Source : blog Médpapart, par Fabien Piasecki, mis en ligne le 31 mai 2014
Ah, le moins que l'on puisse dire, c'est que le dernier verre a du mal à passer et a laissé un arrière-goût amer aux hautes instances de douze organismes de recherche venus au secours d'un treizième, l'INRA. C'est la relaxe en appel des faucheurs volontaires des vignes génétiquement modifiés par l'Institut national de la recherche agronomique qui a fait tâche dans le ronron quotidien des hautes sphères technoscientifiques. Nous ne sommes pas superstitieux. À l'instar de Pierre Desproges, nous savons que ça porte malheur. Mais treize à table, tout de même, cela invite au questionnement. Trêve d'allusions hasardeuses et de filage eucharistique, les faits sont, à l'évidence, bien trop Graves.
Le 15 août 2010, des militants sous l'égide des faucheurs volontaires se retrouvent à Colmar pour s'attaquer à des vignes génétiquement modifiées par l'INRA. Ces derniers sont bien connus pour ne se déplacer que le couteau entre les dents, la faucille en bandoulière et une Sélection du reader's digest postmoderne sur l'obscurantisme ou l'alchimie dissimulée au fond de leur musette. Les plants ayant subi les foudres militantes relevaient d'une expérimentation en plein champ, nous y reviendrons. Au 15 août, le coucou perd son chant ; c'est la caille qui le reprend.
Comme un refrain lancinant de notre démocratie à géométrie variable, leur acte sera condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Colmar le 14 octobre 2011 : une soixantaine de faucheurs se voient infliger des peines de prison avec sursis (2 mois) et à une amende de 1200 euros (60 jours-amendes à 20 euros) pour six d'entre eux considérés comme récidivistes. Collectivement ils se voient contraints de payer 57 000 euros à l'INRA (50 000 euros pour préjudice scientifique, 3 000 pour préjudice matériel et 4 000 euros de frais de justice), somme qu'ils s'enquièrent de payer avant de faire appel au pénal et non au civil pour éviter que le débat ne se déplace que vers les aspects financiers de la question.Cornegidouille, revendiquez, détruisez mais ne pensez pas, de grâce, citoyens avisés…
Et voici que plus de deux ans plus tard, la machine à produire de la technoscience se grippe. Au bénéfice d'un recours en appel, les faucheurs se voient relaxés le 14 mai dernier, la cour d'appel de Colmar jugeant l'autorisation délivrée par le ministère de l'Agriculture pour cultiver des vignes génétiquement modifiés en plein champ illégale. Une première pour les faucheurs. Et dans les hautes sphères des directions des organismes publics de recherche, on s'égosille, on vitupère, on vilipende. En quelques mots, on tombe de haut. C'est la science et la recherche scientifique qu'on assassine.
Que l'on ne soit pas en accord avec les méthodes des faucheurs, passe encore (même si il est indéniable que, sans ce type de revendications, il n’y aurait pas de débats ou presque sur les controverses scientifiques et technologiques) mais que des personnes érudites utilisent des arguments fallacieux ou a minima détachés de la réalité et s'allient pour tenter de convaincre le plus grand nombre, c'est prendre le risque d'un retour de bâton (ou de sarment de vigne).
"Cet essai de recherche […] n’avait aucune vocation commerciale.", mettent en avant les douze signataires (tous directeurs généraux, PDG ou administrateurs généraux de leur structure) . "Oui, et ?" serions nous tentés de répondre. Au prétexte qu'une recherche serait publique, elle s'en trouverait parée de toutes les vertus et ce, intrinsèquement, sans que personne ne puisse y trouver à redire, en particulier ceux qui permettent de la financer à savoir les contribuables-citoyens ?
Pire encore, ces scientifiques jouent sur la corde sensible pour amener les profanes à rejoindre leur paroisse : "Depuis cet arrêt de la Cour d’Appel de Colmar […] la protection juridique des installations de recherche dédiées à l’expérimentation dans des conditions encadrées, n’est donc plus assurée. […] Devons-nous nous résigner à ne plus pouvoir mettre la connaissance au service de la décision collective ? Renoncer à expérimenter, c’est donc refuser d’agir pour améliorer notre avenir collectif. C’est pourtant ce qui risque d’arriver si nous ne sortons pas de cette logique de la peur et du renoncement à laquelle nous invite ce jugement où la détermination de quelques-uns met en péril la capacité de tous à affronter démocratiquement et rationnellement ces défis complexes." Et une nouvelle fois, ils s'égarent en oubliant notamment un détail… le principe de précaution (un principe à valeur constitutionnelle, rappelons le), une nuisance à l'avenir collectif, comme chacun sait.
Quel est l'argument mis en avant par la Cour ? A-t-elle statué sur ce point ? Pour répondre à la deuxième question, il est bon de rappeler que les faucheurs ont été jugés coupables de "violation de domicile" (sans pour autant être condamnés à une peine pour cela). Autrement dit, leur acte n'a pas été cautionné. L'argument mis en avant par la Cour d'appel est d'une tout autre nature. Et pour cause : l'INRA se serait "content[ée] d’affirmer, sans fournir la moindre donnée scientifique, que l’essai ne générera aucun risque, d’une part, pour l’écosystème […] ; d’autre part, pour la santé humaine". Et le jugement de conclure : "compte-tenu du manque manifeste d’une véritable étude d’impact de l’essai en question répondant aux exigences réglementaires et malgré l’avis du Haut conseil sur les biotechnologies, il y a lieu à faire droit à l’exception d’illégalité invoquée ; qu’en effet, c’est par une erreur manifeste d’appréciation des risques inhérents à l’opération litigieuse que l’autorité ministérielle a autorisé cette dernière". Aucune allusion ici à une éventuelle volonté de nuire à la recherche scientifique ou au développement de connaissances nouvelles… Sic transit gloria mundi.
En se plaçant ainsi au dessus des citoyens, les douze signataires se fourvoient. Non seulement, leur attitude confère au scientisme mais elle laisse croire que les citoyens, éclairés ou non, n'auraient pas voix délibérative dans les controverses techniques ou scientifiques y compris quand leur santé ou leur environnement sont sujets à risques divers et variés.
Le verre de l'amitié entre la direction des organismes de recherche et les citoyens, ce n'est pas pour tout de suite.
À la vôtre…
Fabien Piasecki, coordinateur à la Fondation Sciences Citoyennes
Le Lot en Action, 24 avenue Louis Mazet, 46 500 Gramat. Tél.: 05 65 34 47 16 / [email protected]