Source : Le Lot en Action n°80 (mars 2014), mis en ligne le 18 mars 2014
Nous publions ci-dessous l'intégralité de l'article sur le vergers à graines de Lavercantière, présent (en version plus courte) dans le dossier central du Lot en Action de mars, consacré au scandale de la mine du Frau qui menace une grande partie de la Bouriane (précipitez vous chez votre marchand de journaux à partir de vendredi !)
Afin d’améliorer la qualité génétique des graines et des plants forestiers utilisés dans les boisements et reboisements, et de rendre ces derniers plus productifs, l’État s’est engagé il y a 40 ans dans un programme d’installation de vergers destinés à produire des graines forestières de qualité, pour les espèces les plus utilisées.
Cette politique a été engagée après que fut diagnostiquée la médiocrité de nombreux peuplements issus de boisements réalisés aux 19e et 20e siècles. Ceux-ci ont en effet été souvent réalisés à partir des graines récoltées sur des arbres bas branchus, situés en bord de chemin ou en lisière forestière, dans des zones où la main d'œuvre était abondante et peu onéreuse.
290 ha de vergers à graines forestiers ont ainsi été installés sur des terrains domaniaux et communaux situés dans le Lot et le Tarn où les conditions climatiques sont particulièrement favorables à la floraison et au développement des graines. 170 ha sont situés dans le Lot, sur la commune de Lavercantière, principalement dans le massif du Frau. 120 ha concernent actuellement les essences forestières suivantes : le Douglas, le Mélèze, le Pin Laricio, le Pin sylvestre et le Sapin de Bornmüller ; le Pin maritime, pour lequel 50 ha de vergers à graines ont été établis, ne fait plus l’objet de récoltes de graines depuis 2000.
Les vergers à graines forestiers : qu’est-ce ? Comment sont-ils établis ?
Un verger à graines est une plantation de clones ou de descendants d'arbres « plus », sélectionnés dans des peuplements naturels (sur la côte Ouest des États-Unis pour le Douglas, en Corse pour le Pin Laricio). Il doit être installé de façon à éviter la pollinisation par des arbres situés à l'extérieur du verger. Les arbres du verger fournissent ainsi des graines, dont la qualité génétique est améliorée, en quantité abondante et facilement récoltables.
La création des vergers de Lavercantière a donc reposé sur une première phase de sélection, à la fois longue et sophistiquée, menée en deux étapes :
Sélection, dans l'aire naturelle de l'espèce, des provenances les mieux adaptées aux conditions des diverses zones de reboisement envisagées.
Dans les meilleures provenances, sélection individuelle des arbres « plus » présentant, au plus haut point, les qualités recherchées (adaptation, vigueur, forme).
Les sélections individuelles étant faites, divers types de vergers à graines ont ensuite été créés :
Les vergers à graines de familles (Pin Laricio) : ces plantations sont constituées de « descendances » d'arbres sélectionnés (obtenues à partir des graines de ces derniers, et appartenant donc à une même « famille »). Ces plantations font l’objet d’éclaircies génétiques périodiques qui, en définitive, ne conservent que les meilleurs sujets des meilleures « familles ». Ces vergers de famille ont donc une double fonction : production de masse de graines et poursuite du processus de sélection. Pour écarter le risque de fausser la sélection, les vergers de famille sont implantés dans un milieu écologiquement voisin de celui auquel sa production est destinée, ce qui est le cas particulier du Frau pour le Pin Laricio.
Les vergers à graines de clones (Douglas, Mélèze d'Europe, le Pin Laricio, le Pin sylvestre et le Sapin de Bornmüller) : ce sont des plantations constituées de « copies végétatives » d'arbres sélectionnés (obtenues généralement par greffage ou, plus rarement, par bouturage), gérées directement pour la production de graines. Établies à densité définitive, ces plantations font l’objet, pour certaines espèces (Douglas et Mélèze), de traitements d’induction florale destinés à stimuler la floraison. Les vergers de clones peuvent être implantés dans des régions écologiquement très différentes de celles pour lesquelles leur production de graines est adaptée, en particulier dans des zones favorables à la mise à fleurs et au développement des graines.
Un verger à graines d'hybridation (Mélèze) : dans ce type de verger, la graine hybride est obtenue par fécondation d'un clone de Mélèze d'Europe, sélectionné dans une provenance autrichienne, par le pollen de nombreux clones bien individualisés de Mélèze du Japon appartenant d'ailleurs à la même famille. La graine « utile », récoltée sur le clone de Mélèze d'Europe, a déjà montré qu’elle donnait des peuplements homogènes et vigoureux et de très bonne forme.
Ce long processus d’installation et de suivi scientifique des vergers à graines forestiers a été délégué à l’IRSTEA (anciennement CEMAGREF), appuyé depuis le début par l’INRA. L’entretien et la gestion courante des vergers sont confiés à l’ONF. Avant l’entrée en production des vergers (qui intervient entre 8 et 15 ans), les entretiens sont financés par l’État (ministère en charge des forêts). Une fois les vergers entrés en production, l’exploitation est confiée au GIE Semences forestières améliorées (SFA), qui regroupe les deux principaux semenciers français, Vilmorin et le service « Graines et Plants » de l’ONF.
