Plus de 700 adhérents, près de 80 prestataires, 35 000 euros, soit 35 000 sols violette dépensés : la monnaie locale toulousaine expérimentée depuis mai 2011 connaît un départ fulgurant. Il faut dire que la municipalité a mis le paquet… d’euros : 120 000 euros crédités l’an dernier par les élus pour lancer cette « monnaie éthique, visant à satisfaire les nécessités humaines de Toulouse et son agglomération dans le respect d’un développement économique solidaire » indique le site internet présentant la démarche (1). Pour 2012, ce sont 130 000 euros qui seront consacrés au développement du sol violette, avec pour objectifs 1 500 adhérents, 150 prestataires, et 80 000 euros payés en violettes sur l’agglomération. « On a bénéficié de l’expérience des autres territoires » explique Frédéric Bosqué, coordinateur du programme. Comprendre : la ville de Toulouse a évité les erreurs qui n’ont pour l’instant pas permis à la monnaie sol de « décoller » dans d’autres régions. Elle s’est également inspirée des succès que connaissent certaines monnaies complémentaires fondées par des collectifs locaux, telles que l’abeille à Villeneuve-sur-Lot (2). Résultat : on peut troquer facilement ses euros pour des sols violette auprès d’une trentaine de prestataires (entreprises et associations de l’économie sociale et solidaire) ; la monnaie existe en version numérique et en version papier ; tous les acteurs du réseau toulousain, qui ont participé à sa mise en place, sont aujourd’hui partie prenante à sa gestion. Ainsi, même si l’initiative vient des élus, « la co-construction du lancement du sol violette a permis aux Toulousains de s’approprier la monnaie » estime Frédéric Bosqué, expliquant ainsi son succès.
Le « pilotage partagé » du sol violette
Initiée par Jean-Paul Pla, conseiller municipal délégué à l’économie sociale et solidaire de la ville de Toulouse, la réflexion sur la mise en place d’une monnaie complémentaire à Toulouse débute en 2009. A la fin de l’année, la municipalité organise une grande réunion publique pour présenter ce qu’est une monnaie locale, et invite les participants à laisser leurs contacts. Peu à peu, cinq « collèges » (utilisateurs, prestataires, financeurs, collectivités, et fondateurs) sont constitués, et vont plancher pendant un an sur le lancement de la monnaie : critères éthiques à respecter, type de support (papier et numérique), taux de conversion… Depuis son lancement, en mai 2011, c’est l’association Clas (comité local d’agrément du sol violette) qui, à la manière d’un conseil d’administration, définit les grandes orientations pour le développement de la monnaie. Chaque collège y détient une voix. Amorcer la pompe Pour amorcer la pompe, la ville a converti 27 000 euros en violettes auprès du Crédit municipal de Toulouse et du Crédit coopératif. Elle en a distribué aux prestataires et à des particuliers, « ambassadeurs » de la monnaie sol auprès de leur entourage. Via des associations de quartier, 16 000 euros ont également été distribués à 90 ménages en situation de précarité financière (30 violettes par mois pendant 6 mois). A partir de cet investissement, le bouche à oreille a bien fonctionné puisqu’en moins de 6 mois, les adhésions des particuliers et conversions en violettes ont représenté 13 000 euros. Au total, 40 000 euros, placés sur les comptes du Crédit municipal et du Crédit coopératif, sont destinés à financer des micro-projets dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Et parallèlement, 40 000 violettes alimentent le circuit des « entreprises éthiques » toulousaines. « On a pu constater grâce à notre système de traçabilité que les sols circulaient deux fois plus vite que les euros » indique Frédéric Bosqué. En étant dépensée exclusivement dans le circuit économique « respectueux des hommes, des femmes, et de l’environnement », la monnaie locale crée ainsi de la valeur. Une politique de relance ciblée sur les activités de l’économie « éthique ». Voilà le pari des monnaies complémentaires, que Toulouse mène à grande échelle. Mais pour que ce mécanisme monétaire fonctionne, il faut que l’argent injecté dans le circuit y reste ! Or, au début de l’expérimentation, presque la moitié des violettes dépensées par les consommateurs auprès des prestataires étaient reconverties en euros par ces derniers. « Plusieurs solutions ont été mises en œuvre pour réduire le taux de fuite à 15 % aujourd’hui » explique Frédéric Bosqué. Les magasins bio, principaux prestataires « responsables » de ces fuites, sont par exemple devenus comptoirs d’échange : les particuliers peuvent y changer des euros en violettes, sans passer par les deux banques partenaires. Autre solution développée : payer des fournisseurs, comme l’entreprise Ethiquable, ou encore des imprimeurs locaux, en violettes... et pourquoi pas des primes pour les salariés ? Les solutions existent, et peu à peu, le circuit économique du sol s’affine, avec l’objectif de « créer un réseau circulaire » indique Frédéric Bosqué. Une étape décisive à la mise en place de ce dernier pourrait être franchie en 2012 : les Toulousains pourraient payer certains services municipaux, comme les transports publics, en sols violette. La monnaie locale ainsi récupérée par la municipalité pourrait ensuite être réinjectée via le Crédit municipal, ou via des aides aux ménages les plus précaires. Un moyen efficace de boucler la boucle.