Source : Blog Médiapart, par Maxime Combes (Attac France), mis en ligne le 1er décembre 2014
Lors de la conférence environnementale, François Hollande a indiqué qu'il espérait « laisser sa trace » dans l'histoire en obtenant un « accord historique » en 2015. Peut-être ferait-il bien de commencer par ces dix mesures urgentes. Pour passer aux actes et ne plus se payer de mots.
« Assez de mots, des actes ». C'est sur ce mot d'ordre qu'une majorité d'ONG et de mouvements avaient décidé de quitter les négociations à Varsovie lors de la précédente conférence de l'ONU sur le changement climatique en novembre 2013. Alors que les négociations de l'ONU reprennent ce lundi 1er décembre à Lima, voici une série de 10 mesures que François Hollande et Manuel Valls auraient pu annoncer lors de la Conférence environnementale. Pour que la petite phrase selon laquelle « le climat sera une grande cause nationale en 2015 » soit suivie d'effets.
1. Supprimer les financements climaticides
Lors de la conférence environnementale, François Hollande a annoncé vouloir stopper les crédits à l’export liés au charbon ainsi que pousser l’UE à stopper à terme toute subvention aux énergies fossiles. Ces annonces, sans calendrier de mise en œuvre, sont minimes. En effet, aussi incroyable que cela puisse paraître au regard des engagements maintes fois répétés en faveur de la lutte contre les dérèglements climatiques, la France finance le développement des énergies fossiles à travers des fonds publics. Par l'intermédiaire de la Banque européenne d'investissements (BEI), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque Mondiale mais aussi par l'intermédiaire de l'Agence française de développement et la Coface, la France, malgré quelques avancées récentes sur la diminution des financements en faveur du charbon, continue de financer directement ou indirectement le développement d'énergies climaticides. Par ailleurs, l’État, en tant qu’actionnaire d’entreprises publiques comme EDF ou GDF Suez contribue à maintenir de hauts niveaux d'investissement dans les énergies fossiles dans les pays du Sud et en Europe de l’Est. C'est tout simplement irresponsable. A la fois pour le climat, mais aussi pour les pays où atterrissent ces financements dont la dépendance aux énergies fossiles s'accroit ou perdure alors qu'il faudrait les aider et les soutenir pour en sortir. (voir le CP des Amis de la Terre)
2. Annuler (et rejeter les demandes de) permis de recherche d'hydrocarbures
François Hollande avait promis qu'il n'y aurait pas « pas d'exploration de gaz de schiste en France ». Pourtant, depuis son élection, le gouvernement a délivré de nouveaux permis, en a prolongé d'autres et rechigne à annuler toute une série de permis existants qui ciblent clairement des hydrocarbures de schiste. Réunis en coordination nationale à Lyon les 22 et 23 novembre 2014, les collectifs citoyens opposés à la recherche et l’exploitation des pétrole et gaz de schiste et de houille « constatent que l’opacité sur la délivrance des permis de recherche hydrocarbure et autorisations de travaux persiste ». 119 demandes de permis sont en cours d’instruction tandis que 54 permis de recherche sont encore valides. Ainsi, dans le Nord/Pas-de-Calais, deux autorisations de travaux pour des forages d’exploration ont été délivrés à Avion et Divion, forages qui pourraient être entamés d'ici peu. Tout récemment, le Collectif « Plaines du Languedoc » a adressé une Lettre ouverte à la Ministre de l’Ecologie exigeant que le permis exclusif de recherches d’hydrocarbures du même nom ne soit pas prolongé. Aucune annonce en ce sens n'a été faite à l'occasion de la Conférence environnementale.
3. Ne plus encourager Total à investir dans les énergies fossiles
A lire la Une du Monde daté du 21 novembre, il faudrait croire en la « conversion » de François Hollande à l'urgence climatique. Pourtant quelques semaines plus tôt, le 2 novembre, François Hollande avait jugé bon de se rendre en Alberta, au Canada, pour encourager les investissements de Total et des entreprises françaises dans le pétrole des sables bitumineux, l'un des plus polluants de la planète. Le jour-même où le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) publiait la synthèse de son 5e rapport confirmant la gravité de la situation et la très grande responsabilité des États. Ce n'était pas un simple télescopage médiatique. Mais la décision du Président de la République d'envoyer au signal au secteur industriel : le gouvernement n'entend pas assujettir les investissements privés à la contrainte climatique et aux recommandations des experts du climat. Si François Hollande et le gouvernement étaient véritablement convaincus de l'urgence climatique, ils auraient pu utiliser la tribune de la Conférence environnementale pour expliquer que l'urgence climatique impose de laisser la majorité des réserves prouvées d'énergies fossiles dans le sol et qu'il est donc grand temps de stopper les investissements en la matière. Y compris en Alberta et y compris Total. Ils ne l'ont pas fait.
