Le Lot en Action n°45. 9 décembre 2011 par Christophe Pelaprat pour Friture (1)
Ils ne sont que quelques-uns dans le Lot, l’Aveyron, le Lot-et-Garonne, mais l’installation dans ces campagnes de médecins issus d’Europe orientale est une tendance avérée. Cette migration économique se doit d’être tempérée, mais semble illustrer un triste constat : le délitement des cartes médicales, d’Est en Ouest de l’Union Européenne.
Visiblement débordée, le docteur Octaviana Postolach désigne les piles de papiers administratifs et de feuilles maladie soigneusement rangés derrière son bureau : « il y a beaucoup de travail », explique-t-elle. Entre ses consultations, son rôle de référent à la maison de retraite de Salviac et une formation qui débute, la prise de fonction est un peu vive pour cette médecin arrivée de Roumanie et venue s’installer aux confins du Lot, il y a à peine un mois et demi.
Mais cette adaptation à marche forcée semble répondre avec succès aux attentes de la commune aux dires d’Alain Faucon, le conseiller municipal qui a pris en charge son recrutement. « Nous avions deux médecins et l’un d’eux est parti brutalement, raconte-t-il. Face à ce déficit de soins, trouver un remplaçant était très difficile ». L’évolution des pratiques médicales et les attentes de la profession d’aujourd’hui, souvent réticente à venir s’installer en milieu rural, ont incité l’élu à solliciter les services d’un cabinet de recrutement organisant la venue de médecins étrangers.
Faisant valoir l’attractivité de son territoire (Salviac est chef-lieu de canton, doté de plusieurs services), la municipalité a choisi son praticien parmi plusieurs candidats, en définissant le profil souhaité. « Nous ne voulions pas servir de cheval de Troie pour une personne trop jeune, qui ne serait pas forcément restée, poursuit l’élu, nous voulions accueillir quelqu’un qui soit réellement dans une démarche d’implantation ».
Au fil de cette sélection, à laquelle se sont ajoutées de nombreuses candidatures spontanées, la commune a invité Mme Postolach et son mari à une première visite en mai dernier, afin de connaître le territoire et de rencontrer le corps médical local. Salviac a su mettre les moyens pour accompagner au mieux l’arrivée de son nouveau médecin : logement, avance d’un budget pour les frais d’installation, accompagnement administratif, et même repas avec les habitants pour faciliter l’ancrage social des nouveaux arrivants. « Nous avons tout fait en sorte pour que l’installation soit rapide et qu’elle puisse chausser les pénates de son prédécesseur ».
À quelques dizaines de kilomètres de là, dans le Lot-et-Garonne, Tournon d’Agenais avait connu une situation similaire en accueillant aussi en 2007 une généraliste roumaine, également par le biais d’un cabinet de recrutement – elle n’est pas restée. Cinq ou six praticiens de la même nationalité exercent actuellement dans ce département, au moins quatre dans l’Aveyron.
« Je suis venue pour mieux gagner ma vie », avoue sans ambages le docteur Postolach. Dans son pays, malgré un bon niveau de formation, un médecin débutant dans le secteur public gagne en moyenne 250 € par mois, un spécialiste en fin de carrière 400 €. L’attractivité d’autres pays européens comme la France est indéniable, mais a pour conséquence l’érosion des compétences à l’Est de l’Union Européenne. Effet de vases communicants, la précarité économique des uns compense le manque de ressources humaines des autres.
Vases communicants
Cependant, tel le cliché du plombier polonais, celui du médecin de l’Est se doit d’être nuancé. « Chaque cas est particulier », insiste Latchezar Yotov, gynécologue à l’hôpital de Figeac depuis 2007. Le sien est effectivement peu commun, ce bulgare empreint de culture française depuis son plus jeune âge a en quelque sorte réalisé son rêve en venant vivre en France. Mais il fustige le raccourci qui voudrait que « les médecins de l’Est ne viennent que pour l’argent ».
Son propos rejoint celui d’Alain Faucon : le manque de médecin à la campagne est souvent lié au problème du conjoint, notamment pour les jeunes qui recherchent plutôt les grandes villes. Les médecins d’âge plus mûr se satisfont mieux de la tranquillité d’un contexte rural et peuvent favoriser un choix de vie dépassant les seuls attraits économiques.
« Chaque pays est aussi différent, ajoute le spécialiste, mettant en garde contre les jugements hâtifs sur les « pays de l’Est ». Aujourd’hui, un bon médecin peut bien gagner sa vie en Bulgarie ».
Quels regards portent leurs confrères français sur ce phénomène ? À Tournon d’Agenais, l’ordre départemental des médecins avait accompagné l’installation. Dans le Lot, l’association professionnelle ne porte pas de jugement particulier, à partir du moment où la réglementation leur permet de venir. Le point de vue fut plus critique du côté de l’Aveyron, où l’on dénonçait le « pillage de matière grise » alimenté par des agences « chasseuses de têtes », et surtout une aberration au vu de la limitation du numerus clausus qui restreint le nombre de médecins formés en France. En effet, si personne ne stigmatise ces professionnels de santé, en principe très compétents et généralement francophones, ce sont plutôt les dysfonctionnements du système médical qui dérangent.
D’un bout à l’autre de l’Europe, la carte médicale semble pâtir des mêmes déficits et les Etats proposent peu d’incitations en ce domaine, laissant la part belle à la libéralisation du marché du travail. « Aujourd’hui, ce sont les collectivités qui sont obligées de réagir, de prendre en charge la profession », affirme-t-on à Salviac. « Sous le régime communiste, en Bulgarie, chaque médecin avait obligation de travailler trois ans à la campagne », rappelle le docteur Yotov.
(1) Le magasine Friture est en vente dans plusieurs points de vente militants du Lot. Cet article est publié dans leur dernier numéro, dans le dossier « Dans le tourbillon des migrations ». Si vous avez des difficultés pour le trouver, n’hésitez pas à nous contacter ! Retrouvez-les également sur leur site www.frituremag.info
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