Reporterre, par Maxime Combes, mis en ligne le 21 septembre 2013.
François Hollande avait promis qu’il n’y aurait pas « pas d’exploration de gaz de schiste en France ». Pourtant le gouvernement délivre de nouveaux permis, en prolonge des anciens, encourage Total et bloque la transition. Face à cette incohérence, imposons nos solutions alternatives.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le gouvernement français vient de délivrer deux nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux en Alsace [1] et Lorraine [2]. La délivrance de ces nouveaux permis marque clairement la reprise de l’instruction des demandes d’octroi, de prolongation ou de mutation de permis d’hydrocarbures, comme l’avait promis Arnaud Montebourg le 9 juillet dernier à la fin de son audition par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale.
Le ministre évoquait plusieurs dizaines de permis. Alors que la réforme du code minier n’a toujours pas été présentée au Parlement et que le Conseil Constitutionnel pourrait prochainement retoquer la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique, ces annonces sonnent comme de nouveaux gages délivrés aux industriels.
Les incohérences gouvernementales se multiplient. Ainsi le permis Bleue Lorraine Sud, expiré depuis presque deux ans [3] et clairement identifié [4] comme un permis de recherche d’hydrocarbures non conventionnels nécessitant l’utilisation de la fracturation hydraulique, est toujours mentionné sur le site du ministère et pourrait bien être prolongé officiellement dans les semaines à venir. D’autres permis se trouvent dans la même situation (Soufflenheim, etc.).
Des incohérences qui ont amené les collectifs contre les gaz et pétrole de schiste à exiger du gouvernement et de son ministre de l’Ecologie de « trouver au plus tôt des réponses juridiques stables et pérennes visant à rejeter définitivement ces demandes pendantes depuis plusieurs années » et de « ne signer aucun arrêté » concernant les permis existants ou en demande. Lettre que l’annonce des deux nouveaux permis vient fouler aux pieds. Une cyberaction est en cours.
Par ailleurs, plutôt que d’agir pour stopper les explorations de nouvelles énergies fossiles et de laisser la majorité des réserves d’énergies fossiles dans le sol comme le nécessite une véritable transition énergétique, le gouvernement encourage le développement de l’exploitation de nouvelles énergies fossiles comme les gaz de couche.
Selon la coordination nationale des collectifs citoyens, « contrairement aux gaz de mine, dont l’extraction consiste à récupérer le méthane circulant dans les galeries des anciennes mines de charbon, le gaz de couche requiert, pour son exploitation, les mêmes techniques extrêmes que les gaz et pétrole de schiste » afin que ce soit rentable.
Cible de plusieurs permis délivrés par l’Etat, notamment les permis Sud-Midi, Valenciennois et Nord-Cambrai dans le Nord-Pas-de-Calais, le gaz de couche est subventionné par le Conseil Régional de Lorraine et par la CSPE (Contribution au Service Public de l’Électricité) qui est prélevée sur les factures des usagers et censée être consacrée aux énergies renouvelables ! Une pétition d’alerte citoyenne est en ligne.
Les entreprises de prospection pétrolière et gazière utilisent ces incohérences et flottements gouvernementaux pour renforcer leurs positions et noyer le poisson. Ainsi, dans le bassin d’Alès, Mouvoil souhaite réaliser des travaux d’exploration géosismique dans la région alors qu’elle prospecte des hydrocarbures de roche-mère, notamment des huiles lourdes. L’entreprise se défend de vouloir utiliser la fracturation hydraulique alors que l’usage d’une grande quantité d’eau sous pression est absolument nécessaire pour exploiter de tels hydrocarbures comme le démontre cet excellent rapport scientifique.
A Jouarre en Seine-et-Marne, c’est Hess Oil, détentrice d’un permis d’exploration qui vient d’entreprendre des forages malgré l’opposition des riverains et les multiples mobilisations citoyennes. Au Nord-Est du Béarn, sur sa concession de Vic-Bilh, Vermilion vient d’achever une campagne sismique d’exploration du sous-sol, y compris au delà des 3000 mètres de profondeur où l’on trouve les roches-mères et les hydrocarbures de schiste. Pour ce leader de l’exploitation pétrolière dans l’hexagone, qui reconnaît avoir « effectivement recouru dix-sept fois » à la fracturation hydraulique en France, « dont quinze pour optimiser les rendements des gisements conventionnels », il n’y a là rien que de très normal.
