Ironie de l'histoire, la BD peut même parfois servir d'outil documentaire. Ainsi, Fabien Nury et Sylvain Vallée ont-ils été contactés par un producteur israélien, le petit-fils de Joseph Joanovici, qui souhaitait utiliser les planches pour illustrer un documentaire qu'il réalise sur son grand-père. Cet fidélité à l'histoire est aussi au coeur de la démarche de Maximilien Le Roy pour Dans la nuit, la liberté nous écoute. Son héros, Albert Clavier, est tout aussi réel que Joseph Joanovici et sa trajectoire atypique révèle un pan d'histoire oublié, celui des «ralliés». Ainsi, Albert, engagé pour l'Indochine en 1947, passera à l'ennemi en intégrant l'armée de libération d'Hô Chi Minh, à la suite des exactions commises par ses camarades sur les populations locales. En 186 superbes pages bichromes à dominante vert kaki, Le Roy rend hommage à ces hommes qui ont choisi de déserter au nom de leurs idéaux.
Jacques Rochel et Vink Khoa regardent eux aussi les fantômes de leur passé. Camarades au lycée de Danang, au Vietnam, dans les années 60, ils se sont unis pour donner naissance à Sur la route de Banlung - Cambodge 1993. A l'époque, Jacques Rochel est mandaté par l'ONU pour organiser les premières élections cambodgiennes après l'ère khmère rouge. Ses souvenirs mis en images dans des tons vifs témoignent de la difficile transition démocratique cambodgienne. Le Sud-Est asiatique est un territoire peu visité par la BD, tout comme la guerre d'Espagne. Un jeune auteur, Jean-Sébastien Bordas, en a pourtant fait le sujet de sa série, le Recul du fusil, dont le tome II est en cours d'écriture. «J'ai voulu donner vie aux souvenirs de mon grand-père maternel, républicain espagnol, explique-t-il. C'est une histoire qui a bercé mon enfance, j'ai voulu lui rendre hommage, ainsi qu'à tous les combattants des Brigades internationales.» Au final, une oeuvre délicate, sorte de Jules et Jim sur fond épique de guerre d'Espagne sans manichéisme ni parti pris.
La Seconde Guerre mondiale, elle, est évidemment très revisitée en BD. Témoin, Airborne 44 de Jardinet, best-seller l'année dernière, qui revient avec un tome III s'échouer sur les plages du débarquement allié en compagnie d'un jeune héros américain de 19 ans. Ces planches, validées par Philippe Gillain, conservateur du musée Décembre-1944, en Belgique, et superbement réalisées à l'aquarelle, permettent d'appréhender, entre vérité et fiction, la sauvagerie et le chaos du D-Day. Ou encore Résistances, de Derrien et Plumail, qui évoque les combattants de l'ombre grâce à une subtile mécanique romanesque, un triangle amoureux mettant aux prises Sonia, juive, communiste, qui travaille pour un général allemand, Louis, qui vit du marché noir, et André, parti rejoindre de Gaulle à Londres. A citer également, l'Apogée des dragons de Corbeyran et Rodier, une série uchronique sur le monde occulte du nazisme. Son héros ? L'authentique archéologue et officier SS Ernst Schäfer, personnage central de l'Ahnenerbe, la Société pour la recherche sur l'héritage ancestral fondée par Himmler afin de démontrer la supériorité des Aryens. Une série surnaturelle qui rappelle les délirantes justifications pseudo-scientiques du régime nazi.