Le Lot en Action n°80 (mars 2014), par Anne Joubert et Merzouk Sider (du collectif de programmation), mis en ligne le 16 mars 2014
Merci René Vautier, l’homme qui ne la fermera jamais et qui écrit l’histoire en images, avec sa caméra au poing !
Dans le dernier numéro du LEA, il y a eu une belle coquille : un chapô sur le film franco-colombien d’Eric Flandin l’Homme aux serpents, suivi d’une biographie de René Vautier, connu par tous pour avoir réalisé Avoir 20 ans dans les Aurès. Nous n’allons pas re-publier cette biographie, mais voulons dire quelques mots sur René Vautier et les 4 films que nous avons projetés lors de la soirée d’ouverture du festival Images en RésistanceS à Gourdon, le 28 février.
Que ce soit quand il nous raconte le colonialisme et la « France-Afrique », la pollution par les pétroliers en Bretagne et le rôle des médias complices, ou l’histoire de la Résistance en 44/45 avec des mots de poètes, René Vautier nous emmène à chaque fois dans le cœur de la réalité, là où il a choisi de se trouver lui-même.
Il n’y a jamais aucun édulcorant chez Vautier ! Ses films, même s’ils sont maintenant inscrits dans l’histoire, sont d’une actualité troublante et d’une vigueur extraordinaire.
Ici, le chef de village, Sikali Wattara, a été enfumé et abattu d’une balle dans la nuque, une balle française … Ici, une enfant de sept mois a été tuée, une balle française lui a fait sauter le crâne… Ici, du sang sur le mur, une femme enceinte est venue mourir, deux balles françaises dans le ventre … assassinés en notre nom à nous, gens de France !
Ainsi p arle René Vautier sur ses premières images de cinéaste. Il est alors un jeune homme qui a été décoré de la croix de guerre pour avoir résisté aux occupants nazis, qui veut maintenant témoigner de ce qu’il voit en Afrique et qui le révolte. C’est en 1949, il a 21 ans quand il part en Afrique tourner un documentaire censé porter sur les bienfaits des missions éducatives de la France commandé par la Ligue de l’Enseignement. Mais il veut tourner tout ce qu’il voit, ce qui l’oblige très vite à tourner dans la clandestinité. En dépit de la censure française qui lui confisque une partie de ses bobines, il réalise Afrique 50, premier film anticolonialiste français et chef-d'oeuvre du cinéma engagé, qui lui vaut treize inculpations et une condamnation à un an de prison. En1990, il est réhabilité par le Ministère des Affaires Etrangères qui le diffuse dans les ambassades d’Afrique pour prouver qu’il existait bien un sentiment anticolonialiste français au début des années 50 … Perfectionner l’équipement, à quoi bon ? Une machine ferait le travail de 20 noirs, bien sûr. Mais 20 noirs à 50 francs par jour reviennent moins chers qu’une machine. Alors, usons le noir...
Dans le film De sable et de sang, réalisé avec René Vautier par Michel Le Thomas en 2012, on rencontre le René Vautier d’aujourd’hui, dans son propre rôle : il raconte comment il y a vingt ans, il s’est rendu à Akjoujt, ancienne ville minière de Mauritanie. Des liens se sont tissés avec les habitants. Un jeune homme a continué à lui envoyer des images de son pays, de sa vie envahie par le sable et le désespoir. Puis il est mort d’avoir voulu rejoindre l’Europe. René Vautier nous parle de ces rencontres manquées entre les civilisations et les hommes, de ses engagements, de ses regrets et de ses espoirs persistants. Ces 2 films, accompagnés d’un livre et d’entretiens avec des historiens qui nous éclairent sur l’Afrique de la colonisation à aujourd’hui et l’histoire de la dette du tiers-monde font l’objet d’un LIVRE-DVD chez les Mutins de Pangée (www.lesmutins.org)
Marée noire colère rouge, réalisé en 1978, raconte le naufrage du pétrolier Amoco Cadiz, au large du Finistère nord. René Vautier y dénonce la campagne d’information mensongère qui a suivi l’accident, les mesures dérisoires prises alors par les gouvernements, les conséquences écologiques désastreuses, les intérêts financiers, le trafic des pétroliers, la place des remorqueurs et le rôle des médias complices de cette politique. Face à cela, la colère du peuple breton et des élus locaux : Les efforts des Bretons qui avaient porté plainte et qui ont maintenu la bataille juridique, la bataille contre les grands trusts du pétrole et qui ont finalement gagné devant le tribunal, ont réellement ouvert une brèche parmi les victimes qui ont pu, ensuite, obtenir des dédommagements sur le principe des pollueurs-meurtriers et je crois que partout où nous avonspassé le film, les gens remerciaient la tenacité des Bretons qui avaient mené cette bataille.
Peut-on écrire l’histoire en poèmes ?
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amis
(Paul Eluard : extrait d’un poème à Gabriel Peri)
René Vautier raconte l’histoire de la guerre de 39/45 dans le film Et le mot frère et le mot camarade à travers les récits de poètes comme Aragon, Eluard, Desnos…
Il montre l’importance de la poésie dans la résistance de chaque être humain, au plus profond de lui, quand il défend sa créativité et sa dignité. Ces hommes filmés dans les camps de concentration, avec leurs corps si fragiles, presque inexistants, on les voit pourtant d’abord comme des poètes, des êtres unis et résistants, grâce au regard de René Vautier.
A propos du festival Images en RésistanceS , qui a maintenant 5 ans :
C’est vrai qu’on n’est pas dans le cinéma du divertissement, mais les films de résistances que nous proposons peuvent être très gais ! La résistance n’est pas quelque chose de triste. La résistance génère des idées et de la créativité.
Nous abordons des thèmes qui peuvent irriter, certes, et qui ne feront jamais l’unanimité d’un public, mais les rencontres autour de ce festival sont là pour qu’il y ait des débats riches, contradictoires, animés, et qu’on s’applique à ne surtout pas parler de résistance comme quelque chose de passé et de nostalgique mais comme une façon d’être, vivante et contemporaine qui oblige à inventer, tout en ayant un regard un regard sur nous mêmes et sur notre histoire… Nous en avons vu l’exemple dans le film Les jours heureux, qui nous montre qu’on ne peut agir sur le présent qu’en ayant regardé le passé, et qu’on ne peut tourner des pages que si on les a lues.
Nous proposons aussi de découvrir des formes cinématographiques auquel le public n’est pas forcément habitué : Une chambre en ville de Jacques Demy et Marée noire colère rouge de René Vautier sont des formes d’expression cinématographique totalement singulières et différentes pour parler de résistances et de luttes, mais elles sont complémentaires et enrichissent notre réflexion. Pendant la nuit des résistances locales, nous ne sommes plus dans l’écran, dans le virtuel, mais nous confrontons ensemble la réalité de résistances locales vivantes, à nos postures de spectateurs. Cette année, ce sont les militants de l’association APSMB qui nous ont fait partager leur vécu de résistance et de lutte depuis 17 ans, contre les mines d’exploitation de quartz sur le Frau par la société Imerys. Tous les échanges au cours de ce festival ont été passionnants et nous faisons appel à tou(te)s celles et ceux qui veulent continuer de faire vivre avec nous des Images en RésistanceS à participer à la préparation de la prochaine édition !
Le Lot en Action, 24 avenue Louis Mazet, 46 500 Gramat. Tél.: 05 65 34 47 16 / [email protected]