Les vergers à graines forestiers : à quoi servent-ils ?
Les vergers à graines de Lavercantière ont trois fonctions essentielles :
La première est la production de graines forestières améliorées. Installés à partir des années 1970, ces vergers ont commencé à produire des graines au milieu des années 1980. Les récoltes effectuées depuis leur entrée en production s’élèvent à 9,6 tonnes de graines : 3 tonnes pour le Pin maritime jusqu’en 2000, 4,4 tonnes pour le Pin Laricio, 1,8 tonne pour le Douglas et le reste pour les 3 autres essences des vergers. Ces productions correspondent à l’établissement, sur 30 ans, de 155.000 ha de plantations, dont 51 % de Pin Laricio, 26 % de Douglas et 13 % de Pin maritime
D’une façon générale, la production des vergers de l’État appartient aux deux meilleures catégories de commercialisation définies au niveau européen : « testée » (la supériorité de l’origine des graines a été démontrée sur des critères donnés, comme la vigueur, la qualité du bois, la branchaison, la résistance aux gels de printemps), et « qualifiée » (l’origine des graines est connue et sa supériorité est en cours d’évaluation).
La part du marché prise par ces graines est d’autre part devenue remarquable au cours des 10 dernières années : 90 % du marché pour les graines de Douglas, 95 % pour les graines de Pin Laricio et 80 % pour celles de Mélèze d’Europe.
Les vergers entrés en production ces dernières années permettent, enfin, d'augmenter substantiellement la productivité de la forêt française. Les vergers de Douglas par exemple, espèce la plus productive après le peuplier, peuvent permettre de gagner 20 % de croissance, tout en améliorant la rectitude du fût et donc la qualité du bois.
La seconde est la conservation de génotypes forestiers remarquables, dont la valeur patrimoniale est inestimable pour le pays. Nombre de descendances d’arbres sélectionnés et aujourd’hui disparus en forêt ne sont représentées qu’à Lavercantière. Ces descendances peuvent en particulier prendre une grande valeur à la suite de catastrophes climatiques. C’est le cas du verger de Pin sylvestre indigène du massif de Haguenau, devenu la principale ressource indigène vivante après la tempête de décembre 1999, l’ensemble des peuplements indigènes ayant été sinistrés. La diversité présente dans ce verger à graines est donc capitale ; elle est valorisée dans les opérations de reboisement réalisées en Alsace, dans le cadre de la reconstitution après tempête.
La troisième, enfin, est de contribuer aux efforts de Recherche & Développement dans le domaine forestier au niveau national et international. Le matériel de haute valeur génétique, concentré sur la surface relativement modeste des vergers de Lavercantière, ainsi que les installations de Vayrières (laboratoire et autres infrastructures) sont essentiels pour les recherches menées par l’IRSTEA et l’INRA dans le domaine de l’amélioration génétique des essences de reboisement. Il sert également de base à la mise au point de techniques d’induction florale et de pollinisation permettant à l’ONF de mieux maîtriser la production de graines forestières. Au plan international, enfin, ces vergers font l’objet d’initiatives de collaboration technique avec divers organismes européens de recherche et développement (en Allemagne, au Danemark et en Suisse par exemple) dans le domaine de la production de graines forestières.
Les vergers à graines forestiers : enjeux
Les vergers à graines de l’État représentent, on l’a vu, l’aboutissement de plusieurs dizaines d’années de travaux des organismes de recherche et de développement forestiers français, impliqués dans la sélection et la multiplication de matériel génétique forestier de qualité. Résultat d’un investissement public majeur de plusieurs dizaines de millions d’Euros consenti 40 ans durant, ces vergers sont essentiels :
Pour accroître la contribution du bois, matière première et matériau d’avenir, au développement économique national. L’usage du bois-énergie, du bois d’industrie et du bois d’œuvre doit en effet fortement progresser dans les décennies à venir, compte tenu du renchérissement des combustibles fossiles, des ressources minérales et des matériaux tributaires de ces ressources (acier, ciment, aluminium, plastiques).
Pour faire face à la montée en puissance des besoins de production de biomasse pour le stockage du carbone et la nécessaire adaptation des forêts françaises au changement climatique par l’utilisation de matériel génétique adapté.
Pour permettre à la forêt française de suivre les tendances mondiales de développement des plantations forestières -- celles-ci représentent déjà un tiers des volumes de bois commercialisés, à partir de seulement 3 % des surfaces forestières mondiales -- pour la production de ce bois à partir de matériel génétique performant, et aussi pour "relâcher" la pression exercée sur des forêts naturelles à forte diversité biologique, écologiquement sensibles ou menacées.
La mine du Frau, exploitée par Imerys
Le Lot en Action, 24 avenue Louis Mazet, 46 500 Gramat. Tél.: 05 65 34 47 16 / [email protected]