Même s’il ne semble pas que la fracturation hydraulique ait été utilisée sur le territoire hexagonal depuis la loi du 13 juillet 2011, l’engagement de François Hollande prononcé lors de son allocution du 14 juillet 2013 selon lequel « il n’y aurait pas d’exploration de gaz de schiste en France » est bafoué. Les entreprises prospectent et se positionnent sur des permis en cours de validité ou des demandes de permis. Et nos champions de l’énergie, tels que GDF-Suez et Total utilisent largement les instruments de la diplomatie française pour se positionner à l’étranger.
Alors que GDF Suez prévoit d’exporter du gaz de schiste provenant des Etats-Unis sans que cela n’émeuve personne, Total a pu se positionner en Argentine, aux Etats-Unis ou en Chine, sans être inquiété. Comme si le gaz de schiste exploité dans ces pays par une multinationale siégeant en France pouvait être moins problématique qu’une exploitation en France. Au point que les investisseurs français, parmi lesquels Total et la peu connue mais très puissante [5] multinationale Vallourec, seraient les troisièmes investisseurs dans le gaz de schiste américain.
A ces incohérences gouvernementales-là s’ajoute une longue liste de décisions allant à l’encontre de toute transition énergétique. Ainsi, des fonds publics français financent toujours les énergies fossiles, leur développement, Total ne paie toujours pas suffisamment d’impôts en France, la taxe poids lourds a été une nouvelle fois repoussée, le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes n’est toujours pas abandonné, le gouvernement s’oriente vers une fiscalité écologique au rabais injuste et inefficace, les objectifs de réduction d’émission de gaz à effets de serre en France et en Europe sont largement insuffisants, le gouvernement promeut un accord UE - Etats-Unis foncièrement contraire à une véritable transition écologique, etc.
Il est donc grand temps d’imposer d’autres politiques publiques et de mettre en œuvre les solutions et expériences alternatives expérimentées dans de nombreux territoires afin de changer de paradigme.
C’est la raison pour laquelle plus de 50 organisations de la société civile, dont Attac France, appellent à rejoindre Alternatiba, village des alternatives qui va réunir plus de 10 000 personnes les 5 et 6 octobre prochains à Bayonne (Pays Basque).
Cette excellente initiative, lancée par Bizi !, « mettra en lumière les alternatives et solutions des peuples, ancrées sur les territoires et visant à transformer le système pour faire face au changement climatique et à la crise énergétique ». Le gouvernement et l’ensemble des partis politiques devraient s’en inspirer pour abandonner les incertitudes, incohérences et contradictions actuelles. Pour « changer le système, pas le climat » !
Notes
1- Les entreprises Bluebach Ressources et Geopetrol ont obtenu un permis de 4 ans couvrant une zone de 328 km2 dans le secteur de Seebach.
2- L’entreprise Terre a obtenu un permis de 3 ans et couvre une surface de 20 km2 dans la zone de Forcelles (Meurthe-et-Moselle).
3- Il a été octroyé pour 5 ans le 7 décembre 2006. La demande de prolongation a été reçue le 5 août 2011. Elle devrait être rejetée puisqu’au-delà d’un délai de 15 mois, le silence de l’administration vaut rejet implicite.
4- Par le rapport parlementaire publié le 4 mai 2011.
5- Pour expliquer son éviction du gouvernement, l’ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho cible clairement le lobbying des dirigeants de Vallourec.
Important : ce texte doit énormément aux suivi, décryptage et diffusion d’informations provenant des collectifs contre les gaz et pétrole de schiste, sans lesquels il n’aurait été possible de l’écrire. Un immense merci à elles et eux ! Mais bien-entendu, ce texte, ses imperfections et ses éventuelles erreurs n’engagent que son auteur.
Source : Mediapart
Photo : L’Express
Lire aussi : Josh Fox : "Le gaz de schiste pollue la démocratie"
1. 24/09/2013
La société Vallourec..... ben voyons. Son PDG s'appelle Monsieur Philippe Crouzet, et sa chère compagne Madame Sylvie Hubac. Elle n'est autre que la directrice de Cabinet du président de la République.
CQFD . Allez donc voir sur le site du LEA l'article: Affaire Batho ça sent le gaz en rubrique actualité.
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