Article publié dans le numéro de septembre (n°103), par Géraldine Casutt, Joan Deas et Damien Simonneau, mis en ligne le 28 septembre 2016
Appliqué à la situation française le discours d’un « modèle israélien est dangereux, à moins de vouloir maintenir la société française dans un état de guerre permanent et de miser sur la surenchère sécuritaire, sans développer de réflexion sur des politiques ambitieuses et courageuses nécessaires afin de faire échec au recours à l’acte terroriste ».
Depuis l’attentat de Nice, les discours médiatiques et politiques gravitent autour des tactiques de sécurité qui permettront de gérer et prévenir de nouvelles épreuves de ce type. Une comparaison s’impose avec la force de l’évidence : celle du « modèle de sécurité » israélien.
Des reportages décrivent alors des Israéliens se pliant volontiers aux contrôles des sacs à l’entrée des supermarchés ou habitués à la présence de vigiles dans les transports publics. Le degré de préparation de la population est mis en avant. On insiste aussi sur le fait que les événements publics sont interdits à la circulation pour éviter les attaques à la voiture-bélier. Après les attentats de Bruxelles, on évoquait déjà le « modèle » de l’aéroport de Tel Aviv-David Ben Gourion, où le profilage des « suspects » est la règle. L’importance du facteur du renseignement humain fut également remarquée. Ces récits conduisent vers un parallèle imparable : les Français doivent s’inspirer des mesures israéliennes pour lutter efficacement contre un terrorisme qui, ici comme là-bas, les frappe de la même manière. Un parallèle établi par les dirigeants israéliens eux-mêmes.
Le débat public porte donc en France sur l’évaluation des mesures de sécurité. Ce débat est certes nécessaire pour envisager les outils les plus performants et légitimes au regard de la préservation des libertés publiques et des moyens alloués, aux forces de l’ordre notamment. Toutefois, ce débat « expert » ne doit pas occulter les enjeux sociaux et politiques dans lesquels les actions terroristes s’insèrent, sans quoi le risque de se limiter à une gestion de la violence, voire même d’alimenter cette dernière, grandit.
L’État israélien est aujourd’hui enfermé dans une gestion quotidienne des frictions entre Israéliens et Palestiniens et des risques d’attentats. Si l’investissement dans le tout-sécuritaire permet d’endiguer les violences, il ne les supprime pas définitivement. Pire, le tout-sécuritaire provoque la répétition des actes de violence palestiniens. L’absence de perspective politique et individuelle pour une majorité de Palestiniens constitue en effet un moteur puissant de passage à l’acte violent, comme le reconnaît d’ailleurs le Shin Bet. En 2017, l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est fêtera tristement son cinquantième anniversaire. Ce régime militaire d’occupation se caractérise par des destructions de maisons, des expulsions, des détentions arbitraires d’adultes mais aussi de mineurs, un régime légal discriminatoire et une violence physique et symbolique omniprésentes (1). Sous le prétexte de « contrôler », des gens sont humiliés et tués. Ce régime se maintient sans perspective de pacification durable. Le recours à des modes d’action violents devient alors une forme personnelle ou organisée de réponse à cet état de fait politique. La « menace » d’attentats est quant à elle normalisée par la population israélienne. Cette matrice sécuritaire privilégie donc des solutions tactiques à court terme ciblant les symptômes de l’occupation plutôt que les enjeux sociaux et politiques expliquant le passage à l’action terroriste. Elle sert également d’argument marketing à l’État israélien pour développer et exporter l’une des industries sécuritaires les plus performantes et lucratives au monde (2).
Par conséquent, qu’avons-nous à apprendre d’Israël ? Que pour ne pas tomber dans une simple gestion de la violence, les questions fondamentales suivantes doivent être posées. Les mesures de sécurité créées jusque-là sont-elles réellement efficaces pour modifier ou non le recours à des modes d’action terroriste ? Existe-t-il un lien de causalité entre l’instauration - et le renforcement - de ces mesures sécuritaires et la motivation des passages à l’acte ? L’État français n’alimente-t-il pas la violence contre laquelle il entend lutter lorsque sa réponse après chaque attentat est de réactiver les frappes en Syrie et en Irak ? Pourquoi des citoyens français trouvent-ils dans le jihadisme une façon d’exprimer leur détestation de la France ? L’instauration d’un État d’urgence de fait permanent ne masque-t-elle pas un évitement de la réflexion collective et critique ? Autrement dit, l’argument de « raisons de sécurité » n’est-il pas un écran de fumée et un moyen de dépolitiser des enjeux sociaux ?
Appliqué à la situation française, le discours d’un « modèle israélien » est dangereux, à moins de vouloir maintenir notre société dans un État de guerre permanent et de miser sur la surenchère sécuritaire sans développer de réflexion autour des politiques ambitieuses et courageuses nécessaires afin de faire échec au recours à l’acte terroriste. Pourtant, repenser certains choix de politique intérieure ou étrangère qui alimentent Daesh, poser la question de l’intégration des Français d’origine arabe et de confession musulmane, le manque d’adhésion au modèle républicain, les mécanismes psychologiques du passage à la tuerie de masse devraient aujourd’hui constituer des priorités pour la classe politique et pour le débat public.
En conclusion, non, Israël n’est pas un « modèle » à suivre. Bien au contraire, il représente l’impasse sécuritaire dans laquelle nous ne voulons surtout pas nous retrouver pris au piège.
Par Géraldine Casutt (doctorante à l’Université de Fribourg et à l’EHESS), Joan Deas (doctorante à Sciences Po Grenoble) et Damien Simonneau (docteur à Sciences Po Bordeaux et à l’Université Paris 13).
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