Vautours (La Dèche ou la Détresse du Midi… telle est la question)
Article à paraître dans le n° de mai (n°110), par Mélanie, mis en ligne le 20 avril 2017
À l'école de journalisme de Toulouse (EJT), il n'y a pas si longtemps, un enseignant entamait ses cours de première année avec un exemplaire de « La Dépêche du Midi », expliquant aux étudiants qu'ils avaient là, devant les yeux, un condensé de tout ce qu'il ne faut pas faire en matière de déontologie dans le journalisme. Le témoignage de Mélanie, la plus jeune de nos rédactrices, vient souligner, une fois de plus, ô combien cet enseignant avait raison...
Les faits divers, si possible morbides et bien dégueulasses, surtout s'ils viennent du fond du caniveau, ça fait vendre du papier. Lundi 4 avril, en fin d’après-midi, je me suis rendue chez mon voisin Davy, dans l’idée de boire une bière bien fraîche et de batailler durement les pronostics des élections présidentielles. Alors que la conversation allait bon train, j’ai remarqué, à l’endroit où il venait de creuser sa terrasse ce qui ressemblait à la tête d’un os. Originaire de Brassempouy, haut lieu de l’archéologie préhistorique où j’ai moi-même contribué à gratouiller autour de la grotte du Pape, j’ai senti la curiosité me submerger. J’ai donc dégagé cet os de la terre. Un vieil os, poreux, qui s’effritait, mais dont la forme de la tête me laissait penser qu’il s’agissait d’un fémur humain. Pour m’en assurer, j’ai décidé de continuer à gratter autour et ai découvert un os iliaque. Sous mon pied, j’ai également trouvé ce qui semblait être une colonne vertébrale.
J’ai de nouveau expliqué à Davy qu’il s’agissait très certainement d’ossements humains et devant son air incrédule, je lui ai expliqué la marche à suivre dans le cas d’une telle découverte. Le lendemain, trois gendarmes dont un de l’identification criminelle étaient sur les lieux de notre découverte. Le maire avait été prévenu, le docteur du village s’était également déplacé afin de confirmer la nature des ossements. Ce dernier avait émis un avis sur l’âge de l’individu qu’il situait dans les 10-12 ans.
Ambiance potache sur le lieu des fouilles. Les gendarmes, habitués à des découvertes plus macabres que celle-ci, nous ont dit que les ossements leur paraissaient anciens. Pas de certitudes cependant avant d’avoir les résultats de la datation que doit fournir l’anthropologue de l’IRCGN de Pontoise. Le lendemain, mercredi 6 avril, Davy a été entendu à la gendarmerie de St-Géry. Je l’ai accompagné afin de servir d’interprète. Le chef de gendarmerie nous a précisé qu’étant donné l’état des ossements et les faibles probabilités d’une mort récente, je pouvais traduire les questions et les réponses, service assuré d’habitude par un interprète assermenté.
Bien entendu, les rumeurs sont allées bon train dans le village. À Lauzès, les événements sont rares et comme dans tous les patelins de France, une telle trouvaille alimente les conversations. Du côté de notre bande de copains, nous savions que la datation serait le premier jalon de l’enquête. Si les ossements étaient trop anciens, hypothèse la plus probable, l’affaire s’arrêterait là. Nous attendions donc sagement les résultats, curieux que nous sommes, de savoir qui était cet inconnu.
Mardi 18 avril, au secrétariat de la mairie, j’ai rencontré deux journalistes de la Dépêche du Midi. Les gens savaient que nous étions à l’origine de la découverte des ossements. Après qu’ils m’aient assuré avoir l’aval et du maire et des copropriétaires des lieux pour prendre des photos, j’ai escorté ces messieurs jusque dans la cour de la maison. Je m’en suis tenue aux faits, à la description que je viens de vous faire dans les trois premiers paragraphes de cet article. Je leur ai demandé de se montrer très prudents dans leurs propos afin de ne pas pondre un énième article anxiogène. Ils m’ont affirmé une nouvelle fois être venus à la demande du maire afin de « faire taire les rumeurs ». Jean-Luc Garcia, après avoir appris que j’étais l’une des rédactrices du Lot en Action s’est fendu d’un discours sur le respect entre journalistes, une certaine idée de la déontologie à laquelle j’adhère. Bref, il a dit ce que je voulais entendre.
Stupeur à la découverte de la une de l’édition du Lot du mercredi 19 avril. Non seulement, celui-ci s’intitule « le squelette sans tête d’un enfant retrouvé à Lauzès » mais en plus, ce papier présente un éventail des hypothèses les plus farfelues concernant ces ossements. Nous sommes très loin des belles paroles de M. Garcia…
Lorsqu’on écrit dans un journal, Messieurs, on a un devoir d’informer la population en étant mesuré, en ne créant pas de polémiques inutiles ou d’affolement parmi la population. Surtout lorsqu’une enquête et des analyses sont en cours. Seulement, à la Dépêche, il semble que l’on soit davantage des marchands de papier et de scandales que des journalistes. À l’heure de l’info en continu, nous sommes abreuvés d’informations fabriquées pour susciter les réactions les plus vives. Quand il est de notoriété publique que beaucoup de personnes partagent les articles sur les réseaux sociaux en se limitant à la lecture du titre, il est sage et déontologique de s’abstenir de donner un titre sensationnel à un article.
