Les Inrocks. 4 février 2012 par Maxime Robin
Mountain Top Removal (MTR) : ça sonne comme une chanson de bluegrass. Le MTR est en fait une technique de minage utilisée depuis les années 80 aux Etats-Unis. Elle consiste à exploser le sommet des montagnes pour extraire du charbon. C’est moins cher que de creuser des tunnels. C’est aussi, selon les mots d’un mineur, “la plus grande blessure écologique que l’Amérique s’inflige à elle-même... son sale petit secret”.
Tennessee, Kentucky, Ohio : les Etats concernés sont traversés par la chaîne des Appalaches, le réservoir houiller de l’Amérique. En deux décennies, environ cinq cents sommets ont été rayés de la carte. L’équivalent en superficie de la Seine-et-Marne. La Virginie-Occidentale, qui produit le tiers du charbon des Etats- Unis, est la plus touchée. Un territoire rural, isolé, sans équipe de basket pro. Depuis plus d’un siècle, l’industrie minière y est toute-puissante, construit les villes, fait et défait les politiciens.
En quoi consiste le MTR ? A raser la forêt sur la montagne. Exploser la roche avec un mélange de diesel, de nitrate d’ammonium – ce qui peut dégager des substances radioactives. Récupérer le charbon. Le laver avec de l’arsenic et divers métaux lourds : ils s’infiltreront dans le sol et, parfois, dans l’eau du robinet. Les millions de mètres cubes de roche explosés, déplacés en fond de vallée, enfouissent les cours d’eau. On parle de 2 000 miles de torrents disparus, quasiment un aller-retour New York-Miami.
Pour les habitants qui voient le ballet des bulldozers raser leurs montagnes pour toujours, c’est la double peine. “Dans les maisons, l’eau du robinet coule marron, opaque”, raconte Antrim Caskey, photographe installée à Rock Creek. Ce qui était d’abord une catastrophe écologique est devenu un scandale de santé publique : les dernières statistiques de la West Virginia University montrent que les habitants proches des sites ont plus de risques de développer des cancers et d’enfanter des bébés difformes. Le docteur Michael Hendryx, responsable d’études, a sillonné des comtés aux noms de provinces irlandaises : Raleigh, Mingo, McDowell.
Les coins les plus pauvres où, ironiquement, on extrait pour des milliards de dollars de charbon. Il avoue “ne pas encore savoir si le plus dangereux est l’eau contaminée ou les particules dans l’air”.
“Le charbon est roi, pointe Janet Keating, de la commission environnementale de la vallée de l’Ohio. Le gouverneur reçoit des dons de compagnies minières comme Massey Energy (revendue l’an dernier pour 7 milliards de dollars – ndlr) pour financer son élection. Il vote les lois pour Massey. C’est de la corruption légale. La politique ici, c’est sale… Un peu comme nos torrents.”
Sur la colline surplombant l’école de Marsh Fork, au sud de l’Etat, se dresse un tas de déchets de 120 mètres de haut. C’est le plus petit des six entourant le village. Ed Wiley, 57 ans, a travaillé trois ans sur le site jusqu’en 2004. “J’ai arrêté quand ma petite-fille de 11 ans est tombée malade. Des migraines, des nausées. Elle m’a montré une drôle de pellicule de suie noire sur les jeux pour enfants. J’ai commencé à me poser des questions sur les produits chimiques et à me dire que l’idée de ‘charbon propre’ dont tout le monde parle, c’était peut-être des conneries.” Le problème divise les familles : les unes veulent arrêter le MTR, les autres veulent un job.
“L’ironie, explique Marilyn Mullens, habitante de Cool Ridge, c’est que la majorité des gens en danger sont pour. Le charbon, la compagnie, c’est tout pour eux. C’est le syndrome de Stockholm à l’échelle de tout un Etat : les gens aiment leurs preneurs d’otages.”
Marilyn organise une manifestation à Charleston, la capitale de l’Etat, en mai prochain : des femmes vêtues de blanc se raseront la tête devant le Capitole “pour symboliser les montagnes qu’on dépouille. Ça sera aussi en hommage aux gens morts de cancers. Les gens d’ici pensent que les anti-MTR sont des petits bourges écolos de la grande ville. Moi, je suis d’ici, et j’ai honte que ce soit eux qui se bougent à notre place.”
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