4. Conditionner TAFTA au respect des exigences climatiques
Le soutien aux énergies fossiles ne se limite pas aux subventions et facilités fiscales : le régime commercial et d'investissement international bloque toute transition vers un régime énergétique post-fossile. Le 10 février 2014, dans une tribune au Monde, Barack Obama et François Hollande s'étaient auto-décernés un rôle (très usurpé) de « leadership » en matière climatique : pourquoi ne pas alors conditionner la poursuite des négociations TAFTA, dont le mandat européen de négociations ne fait pas mention des exigences climatiques, aux urgentes et nécessaires réductions d'émission de gaz à effet de serre ? La Commission européenne elle-même reconnaît d'ailleurs que TAFTA génèrerait une hausse des émissions de GES de quatre à onze miles tonnes de CO2 par an. Cette hausse, même limitée, n'est-elle pas contraire aux exigences climatiques ? Visant notamment à encourager l'exploitation et le commerce transatlantique d'énergies fossiles, TAFTA – ainsi que l'accord en cours de finalisation entre l'UE et le Canada – induirait de nouveaux investissements dans le secteur (nouvelles infrastructures d'extraction, de transport, de raffinage, etc) et pérenniserait une dépendance aux énergies fossiles et des niveaux d'émission insoutenables pour des dizaines d'années. Entre le climat et Tafta, il faut choisir. Hollande a choisi Tafta.
5. Abandonner les grands et petits projets inutiles
François Hollande et le gouvernement vont-ils accueillir la conférence de l'ONU sur le climat de décembre 2015 à Paris sans avoir définitivement écarté le projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes, un projet contraire aux exigences climatiques ? Tout en détruisant de nouvelles zones humides, pourtant cruciales sur le plan du climat, aux quatre coins de la France (Testet, Chambaran, ligne Lyon-Turin ? A la conférence environnementale, François Hollande a largement évoqué une renforcement de la démocratie participative pour pouvoir « arrêter un mauvais projet » : les préfets, dépositaires de l'autorité de l'Etat, ne pourraient-ils pas commencer par ne pas autoriser les projets critiqués par les enquêtes publiques, tels que le barrage de Sivens, l'aéroport de Notre-Dame des Landes, le Center Parcs des Chambaran, etc ? Abandonner ces projets, c'est récupérer des moyens financiers importants – plusieurs dizaines de milliards d'euros – pour financer de véritables projets et politiques de transition écologique et sociale.
6. Entamer une véritable transition écologique et sociale
De nombreux et intéressants scénarios de transition énergétique sont sur la table. Par ailleurs, il est déjà possible de renforcer la résilience des territoires et des populations à travers les nombreuses expérimentations et innovations sociales qui mobilisent des dizaines de milliers de personne. Les défis climatiques nécessitent d'encourager, déployer et décupler les trésors d’innovation sociale et citoyenne sur les territoires. Plutôt que de s'entêter à construire des infrastructures inutiles, dispendieuses et dévastatrices, François Hollande et le gouvernement feraient mieux de financer des projets utiles contribuant à la transition écologique et sociale : souveraineté alimentaire et agroécologie paysannes, circuits-courts, relocalisation de l’économie, partage du travail et des richesses, isolation des logements, reconversion sociale et écologique de la production en assurant le maintien des emplois, réappropriation et promotion des biens communs, réparation et recyclage, réduction des déchets, transports doux et mobilité soutenable, éco-rénovation, énergies renouvelables. Ce n'est pas la politique choisie par François Hollande et le gouvernement.
