Article publié dans le numéro de juin (n°101), par Soledad, mis en ligne le 2 juin 2016
Dans un épisode de X-Files, Fox Mulder demande à une jeune entomologiste pourquoi elle aime tant les cafards. Et celle-ci de répondre : «Je les aime parce qu’ils ne se racontent pas d’histoire : ils naissent, mangent, boivent, défèquent, se reproduisent et meurent. »
Je suis à la limite d’envier les cafards. Seulement ici bas, il faut TRAVAILLER. Tout a commencé durant l’enfance, quand on se demande où est passé Maman ou Papa quand il/elle n’est pas là : au boulot, pardi ! Et puis, il a fallu aller au centre aéré parce que mes parents travaillaient. Et à la fin du collège, on voyait une conseillère d’orientation pour savoir dans quelle branche on voulait étudier pour trouver un travail. Et puis au lycée où il fallait choisir des études post-bac avec un peu de débouchés pour pouvoir trouver un travail. Et puis la fac, où tu perds totalement espoir de trouver un travail un jour.
« La médecine du travail est la preuve que le travail est bien une maladie. »
J’ai adoré travailler, y a même un temps où j’étais obsédée par ça. J’y pensais. Et il y a eu les plaques rouges, la chute des cheveux, le harcèlement physique, moral, les coups bas entre collègues, le suicide d’un collègue : le panier de crabes. Et je me suis mise à détester le travail.
Mais la société dit que c’est pas bien. Qu’il faut faire quelque chose de sa vie. Et d’ailleurs, les premiers mois de chômage sont affreux. Tu te sens inutile, tu pleures, tu angoisses parce que les thunes rentrent pas. Tu te demandes à quoi tu sers. Et les gens te regardent avec dédain prétendant que tu ne cherches pas vraiment. Alors qu’à l’origine tu es carreleur, tu te mets à postuler dans tous les corps de métiers du bâtiment, dans les usines, les restaurants. Tu envoies des tas de CV et de lettres de motivation. Personne ne veut de toi. Les employeurs t’ignorent, la société te conspue. Car, il faut avoir un TRAVAIL. Les retraités te cracheraient au visage s’ils le pouvaient car « de leur temps, on n’était pas des feignasses ».
Et toi t’as envie de lui répondre : « Mais oui PAPY, de ton temps, on quittait un taff et on en trouvait un autre dans la semaine ». Oui, vous avez connu la sacro-sainte croissance, les trente glorieuses. Mais nous, on est nés pendant les vingt dépiteuses. Nous, on connaît les CDD à répétition avec l’angoisse latente de ne pas être repris si on l’ouvre trop. De toutes façons, y en a plein des comme nous qui attendent de prendre nos places. Nous, on est corvéables à merci. Avec les NTIC, on ramène du boulot à la maison. Le soir, le week-end, un mail du chef au milieu de ton plat de pâtes du samedi soir : « Régis, faut finir le PPT pour lundi, j’suis charrette parce qu’on est partis à Juan-Les-Pins avec Germaine ce week-end ». Nous, on fait du travail de merde sans moyens, sans matériel, au rabais parce qu’il faut que le grand patron fasse sa marge et touche sa prime. Nous, on a des payes pourries pour des emplois à double casquette : il faut être secrétaire/comptable/servir les cafés, il faut être cuisinier/intendant/chef du personnel, il faut être community manager/œnologue/guide touristique. Nous, on met nos CV en ligne sur Pôle Emploi, on voit combien de fois ils ont été vus. Et on voit qu’on ne nous contacte jamais pour nous embaucher.
Alors, que voulons-nous ? Nous réclamons le droit de vivre décemment. Nous ne refusons pas de travailler. Ce que nous refusons, c’est d’être traités comme des chiens. Nous refusons de passer notre vie au boulot au détriment de nos conjoints, de nos enfants, de notre santé mentale et physique. Nous voulons et savons être polyvalents mais on ne peut pas demander à un charpentier d’enseigner la danse classique. C’est une question de bon sens. Nous ne voulons pas des millions, qu’est-ce qu’on en ferait ? Nous voulons des revenus qui nous permettent de vivre et non pas de survivre. Nous voulons du temps pour nous occuper des nôtres mais aussi pour nous investir dans l’associatif, faire du sport, apprendre à coudre, boire un coup avec nos copains, cultiver nos jardins, lire et aller au cinéma, discuter avec nos voisins, tisser des liens entre habitants d’une même commune, d’un même quartier, échanger, nous nourrir mieux, trouver des alternatives au pétrole, lutter contre toutes les formes d’oppression, vivre quoi.
Avoir de quoi manger, se vêtir, se chauffer l’hiver, avoir un toit sur la tête et interagir avec les autres. Tout le reste est superflu. Vous voyez bien qu’on ne demande pas la lune !
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