En vous parlant, Messieurs, j’espérais pouvoir énoncer des faits et respecter la démarche scientifique entreprise autour de cette découverte. En tant que passionnés d’histoire et d’archéologie, Davy et moi n’aspirions qu’à découvrir la vérité, le pourquoi du comment de la présence de ce squelette. En me mentant, en m’utilisant pour arriver à vos fins, vous m’avez salie. Vous avez provoqué un raz-de-marée dans notre bourgade, vous avez surfé sur la vague de l’actualité toujours plus alarmiste et anxiogène. Vous êtes venus troubler la quiétude de mon petit village, à dessein : écouler vos journaux et certainement vous faire un nom.
Après vérification, aucun des copropriétaires n’étaient au courant de votre venue sur les lieux. Et ce n’est pas le maire de Lauzès qui vous a demandé de venir mais un habitant, étonné du silence des média et certainement poussé par une envie folle que l’on parle de notre village ou une quelconque curiosité morbide. Vos collègues de Toulouse ont appelé sur mon lieu de travail, m’ont dérangée, m’ont mise en porte à faux dans l’exercice de mon métier. Tout ça pour tourner une vidéo qui n’aurait pas donné plus d’informations que le rapport factuel que je vous ai fait. Je n’ai d’ailleurs pas manqué de souffler dans les bronches de votre confrère toulousain en lui disant que j’avais été flouée. Curieusement, une heure après l’avoir copieusement engueulé au téléphone, un autre article paraissait, intitulé « le squelette sans tête daterait du Moyen-Âge »…
Rassurez-vous, Messieurs, cette tentative maladroite de vous rattraper ne m’a pas découragée de dépeindre votre attitude complètement irresponsable vis-à-vis de votre traitement de l’information.
Dans votre quête du scoop de l’année, vous avez oublié pourquoi vous êtes journalistes. Là où un petit encart « Insolite » et un rapport des faits de la découverte auraient suffi, vous avez choisi de faire un battage repris par les média nationaux et la PQR de la France entière. Beaucoup de bruit pour rien en somme.
L’aspect le plus intéressant de cette affaire est certainement le traitement au niveau national de l’affaire qui nous concerne. Chaque journal ayant fait son travail de perroquet, la France entière est désormais au courant que Lauzès existe. Personne n’a appelé avant de crier au loup, seuls les journalistes de France 3 Midi-Pyrénées ont fait la démarche de se déplacer pour obtenir des renseignements. Et c’est là que se situe le vrai débat dans cette histoire, la question de l’indépendance de la presse et du travail d’investigation d’un journaliste. La propagation de rumeurs infondées concernant la découverte de ce squelette donne un instantané de la situation du traitement et de la diffusion de l’information en France : des copier-coller sur des sites Internet, des générateurs de clics et de commentaires, de la vente d’espaces publicitaires.
Comment envisageons-nous la suite de cette histoire ?
Le squelette est donc à Pontoise afin d’être soumis à une expertise visuelle de datation. Il faut savoir qu’une datation au carbone 14 a un prix et que c’est l’argent public qui sert à financer ces recherches. Dans l’hypothèse où ces ossements dépasseraient la date de prescription de tout acte criminel, les expertises pourraient ne pas être poursuivies. Cependant, Davy souhaite mettre en place un financement participatif afin que nous puissions pousser ces recherches auprès d’archéologues et anthropologues afin d'élucider le mystère qui entoure notre découverte. Il a d’ores et déjà contacté l’équipe d’archéologie de l’université de Toulouse qui s’est montrée intéressée.
Quelle leçon tirer de cette aventure ?
Nous devons avant tout faire preuve d’esprit critique, nous renseigner correctement et ne pas croire aveuglément ce que les média de masse nous racontent. Sans tomber dans la paranoïa, nous devrions nous faire un devoir de consulter plusieurs sources et de nous forger notre propre opinion. Cela peut sembler insurmontable lorsque l’on sait que la plupart des média français sont détenus par sept milliardaires, cependant cela reste possible, pour qui veut bien. Quant à ceux qui souhaitent brasser du vent, il reste la possibilité d’investir dans l’éolien…
Note
L'article publié par nos confrères de France 3, "Lot : un squelette sans tête retrouvé sous un terrain de pétanque en construction" vous permettra de comparer avec un vrai boulot de journaliste...
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Commentaires
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- 1. lol Le 01/06/2017
Dénoncer un journaliste publiquement et accepter et relayer des commentaires qui ne volent pas haut, ce n'est pas une idée que je me fais de la parfaite éthique journalistique dont vous parlez tant. Il y a des erreurs dans la pqr mais pour faire la morale il faut être irréprochable et... je vous laisse finir. -
- 2. Seb P. Le 03/05/2017
Vu que la Depêche fait partie de la PQR (presse quotidienne régionale), je propose de rebaptiser la version papier Le PQ du Midi et de donner à son site web le nom qu'il mérite: LaPuteAClics.com
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