7. Une véritable taxe sur les transactions financières pour financer la transition
Au moment où le Sud de la France est l'objet de nouvelles inondations dévastatrices, et alors que les phénomènes climatiques extrêmes vont se multiplier et s'intensifier dans les années à venir, aussi bien en France que sur le reste de la planète, François Hollande et le gouvernement français sabotent la proposition de taxe sur les transactions financières (TTF) pour préserver les profits des banques françaises, leaders mondiales de la spéculation sur les produits dérivés. Pourtant, une véritable TFF serait une des sources possibles de financement des politiques d'adaptation au dérèglement climatique, financements jusqu'ici insuffisants. Il est temps que François Hollande et le gouvernement français s'engagent sur des financements publics additionnels en matière de climat, notamment à travers une véritable TTF comme le réclament trois cents organisations internationales, sans se reposer sur d'improbables et inadaptés financements privés.
8. Engager un véritable effort de développement des énergies renouvelables
A l'écoute des grandes multinationales de l'énergie européennes, l'UE s'est doté d'un maigre objectif de 27 % d'énergies renouvelables d'ici 2030 qui ne permettra par d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables en Europe et qui laissera les mains libres aux pays récalcitrants. En reprenant à son compte l'exigence issue du Débat national sur la transition énergétique visant à diminuer de 50 % la consommation d'énergie finale en France d'ici 2050, tout en y ajoutant un plafonnement de l'énergie nucléaire et une exigence de réduction de 30 % de la consommation d'énergie fossile d'ici 2030, la loi en faveur de la transition énergétique implique un engagement plein et entier des pouvoirs publics dans le développement des énergies renouvelables décentralisées sur le territoire. Pourtant, il n'y a pas grand chose de mis en œuvre à ce jour.
9. De véritables réductions d'émission avant et après 2020 !
Selon un rapport du PNUE1, si rien ne change, les pays de la planète vont émettre 13 gigatonnes de CO2 de trop en 2020 (57 gigatonnes au lieu de 44 gigatonnes de CO2) par rapport aux trajectoires acceptables pour conserver une chance raisonnable de rester en deçà des 2°C d'augmentation de la température mondiale moyenne d'ici la fin du siècle. L'Union européenne ne veut pas entendre parler de revoir à la hausse l'objectif de 20 % de réduction d'émissions d'ici à 2020 qu'elle s'est donnée et qui est déjà atteint (si l'on ne tient pas compte des émissions importées) et qui est très en deçà ce qui pourrait et devrait être atteint.
Pour l'après 2020, et d'ici 2030, l'UE s'est engagé sur un objectif de 40 % de réductions d'émissions par rapport à 1990. Cet objectif est largement insuffisant. Adopter un objectif de 40 % de réductions d’émissions d’ici 2030 revient à repousser à l’après 2030 l’essentiel des efforts. Rappelons en effet que l’objectif officiel pour 2050, cohérent avec les recommandations unanimes des scientifiques, est une baisse minimale de 80 % des émissions, soit -2,5 % par an. Or l’objectif de -40 % en 2030 permet de se contenter d’une baisse de 1,3 % par an : deux fois moins que le nécessaire. Du fait du retard ainsi pris, il faudra ensuite une baisse de 5 % par an pour atteindre l’objectif en 2050 !
Pourquoi la France ne pourrait-elle pas s'engager à revoir très sensiblement à la hausse ses engagements de réduction d'émission d'ici à 2020 et pour l'après 2020 plutôt que de maximiser la quantité totale d'émissions qu'elle va accumuler dans l'atmosphère au cours de la période ?
10. Placer l'intérêt collectif hors d'atteinte des lobbies économiques
L'article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) exclut la participation de l’industrie du tabac dans l’élaboration des politiques de santé publique en raison du « conflit fondamental et irréconciliable entre les intérêts de cette industrie et ceux de la politique de santé publique ». Pourquoi n'en serait-il pas de même dans le cadre des négociations sur le changement climatique pour l’ensemble des industries les plus fortement émettrices de gaz à effets de serre ? Réformer la CCNUCC n'est pas chose aisée. Néanmoins le simple fait de mettre cette question sur la table marquerait la volonté de se libérer du poids des intérêts privés au profit de l'intérêt général. François Hollande et le gouvernement français ont donc le choix : organiser et institutionnaliser l'expansion de la mainmise des lobbies économiques et financiers sur les négociations climat, et plus largement sur l'ONU et ses programmes, ou bien contribuer à limiter et encadrer strictement leur influence. Interpellés par le CRID, le RAC et Attac France sur ce point, le gouvernement n'a jamais répondu.
Maxime Combes, membre d'Attac France et de l'Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
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