 2 pourra intervenir sans limite de temps. Il avait été question lors des négociations, que cette phase soit limitée à une période de deux ans suite à l’autorisation d’un OGM, ce qui aurait drastiquement réduit la possibilité de nouveaux gouvernements de prendre position sur la question des cultures d’OGM dans leur pays...

Modifier la directive : pour protéger l’environnement ou pour harmoniser le marché ?

Deuxième point de divergence : la base juridique de la modification de la directive 2001/18. Cette base donne l’orientation de la modification. En l’occurrence, cette modification a-t-elle comme but la protection de l’environnement (auquel cas il faut utiliser l’article 192 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE - TFUE) ou l’harmonisation du marché (article 114 du TFUE) ? La France, au cours des négociations, n’avait pas cru bon d’insister sur ce point. Le gouvernement considérait en effet qu’il est plus important, dans un premier temps, de s’intéresser au contenu de cette modification, lequel viendra déterminer la base juridique adéquate. Là encore, Parlement et Conseil sont en désaccord, le premier penchant pour la protection de l’environnement, lorsque le second considère qu’il s’agit plutôt d’une harmonisation du marché.

Mais en définitive, sur ce point, pas de compromis, le texte garde comme base juridique l’harmonisation du marché, le Conseil n’ayant voulu entendre parler ni d’un changement ni d’une double base.

Or, cette question a pourtant toute son importance. En choisissant l’une ou l’autre base, le législateur européen oriente le cadre juridique dans lequel les États vont pouvoir évoluer. Avec le choix de la base retenue, il sera plus difficile pour un État de vouloir prendre une interdiction au nom de la protection de l’environnement puisque l’espace d’action qui lui est offert concerne l’harmonisation des marchés...

Les arguments pour justifier d’une interdiction nationale

Le troisième désaccord entre le Conseil et le Parlement concernait les arguments qui auraient pu être invoqués par un État pour interdire un OGM sur son territoire. En juin, les États membres avaient bien séparé deux types d’arguments : ceux couverts par l’évaluation de l’innocuité sanitaire et environnementale menée par l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA), qui permettent de justifier une clause de sauvegarde ou une mesure d’urgence ; et ceux qui permettraient d’interdire selon cette nouvelle procédure. En effet, estimaient-ils, si l’évaluation d’un OGM est insuffisante et lacunaire, elle doit faire l’objet d’une refonte au niveau européen, et ne pas être seulement complétée au cas par cas par les États. La commission « environnement » avait contesté cette dichotomie des arguments et réintroduit des arguments environnementaux et sanitaires dans le cadre de cette nouvelle procédure d’interdiction. La commission « environnement » avait aussi étoffé la liste des arguments présentés par le Conseil de l’UE : arguments environnementaux autres que ceux évalués par l’AESA (il s’agirait par exemple de prendre une interdiction en conformité avec une politique globale de protection de l’environnement), protection de pratiques agricoles particulières, ordre public, critères sociaux et/ou économiques...

Suite au compromis politique du trilogue, les arguments environnementaux et sanitaires qui relèvent du portefeuille de l’AESA sont à nouveau exclus de la liste. Ils ne seront donc pas invocables par les États membres. Outre les arguments socio-économiques, restent les objectifs de politiques environnementales.

Des mesures de coexistence obligatoires

Enfin, quatrième point de divergence entre le texte adopté par le Conseil et celui voté par la Commission « environnement », l’obligation pour les États membres de prendre des mesures nationales de coexistence (cf. Quelle est la réglementation sur la coexistence des culture GM ?), pour prévenir les risques de contamination suite à des cultures de PGM. À ce jour, il n’existe pas d’obligation pour les États membres de prendre de telles mesures. L’article 26bis de la directive 2001/18 les invite seulement à adopter « des mesures nécessaires pour éviter la présence accidentelles d’OGM dans d’autres produits ». Le Parlement souhaite que de telles mesures deviennent obligatoires sur le territoire des États et aux frontières, que les États aient fait le choix ou non de cultiver des PGM. Le Conseil ne rejoint pas cette généralisation de l’obligation qui relève de la souveraineté individuelle de chaque État.

C’est finalement une solution entre les deux positions qui a été retenue : des mesures de coexistence seront bien obligatoires, mais uniquement pour les États cultivant des OGM et sur les zones transfrontalières. De telles règles devront être adoptées d’ici deux ans. C’est donc a minima que des mesures de coexistence tenteront de protéger des contaminations entre États. Pour ce qui est des contaminations à l’échelle plus locale, entre agriculteurs, l’UE s’en désintéresse donc et laisse cela au « bon » vouloir des États membres.

L’équipe de Mme Ries se disait « raisonnablement optimiste » quant à une issue positive pour ces discussions : bien qu’ayant une approche différente, l’ensemble des acteurs s’accordait en effet sur la nécessaire modification de la directive. C’est désormais chose faite avec l’émergence de cet accord politique. Il est maintenant « plus que raisonnable » de penser que ce texte va être validé par l’ensemble des acteurs.

Les euro-député-e-s socialistes exprimaient leur satisfaction : « C’est une victoire de toute l’équipe menée par la rapporteur Frédérique Ries, qui a eu le courage de ne jamais céder aux pressions du Conseil et de la Commission. (...) Les États qui souhaitent, comme la France, dire NON aux OGM pourront le faire sans craindre une quelconque insécurité juridique" [4].
Un son de cloche tout à fait différent résonnait chez les euro-députés verts au Parlement européen [5]. José Bové, notamment, s’inquiète que ces avancées à court terme, ne cachent en réalité de grandes faiblesses juridiques et beaucoup de zones d’ombres. La phase 1 de négociations avec les entreprises est conservée : « Qu’auront à négocier les États membres si ce n’est leur vote favorable pour l’autorisation d’un OGM en échange d’une interdiction sur leur territoire ? » s’interroge-t-il, en stigmatisant « un vote contraire à la logique : si un État souhaite interdire un OGM, c’est que ce dernier pose problème à un certain niveau, l’autorisation à l’échelle européenne n’est donc pas souhaitable... ». Pour l’eurodéputé, la phase 2 n’offre pas toutes les garanties de stabilité juridique au niveau international. En réalité, ce compromis risque de conduire à une situation où les entreprises obtiennent plus d’autorisations et plus rapidement : une victoire à la Pyrrhus pour les États membres !

La modification de la directive 2001/18 est donc désormais actée. Reste à en analyser en détail les tenants et les aboutissants.

Parlementeuropeen opt out vote janvier2015

Cet accord va-t-il massivement débloquer les autorisations d’OGM ?

La presse généraliste annonce la reprise des autorisations pour 2015 et titre, à l’instar de l’Agence France Presse : « OGM : L’UE s’ouvre à leur culture, premières autorisations en 2015 ». Cet accord politique permettra-t-il réellement un nouveau déferlement d’autorisations au niveau européen ?
À long terme, il est encore difficile de connaître l’effet que peut avoir cette modification sur le jeu des acteurs et les conséquences sur le nombre d’autorisations. Mais en effet, à court terme, plusieurs autorisations pourraient être débloquées d’ici quelques mois. Selon une source proche du dossier au niveau français, cet accord va permettre à la Commission européenne d’agir plus sereinement sur un certain nombre de dossiers (renouvellement du Mon810, autorisation du TC1507...). Cependant, nous précise notre correspondant, la Commission européenne aurait dû, tôt ou tard, accord ou non, se pencher dessus. Elle avait, en effet, été condamnée par la Cour de Justice de l’UE pour des délais trop long dans la procédure d’autorisation des OGM [6].

 

Notes

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